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Soumaïla Cissé, le président que le Mali n’aura jamais eu

ANALYSE. La disparition du leader de l’opposition malienne laisse un grand vide. Retour sur la biographie et l’héritage d’un poids lourd politique.

L’année 2020 restera comme l’une des plus sombres pour l’élite politique malienne. Après les décès du général Moussa Traoré le 15 septembre, puis celui d’Amadou Toumani Touré (ATT) le 10 novembre, c’est un autre mastodonte de la scène politique, Soumaïla Cissé, chef de file de l’opposition malienne, qui a rendu l’âme, des suites du Covid-19, le 25 décembre 2020 à Paris.

Pendant une trentaine d’années, il aura marqué la vie politique malienne par sa présence discontinue au deuxième tour des élections présidentielles. Trois fois finaliste malheureux (en 2002 contre Amadou Toumani Touré, en 2013 et 2018 contre Ibrahim Boubacar Keïta), il était considéré par presque tous les analystes politiques comme le favori des prochaines échéances électorales post-transitions, qui doivent en principe durer dix-huit mois. C’est donc dire à quel point sa mort brutale a provoqué l’émoi à la fois dans sa famille politique mais aussi au-delà, en raison de sa stature d’homme d’État. En effet, même s’il avait fortement contesté la réélection du président Ibrahim Boubacar Keïta en 2018, il est toujours resté républicain et légaliste, ne voulant jamais être l’homme qui mettra le feu au Mali par la rue.

Fraîchement libéré le 8 octobre après six mois de captivité aux mains des djihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) dirigé par Iyad Ag Ghali, ancien rebelle touareg, conseiller à la présidence du Mali, puis diplomate, devenu djihadiste, Soumaïla Cissé ne livrera pas une dernière bataille politique qui l’aurait probablement mené au palais présidentiel de Koulouba. Mais qui était Soumaïla Cissé ? Que retenir de son héritage politique ? Et en quoi sa disparition brutale rebat-elle les cartes sur l’échiquier politique ?

De l’université au sommet de l’État : un parcours d’excellence

S’il y a deux points sur lesquels partisans et détracteurs de Soumaïla Cissé seront d’accord, ce sont indéniablement son intelligence et son professionnalisme. Son parcours l’illustre parfaitement. Fils de Bocar, instituteur sorti de l’École normale William-Ponty, Soumaila Cissé, né le 20 décembre 1949 à Tombouctou, a une scolarité brillante qui le mène d’abord à Dakar, puis à Montpellier, où il se distingue dans les sciences mathématiques. Ingénieur en informatique et de gestion, il sort major de sa promotion à Polytech Montpellier (anciennement Institut des sciences de l’ingénieur de Montpellier, ISIM). Sa carrière universitaire est ensuite sanctionnée par un certificat d’aptitude d’administration des entreprises de l’Institut d’administration des entreprises de Paris (IAE) en 1981.

Sa carrière professionnelle commence alors au sein des grandes entreprises françaises. De 1977 à 1984, il travaille successivement chez IBM France, au groupe Pechiney France, au groupe Thomson France, et chez Air Inter France. Il rentre au Mali en 1984 et intègre la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT), fleuron de l’agriculture et de l’économie. Très rapidement, il devient directeur des programmes et du contrôle de gestion, puis directeur général par intérim en 1991.

C’est l’année du renouveau démocratique au Mali consécutif au renversement du régime de Moussa Traoré. Cissé fait partie, avec d’autres personnalités politiques, des fondateurs de l’association Alliance pour la démocratie au Mali (Adema), qui deviendra le parti politique Adema-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ). En 1992, la première présidentielle pluraliste au Mali porte au pouvoir le candidat de l’Adema-PASJ, Alpha Oumar Konaré. Celui-ci nomme Soumaïla Cissé secrétaire général de la présidence de la République du Mali. Sa carrière politique ne pouvait pas mieux commencer.

Il devient ministre des Finances de 1993 à 2000, poste auquel s’adjoint la responsabilité du Commerce à partir de 1994. Son expérience gouvernementale se clôt avec le super-ministère de l’Équipement, de l’Aménagement du territoire, de l’Environnement et de l’Urbanisme, qu’il pilote de 2000 à 2002.

Désigné candidat de l’Adema-PASJ à la présidentielle de 2002, à la suite de la démission d’Ibrahim Boubacar Keïta, et des primaires qu’il remporte face à Soumeylou Boubèye Maïga, il se qualifie pour le second tour avec 21,3 % des suffrages contre 28, 71 % pour Amadou Toumani Touré. Ses partisans protestent contre l’annulation de 541 019 voix par la Cour constitutionnelle qui, selon eux, est défavorable à leur candidat. Toujours est-il qu’il perd le deuxième tour face à la coalition de partis politiques (Espoir 2002) soutenant ATT.

