C’est ce matin que débuteront au Centre international de conférences de Bamako, les travaux sur les états généraux de la décentralisation au Mali. C’est dans ce cadre que nous avons rencontré Richard Toe, ancien conseiller au ministère de l’Agriculture et ex agent de la CMDT. Ce natif de Kolongotomo, à la retraite, et qui connaît bien la décentralisation au Mali, a bien voulu répondre à nos questions.
Le Pouce : Monsieur Richard, pour le profane, qu’est- ce que la décentralisation ?
Richard Toe : Je suis très heureux de pouvoir répondre à cette question parce que j’estime qu’il y a un grand déficit d’information et de partage de concepts. La décentralisation est un outil politique destiné à l’émancipation politique de notre pays. C’est outil est destiné à ancrer la démocratie, à promouvoir le développement local, à libérer nos esprits du système colonial qui a banalisé notre culture et l’a réduit au folklore. La décentralisation se voulait un outil de transformation de notre société pour y introduire une gouvernance démocratique, partagée, dynamique ; et, adaptée à la culture et à la diversité du peuple malien. La décentralisation ne saurait être la source du conflit. Elle est, à mon avis, un outil de prévention et de gestion des conflits
Le Pouce : Pouvez-vous nous édifier sur la pertinence de la tenue de ces états généraux sur la décentralisation ? Pourquoi, maintenant ?
Richard Toe : Le Mali vient de sortir d’une crise et les interrogations sont énormes de part et d’autre. Je suis heureux que l’on revienne à comprendre que la décentralisation est la seule porte de sortie possible pour le Mali et aussi pour les autres nations africaines. Nous y avons mis de notre énergie matérielle et financière. Nous y avons laissé des plumes. Et, c’était pour le bonheur de notre pays. Ceux qui nous ont succédé, n’ont pas cru devoir l’appliquer correctement. Ils ont cru devoir prendre leur distance avec la science politique. Or, la politique étant une science, ne saurait être le travail des idiots. La décentralisation est un outil merveilleux que nous avons. Nous devons continuer à la mettre en route. Les jeunes ont le devoir de poursuivre et donner la bonne information à nos populations.
Le Pouce : Quelles sont, à votre avis, les lacunes de la pratique de la décentralisation au Mali ?
Richard Toe : Elles sont nombreuses de même que les difficultés. La principale difficulté, c’est l’Etat lui-même. L’Etat doit accepter l’idée que le peuple doit participer à l’exercice du pouvoir local. L’administration générale et les autres administrations rattachées, n’ont pas compris que l’intérêt du Mali, se trouve dans la mobilisation de son peuple pour son développement. Il n’y a pas de salut sans la mobilisation des Maliens pour leur propre développement. Le salut ne viendra ni de l’extérieur, ni d’un miracle et ni d’ailleurs. C’est, quand nous aurons compris que c’est nous-mêmes qui devons changer notre environnement politique, économique, la décentralisation sera une réalité. Nous courrons pour aller emprunter de l’argent à l’extérieur. Cependant, si chaque Malien adulte acceptait de donner le prix d’achat d’une chèvre (25 OOO FCFA), vous verrez ce que 5O % d’une population de 14 millions donnera. Enseignons à notre peuple la confiance en lui-même. Enseignons à notre jeunesse à avoir confiance en elle-même. Il n’y a pas de libérateur suprême. Et tous les peuples qui l’ont compris, se sont tirés d’affaires. Nous croyons que notre salut viendra de l’extérieur. C’est faux. Disons aux Maliens : « tu vaux quelque chose et tu peux faire quelque chose ». C’est ce que nous attendons en ce moment.
Le Pouce : Comment ces états généraux peuvent-ils servir de tremplin pour l’amorce de la paix et du développement durable ?
Richard Toe : Chaque gouvernement vient avec sa méthode de travail. On ne peut pas les reprocher quoi que ce soit.
Le Pouce : Décentralisation rime-t-elle avec autonomie ?
Richard Toe : Je sais que les gens confondent décentralisation et déconcentration. La décentralisation est un moyen par lequel l’administration locale, s’administre librement. La décentralisation ne donne pas un espace géographique tracé dans les limites des communes. On a fait en sorte que la loi indique que les communes ont une limite administrative mais pas géographique. Dans l’esprit de la décentralisation, on donne au peuple malien dans sa diversité, les droits et la possibilité de s’administrer librement. On ne peut pas donner l’Etat à chacun. Par contre, tout le monde peut faire chez soi l’administration. Dans l’autonomie, on introduit un concept de rupture avec l’Etat central. Je ne suis pas sûr que cela soigne nos maladies. Les uns et les autres ont besoin d’échanger pour vivre. L’autonomie demandée par mes cousins de l’Azawad renferme d’autres visions qui ne sont pas celles du développement. C’est des visions de rupture. Est-ce que l’Afrique a besoin de ça ? Est-ce que Afrique trouve son bonheur dans cela ? Je n’y crois pas. Aujourd’hui, on a besoin d’unifier nos intelligences pour combler nos insuffisances.
Le Pouce : Croyez-vous à la réussite de la décentralisation au Mali ?
Richard Toe : Je suis un militant de la décentralisation. J’ai mis toute mon énergie en traduisant la décentralisation en langue « bamanankan ». J’ai compris que c’est la voie à suivre. Ceux qui ne l’ont pas traduit et sont restés dans le déterminisme philosophique européen et qui disent que la France n’a pas reçu la décentralisation, doivent savoir que nous n’avons jamais connu la centralisation. Les gens piétinent notre histoire. C’est malheureux de constater qu’on a été organisés, qu’on a eu des Etats. C’est dommage que ce sont ces intellectuels qui sont les plus ignorants de la situation du Mali.
Le Pouce : La communication a-t-elle une place et un rôle à jouer dans la réussite de la décentralisation au Mali ?
Richard Toe : Ce n’est pas seulement dans la décentralisation. La communication, c’est 6O % de n’importe quelle entreprise que tu veux faire. La communication, c’est l’élément essentiel et c’est pourquoi, j’ai introduit la question des langues vernaculaires. Tourner le dos à nos langues, c’est tourner le dos au progrès, à la science sociale, à la culture et à son épanouissement. Nos intellectuels oublient qu’on cultive en bambara, en sonrhaï, qu’on élève en peulh. Hormis les fonctionnaires, les élèves qui vivent du français. Soyons sérieux dans notre pays en gardant à l’esprit que tout le pays sénoufo produit le coton en langue nationale. C’est ce qui fait notre richesse. Qu’est-ce que c’est, ce mépris de soi-même ? Il faut corriger ce déficit de la communication et très vite.
Le Pouce : Quelles sont vos attentes ?
Richard Toe : Dans nos pays, nous souffrons de la méthodologie de travail, de l’organisation. Comment donner la parole à 1OOO personnes et que chacun d’elle s’exprime comme elle l’entend en 3 jours. De ces états généraux, j’en attends, malgré tout, du bien. Les Maliens doivent comprendre qu’il n’y a pas de sortie de crise sans eux-mêmes. Personne ne peut leur construire une autoroute si eux-mêmes ne veulent pas s’en servir. Le Mali du Sud et le Mali du Nord, c’est des écologies, des espaces différents. Que les Maliens apprennent à gérer la diversité. Nos ancêtres l’on fait et comment nous, on échoue à ce stade ? Acceptons-nous les uns, les autres et le Mali sera mieux.
Source: Le Pouce