Disons-le tout net. Notre propos ici n’est nullement de faire l’avocat du ministère de l’Administration territoriale dont nous sommes parfaitement conscients, pour y avoir séjourné de nombreuses années, des limites en matière électorale entre autres. Il est vrai que l’Administration territoriale n’a pas toujours fait montre d’exemplarité, ni en neutralité, ni même souvent en expertise électorale, comme en témoigne la revue des scrutins successifs qui se sont déroulés dans ce pays. Nous sommes de ceux qui ont depuis toujours, estimé qu’à terme, l’organisation technique et matérielle des élections devrait nécessairement échoir à une administration indépendante. Pour autant, les débâcles électorales successives estampillées à tort ou à raison du sceau de l’Administration territoriale, autorisent-elles à s’engouffrer dans l’aventure institutionnelle d’une structure électorale autonome, à quelques encablures seulement des échéances électorales de fin de Transition qui s’annoncent ? De sérieux doutent subsistent à cet égard.
Une idée généreuse très séduisante
L’idée de la prise en charge de l’organisation et la gestion des élections par une structure autonome est fort sympathique. Elle est d’ailleurs aussi vieille que l’expérience démocratique de notre pays. Qui oserait à priori s’y opposer dans le principe ? La quasi-unanimité est établie aujourd’hui sur la nécessité d’aller de nouveau vers la mise en place d’un organe unique, indépendant et pérenne de gestion et de surveillance des élections au Mali. En particulier, les structures d’observation électorale et les bailleurs étrangers qui n’ont souvent pas eux-mêmes de structures électorales autonomes dans leurs propres pays, et même parfois quelques experts électoraux auto-proclamés, paraissent les plus bruyants dans le vacarme autour de cette question. En général, ils n’ont pour la plupart, jamais conduit d’opérations techniques et matérielles d’élections. C’est sans doute l’une des raisons qui explique leur obstination, dans le déni total de ce que cela représente en termes de défis quasi insurmontables, à faire croire que les élections de sortie de Transition peuvent être gérées par une structure autonome. Il ne sert à rien de se voiler la face devant la perspective d’une telle aventure vouée d’office à un échec cuisant. La Transition commettrait une erreur fatale en s’engageant dans ce qui ne serait qu’un remake, mais en pire, du désastre électoral de la CENI de 97.
Une structure autonome ne s’improvise pas en 18 mois
Il ne suffit pas d’épouser dans son principe la structure électorale autonome. Il faut se demander en toute objectivité et sans démagogie aucune, qu’elle en est la faisabilité réelle. Au regard de cette équation, il faudrait véritablement être novice en gestion électorale dans la pratique où alors de mauvaise foi, pour exiger de la Transition qu’elle nous offre dans les 18 mois à venir, des scrutins qui soient transparents, crédibles et sincères à travers un organe autonome. Il faut également être ignorant des multiples phases d’adoption d’un texte de création d’un service et du temps nécessaire à sa mise en place et sa fonctionnalité.
S’est-on objectivement interrogé sur les raisons profondes de l’échec de la CENI de 97, d’abord structure d’organisation technique et matérielle, de supervision et de contrôle des élections composée de représentants des pouvoirs publics, de la société civile, des partis politiques de la majorité et de l’opposition parlementaire, puis réduite ensuite à sa seule dimension d’organe de supervision et de suivi, composée uniquement des représentants de la classe politique et de la société civile ?
Il est tout simplement impossible en 18 petits mois, de créer de toute pièce et rendre fonctionnelle, une administration électorale autonome. La nature juridique de la structure autonome doit être examinée en liaison avec les objectifs fondamentaux d’indépendance, de crédibilité, de transparence et de maîtrise technique que l’on recherche dans le processus électoral. Le montage juridique d’une telle structure soulève toute une batteries de problématiques dont sa nature juridique, ses pouvoirs, son envergure, sa composition, son opérationnalisation.
Puisqu’on attend de cette administration électorale qu’elle soit autonome (ou indépendante), quel contenu va-t-on donner au concept d’indépendance ou d’autonomie et par rapport à qui (gouvernement, partis politiques) la structure sera indépendante ?
Plusieurs interrogations se posent quant à la composition de la structure. Faut-il une représentation des partis politiques et de la société civile ? Et de quelle manière ? Va-on en particulier greffer au staff technique de la structure un organe consultatif où seront représentés les partis politiques et la société civile ou va-t-on les faire représenter comme à la CENI actuelle ?