L’archétype de l’élite politico-administrative : le technocrate devenu politique

Le politiste Ezra Suleiman parle d’« élite politico-administrative » pour qualifier les énarques et les grands corps administratifs et techniques qui caractérisent le champ politique français (V. Giscard d’Estaing ; J. Chirac. F. Hollande ; E. Macron ; S. Royal, D. de Villepin ; L. Fabius, etc.) en raison de leur double compétence – politique et administrative. Nous pouvons faire le parallèle avec la carrière de Soumaïla Cissé, toutes proportions gardées. Car les profils technocrates des énarques après un passage dans un ministère (comme conseiller ou ministre) descendent dans l’arène politique pour aller chercher une légitimité politique par le suffrage universel (Chirac et Hollande en Corrèze, Royal dans le Poitou-Charentes).

Le cas de Soumaïla Cissé est à peu près analogue, en ce sens qu’il va mettre son expérience technocratique au service de sa conquête du pouvoir et de son implantation sur l’ensemble du territoire national. Cette stratégie de reconquête commence par la création, en 2003, de son nouveau parti, l’Union pour la république et la démocratie (URD), parce qu’il estime avoir été trahi par les barons de l’Adema qui avaient appelé de manière implicite à voter pour ATT. La même année, il est nommé commissaire pour le Mali à l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).

Adepte d’une politique de gestion consensuelle, le président Touré le soutient dans sa candidature pour la présidence de cette institution ouest-africaine. C’est ainsi qu’il est désigné président de la commission de l’UEMOA de 2004 à 2011. Les progrès réalisés par l’organisation sous son leadership sont reconnus et salués à la fois par les États membres mais aussi par ses anciens collaborateurs. À partir de cette date, l’URD devient rapidement la deuxième force politique du Mali (présidentielle et législative). S’il faisait partie des favoris pour l’élection présidentielle initialement prévue pour 2012, le coup d’État militaire d’Amadou H. Sanogo change la donne, car les militaires vont appeler à voter pour IBK, de même que certaines associations et organisations islamiques, une sorte de coalition hétéroclite qui l’empêchera une fois encore d’être président. En bon perdant, Soumaïla Cissé se rendra le premier chez le président élu avec toute sa famille pour le féliciter, bien avant la proclamation des résultats.

Il devient député de son parti lors de la cinquième législature (2013-2020) à Nianfunké, sa ville d’origine. La dégradation des conditions sécuritaires et l’implosion de la corruption sous le premier mandat d’IBK font que d’aucuns le voyaient gagnant au scrutin de 2018. Mais, contre toute attente, IBK est déclaré vainqueur, avec des scores extrêmement élevés, surtout dans les zones occupées par les groupes militaires armés. Cissé conteste la légalité des résultats, et sa prédiction se révélera prémonitoire : « C’est moi ou le chaos. » IBK sera chassé du pouvoir deux ans et demi après sa réélection par une révolte populaire couronnée par un coup d’État militaire.

Que retenir de son héritage politique ?

Il est difficile de distinguer les partis politiques maliens selon les courants de pensée comme le communisme, le socialisme, la social-démocratie ou le libéralisme. Toutefois, Soumaïla Cissé était d’obédience libérale, eu égard à l’appartenance de l’URD au réseau libéral africain. La ligne idéologique de l’URD est le social-libéralisme, nous confiera un de ses conseillers, encore sous le choc de sa disparition.

On peut retenir de son héritage tout d’abord celui d’un combattant infatigable de l’enracinement démocratique au Mali. Éternel deuxième, il n’a jamais voulu utiliser la violence pour accéder à la présidence, se limitant aux recours devant la Cour constitutionnelle.

C’est ce que résume le vice-président de l’URD, Boubacar Karamoko Coulibaly :

« C’est d’abord le sens du combat qu’il a mené sur le plan politique : l’amour de la patrie, l’engagement pour le pays. Malgré tout ce qu’il a subi, l’homme est resté debout, au service du Mali, de la démocratie. »

Deuxièmement, il s’est toujours dressé contre les coups d’État militaires et a appelé à l’instauration des institutions démocratiques, notamment lors du putsch de 2012. Il en payera le prix fort avec le saccage de sa maison, où il est blessé à la suite de l’agression par des militaires venus l’arrêter. Il sera évacué pour être soigné à Paris.

Troisièmement, il a beaucoup pâti des fractures entre le nord (dont il est originaire) et le reste du pays. Sans entrer en profondeur dans ce débat, l’étiquette de nordiste (Sonrhaï) sera instrumentalisée par ses adversaires politiques pour le dénigrer alors même que sa femme Astan Traoré est une Bambara de Kolokani. Quant aux soupçons de malversations financières évoqués par ses adversaires politiques, il ne répondra jamais, comme une manière de leur signifier simplement d’apporter les preuves au niveau de la justice s’ils disaient vrai. Il s’est toujours déclaré serein sur n’importe quelle accusation.

Sa disparition soudaine redistribue les cartes sur le champ politique malien et, à coup sûr, « fait l’affaire » de certains de ses adversaires. Il avait selon les pronostics, on l’a dit, un boulevard devant lui. Mais sa mort soulève surtout un autre point crucial, celui de la survie ou non de son parti après la mort du leader. Joseph La Palombara et Myron Weiner, deux éminents politistes américains, nous avertissaient déjà depuis 1963 que c’était une condition sine qua non pour définir un parti politique. Les futures échéances électorales nous en apprendront certainement davantage.

Par Lamine Savane* pour Theconversation.com

Source : Le Point

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