Étrange, tout de même, de ne pas avoir vu Rex Tillerson auprès de Donald Trump lors de l’annonce stupéfiante d’une prochaine et historique rencontre entre les leaders de deux pays techniquement en guerre, le président américain et le leader nord-coréen. En tant que secrétaire d’État, Tillerson est, en principe, le penseur et le faiseur de la politique étrangère des États-Unis. Comme tout se décide à la Maison-Blanche et nulle part ailleurs dans ce gouvernement, Trump a laissé Tillerson sur la touche. Vexant, mais Tillerson, il faut le dire, n’en est pas à un malaise près.
Il est resté stoïque plus tôt cette semaine, au premier point de presse d’une tournée de cinq pays africains, lorsqu’interpellé sur l’opinion de son patron sur ce coin du monde, vous vous souvenez, des « pays de merde ». Le diplomate en chef de 65 ans n’a pas cherché à nier la réalité, précisant simplement que la relation des États-Unis avec le continent noir était importante. UN DÉVELOPPEMENT FULGURANT C’est que Tillerson est forcé d’aller au-delà des mots et de passer à l’action, parce que d’autres nations voient clairement l’Afrique pour ce qu’elle est devenue (en plus d’une source quasi intarissable de ressources naturelles) : un continent qui connaît une explosion démographique, un enrichissement réel et une classe moyenne grandissante et de plus en plus dépensière. Comme par hasard, au moment même où l’Américain mène son entreprise de charme, son homologue russe, Sergueï Lavrov, dirige sa propre délégation à travers cinq pays africains : les Russes, aussi, ont des alliés à chouchouter. Tout a été organisé pour que les deux hommes s’évitent, mais ils ont, en fait, un intérêt commun majeur : contrer un rival beaucoup plus dynamique. Les planètes sont alignées pour les Chinois en Afrique ces temps-ci. L’administration Trump, pendant sa première année, s’est désintéressée du continent. L’actuelle visite de Tillerson est la toute première d’un membre quelconque de ce gouvernement républicain. Par ailleurs, la lutte au terrorisme se trouve au sommet des intérêts de cette tournée du secrétaire d’État, décrite comme un « voyage d’écoute ». Les Russes, de leur côté, ne veulent pas rater le train de la croissance africaine accélérée, et Lavrov ne se gêne pas pour évoquer les vieilles alliances soviétiques pour séduire ses hôtes. Sauf que Moscou, aujourd’hui, n’est plus ce Moscou de la Guerre froide qui dépensait sans compter pour contrer l’influence occidentale. VOUS AVEZ BESOIN DE COMBIEN ? À l’inverse, le slogan de Beijing en Afrique pourrait être : « Amenez-en des projets ! » Pendant que les investisseurs nord-américains et européens se montrent récalcitrants à placer leur argent dans des pays pauvres, les Chinois se révèlent souvent les seuls prêts à prendre le risque. À Addis-Abeba, en Éthiopie, Rex Tillerson a tenté de prévenir les Africains du danger de s’endetter auprès des Chinois : « Ils ne créent pas assez d’emplois localement, ne forment pas assez les gens pour qu’ils participent davantage à l’économie de leur pays dans le futur. » Peut-être, lui a-t-on rétorqué, mais regardez autour de vous : les trains de surface flambant neufs dans la ville, le chemin de fer qui relie la capitale éthiopienne à l’État portuaire de Djibouti et ce spectaculaire siège de l’Union africaine où vous donnez votre conférence de presse, tous financés par les Chinois. Vous, ils sont où, vos dollars ? Pas à un malaise près, que je vous disais.
Source: journaldemontreal