Faut-il une représentation sur la base de critères cumulatifs de neutralité, de compétence technique et de moralité ?
Quid des conditions de désignation du Directeur de la structure, de la durée de son mandat et des conditions de renouvellement ?
L’envergure de la structure n’est pas une question moins importante. La structure autonome va-t-elle opérer seulement au niveau central à Bamako, ou doit-elle se déployer sur l’ensemble du territoire national ? Comment une administration électorale parallèle va pouvoir opérer dans un contexte d’insécurité où l’administration régalienne d’Etat n’arrive même plus à couvrir des pans entiers du territoire national où elle est déclarée persona non grata ?
Ces questions en soulèvent encore bien d’autres. Va-ton se contenter d’une seule administration centrale à Bamako ? Dans ce cas, comment va-t-elle opérer dans les régions, cercles et communes ? Faudrait-il des démembrements à l’intérieur et à l’extérieur du pays ? Ou alors devrait-on aller vers le schéma d’une administration centrale avec des passerelles de collaboration (ou articulations) avec le ministère de l’Administration territoriale à travers les représentants de l‘Etat dans les régions, cercles et arrondissements et le ministère des Affaires étrangères à travers les ambassades et consulats ? Dans ce cas, quelles seront les relations fonctionnelles entre la structure autonome et les services du ministère de l’Administration territoriale et des Affaires étrangères ?
Pourrait-on au contraire transférer à la DGE en tant que structure autonome déjà opérationnelle, la totalité des opérations d’organisation et de gestion des élections ?
Ces défis quasi insurmontables rendent chimérique le montage par les autorités de la Transition d’une structure autonome d’organisation des élections dans les 18 mois impartis. Prôner la structure autonome, c’est faire preuve d’irréalisme et tendre au gouvernement de Transition, le piège du fiasco électoral du siècle dont on ne voit pas comment il pourrait se relever. Si elle veut épargner ce pays qui n’en peut plus, de nouvelles mésaventures post électorales d’envergure, la Transition a intérêt à ne pas tomber dans ce piège.
Aucun instrument conventionnel de structure électorale autonome au Mali
On entend certains se fonder sur de prétendues dispositions de la Charte africaine de la démocratie, des élections, et de la gouvernance du 30 janvier 2007 pour imposer à la Transition la mise en place de la structure autonome. La vérité à ce sujet est que la Charte africaine est beaucoup plus nuancée. La Charte africaine de la démocratie, des élections, et de la gouvernance du 30 janvier 2007 beaucoup plus prudente, n’impose aucune structure organisationnelle particulière aux Etats parties. En son article 17, la Charte les invite au Point (1) à « créer et renforcer les organes électoraux nationaux indépendants et impartiaux, chargés de la gestion des élections ». Cette formulation souple, ouverte aux cas de figure de gestion électorale par des départements ministériels, est tout à fait fidèle aux orientations sorties de la réunion des experts gouvernementaux des Etats membres de l’Union Africaine à laquelle nous avons eu le privilège de participer au nom du Mali à Addis-Abeba en 2006, et qui avait pour but d’examen le rapport relatif à la révision de la Déclaration de Lomé sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement et le projet de Charte africaine sur la Démocratie, les Elections et la Gouvernance.
Pas plus que la Charte africaine de la démocratie, des élections, et de la gouvernance, le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance du 21 décembre 2001, additionnel au Protocole relatif au Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité, n’impose rien au Mali. Son article 3 on ne peut plus clair à ce sujet, dispose : « Les organes chargés des élections doivent être indépendants et/ou neutres et avoir la confiance des acteurs et protagonistes de la vie politique. En cas de nécessité, une concertation nationale appropriée doit déterminer la nature et la forme desdits organes ». La Charte africaine de la démocratie, des élections, et de la gouvernance tout comme le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance la CEDEAO sont davantage focalisés sur les principes d’indépendance et/ou de neutralité de la structure responsable de l’organisation des élections.
La création de la structure autonome d’organisation et de gestion des élections ne peut que s’inscrire dans le moyen, voire le long terme. En attendant et dans la perspective des échéances électorales de sortie de Transition qui s’annoncent, il nous semble plutôt réaliste de contraindre l’Administration territoriale à plus de professionnalisme et davantage de transparence surtout dans l’ensemble du processus électoral.
Dr Brahima FOMBA Enseignant-Chercheur
Université des Sciences Juridiques
et Politiques de Bamako (USJPB)
sources : L’Aube