Il y a trois villes en une seule dans la capitale sud-soudanaise Juba: la première est celle des rues poussiéreuses de la cité, plutôt calmes, mais avec toujours des tirs à la nuit tombée, trois semaines après le début du conflit qui a embrasé le pays.
Il y a trois villes en une seule dans la capitale sud-soudanaise Juba: la première est celle des rues poussiéreuses de la cité, plutôt calmes, mais avec toujours des tirs à la nuit tombée, trois semaines après le début du conflit qui a embrasé le pays.
Et puis il y a les deux camps de déplacés exhalant une odeur nauséabonde, où quelque 30.000 personnes s’entassent dans les bases de l’ONU.
La place manque à tel point qu’elles doivent dormir à tour de rôle sur le sol, abritées sous de fragiles abris faits de cartons ou de lambeaux de vêtements.
“Nous sommes venus ici parce qu’ils tuaient les gens”, explique Nyabor Gatwetch, une mère de cinq enfants âgée de 45 ans, qui a fui son village de la banlieue de Juba dès le début des combats le 15 décembre. “Les soldats se tiraient dessus entre eux… mais ils visaient aussi les habitants.”
Les combats au Soudan du Sud ont d’abord opposé des unités de l’armée fidèles au président Salva Kiir à d’autres unités loyales à l’ancien vice-président Riek Machar. Puis ces affrontements se sont transformés en conflit généralisé entre les troupes gouvernementales et une alliance hétérogène de milices ethniques et de commandants de l’armée mutins.
Le conflit a aussi pris une dimension interethnique, les Dinka de M. Kiir contre les Nuer de M. Machar.
Dans les camps de déplacés, nombreux sont ceux qui racontent des histoires sinistres de fouilles maison par maison avec exécutions sommaires à la clé.
Les deux parties sont accusées d’atrocités, et l’ONU a assuré qu’elle enquêterait sur les crimes contre l’humanité commis depuis trois semaines.
“Je ne rentrerai jamais chez moi, parce qu’ils me tueraient dès que je sortirais d’ici”, dit Gatwetch, le visage protégé par un masque. Elle vient de participer au nettoyage des latrines. Celles-ci viennent d’être creusées par les Casques bleus, mais il y a tellement de monde que les fosses sont vite remplies.
“Une ville dans la ville”
Des vêtements aux couleurs vives sèchent sur les barbelés qui entourent le petit terrain, une clôture qui rassure les déplacés.
Jusqu’au mois dernier, cet endroit était un terrain de sport pour les Casques bleus.
“Maintenant c’est devenu une ville dans la ville”, constate Toby Lanzer, le chef des opérations humanitaires de l’ONU au Soudan du Sud, criant pour se faire entendre alors qu’un camion klaxonne à tout va pour que la foule s’écarte. Il amène une citerne d’eau douce, distribuée parcimonieusement aux occupants du camp surpeuplé.
Sillonnant les allées du camp, des Casques bleus japonais patrouillent à bord d’un blindé. Le mitrailleur est en alerte.
“Quand les combats ont éclaté, les gens ont commencé à affluer dans nos bases”, raconte M. Lanzer. “Ils avaient peur pour leur sécurité. Nous avons ouvert nos portes, sans réaliser combien de personnes allaient entrer. Et il en arrive encore”.
Beaucoup ont fui dans la plus grande précipitation, ne prenant même pas le temps d’emporter quelques affaires. Dans la foule de déplacés, il y a des fonctionnaires, des hommes d’affaires et même des hauts responsables du pays.
Dans la base de l’ONU près de l’aéroport, environ 17.000 personnes se sont rassemblées pour y être protégées. Sur l’ensemble du pays, l’ONU a accueilli sur ses bases près de 57.000 personnes.
“Ils sont venus pour nous, tuant nos frères, nos camarades soldats”, dit un homme se présentant comme officier de l’armée, exhibant des documents pour le prouver.
“Faire ce que nous pouvons pour survivre”
“J’ai vu quelqu’un tué par balles, et alors, pendant que je courais, ils m’ont tiré dessus”, dit-il, demandant à ne pas être identifié.
A l’intérieur du camp, certains réfugiés ont commencé à s’organiser pour survivre, installant des prises de courant électrique alimentées par des groupes électrogènes bruyants pour recharger leurs téléphones mobiles, ou vendant des tasses de thé.
“Nous devons faire ce que nous pouvons pour survivre”, dit William Taban, qui fait payer la recharge des batteries de téléphone.
Beaucoup désespèrent d’avoir des nouvelles de leurs familles, car ils tentent de joindre des localités où les combats font rage, en particulier l’Etat pétrolier de l’Unité (nord). “J’ai appelé ma famille là-bas, il n’y a pas eu de réponse”, explique M. Taban.
“Je me dis que c’est parce que les pylônes téléphoniques ont subi des dégâts, mais je ne peux réprimer ma peur de voir la terreur de mes cauchemars devenue réalité”, ajoute-t-il.
Des hélicoptères de l’armée et de l’ONU volent au-dessus des têtes, provoquant la débandade et les cris des faucons, qui encerclent le camp et fouillent les ordures.
Les travailleurs humanitaires ont du mal à faire face, malgré les efforts énormes qui ont été faits.
“Ce camp s’est fait tout à coup, de nuit. Au début, les conditions étaient horribles et la situation sanitaire épouvantable (…) Mais, après des jours, des semaines, nous avons bien travaillé avec nos partenaires pour faire face aux besoins”, dit Doune Porter, membre de l’Unicef, montrant la nouvelle rangée de latrines tout juste construites.
Tout près de là, des enfants nagent dans des égouts d’eau noire alors que les mères essaient de laver des vêtements dans des tuyaux ruisselant d’immondices.
“Ce n’est pas ce dont nous avions rêvé pour notre nouveau pays”, dit James Puoch, montrant son T-shirt imprimé pour célébrer l’indépendance du Soudan du Sud en 2011. “Tout s’est écroulé.”
© 2014 AFP