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Pr. Lamine Boubacar Traoré, expert des Nations Unies : «Ma mission en RCA me rend fier vis-à-vis de mon pays»

Expérimenté socio-anthropologue, Pr. Lamine Boubacar Traoré travaille depuis le 1ᵉʳ novembre 2019 en République centrafricaine (RCA) comme Coordinateur inter-agences pour la protection contre l’exploitation et l’abus sexuels.

Pr. Lamine Boubacar Traoré arbore sa médaille avec une légitime fierté devant son bureau à Bangui, en RCA

Il est ainsi rattaché au Bureau du Coordinateur résident et humanitaire des Nations unies en RCA. En reconnaissance de l’excellent travail effectué dans l’ombre sur le terrain, la «Médaille d’argent du travail» lui a été décernée le 30 avril 2025​ suivant un décret du président centrafricain, Pr. Faustin-Archange Touadéra. «Le Matin» a pu s’entretenir avec le très courtois et disponible expert des Nations ​unies pour parler de cette distinction, de sa mission en Centrafrique, de ses perspectives professionnelles, de l’avenir du continent à travers les jeunes… Interview !

-Le Matin : Qu’avez-vous ressenti comme sentiments en recevant cette «Médaille d’argent du travail» ?

Pr. Lamine Boubacar Traoré : J’ai reçu cette distinction avec beaucoup de fierté et de reconnaissance. Ce n’est pas tout le temps que le travail que nous faisons dans l’ombre est reconnu. C’est donc avant tout beaucoup de satisfaction, de reconnaissance et de fierté par rapport au travail que nous faisons ici en République centrafricaine.

-À qui la dédiez-vous ?

Pr. Traoré : J’ai déjà reçu la médaille de Chevalier de l’Ordre national du Mali que j’ai dédiée à un défunt grand frère. Celle-ci, je la dédie à toutes celles et à tous ceux avec qui je travaille ici ; au Groupe de travail spécialisé sur la violence basée sur le genre ; aux membres du réseau inter-agences contre l’exploitation et l’abus sexuels en République centrafricaine et à tous les acteurs qui travaillent sur les questions de protection, de promotion des droits humains, singulièrement ceux qui sont chargés de la protection des couches les plus vulnérables, des personnes affectées par les différentes crises qui affectent le pays frère de la République centrafricaine. Nous sommes plusieurs dizaines de personnes qui travaillent dans l’ombre pour la protection des plus vulnérables contre tous les abus possibles. Et cela mérite d’être salué !

-Au début de votre mission, est-ce que vous vous attendiez à une telle reconnaissance ?

Pr. Traoré : Non ! Je suis en RCA depuis le 1ᵉʳ novembre 2019, donc depuis plus de 5 ans. Je ne m’attendais pas déjà à rester aussi longtemps dans ce beau pays. Je ne pouvais donc pas m’attendre à une telle reconnaissance puisque je ne devais pas durer. Ma mission devait initialement durer 2 mois, après mon départ du poste de Secrétaire général du ministère de la Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille du Mali.

-Quelle est la spécificité de votre mission dans ce pays ?

Pr. Traoré : Tout comme au Mali où j’ai longtemps travaillé pour le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) en qualité de spécialiste des questions liées au genre et aussi de coordinateur inter-agences contre les violences basées sur le genre, en Centrafrique également mon domaine d’expertise porte également sur la protection des populations des bénéficiaires de l’assistance humanitaire contre les inconduites sexuelles. Depuis ma thèse de doctorat, il y a plus d’une vingtaine d’années, c’est toujours dans ce secteur que j’ai travaillé, sur les questions de protection des femmes et des filles contre les diverses formes de violences. C’est mon domaine d’intervention et d’expertise.

Le travail que je fais en RCA est dans la même veine ; la protection​ des​ couches les plus vulnérables, particulièrement les filles et les femmes, dans un contexte de crises politique, humanitaire et aussi de catastrophes naturelles. Les personnes les plus exposées aux violences sont les femmes et les filles à cause entre autres des stéréotypes de genre, des pesanteurs socioculturelles, l’inégalité d’accès aux ressources économiques, des places peu valorisées qu’elles occupent dans la société et qui engendrent souvent la discrimination et la violence.

Ici, en Centrafrique, je me suis occupé de la coordination pour le compte  de l’UNFPA et de l’équipe humanitaire-pays de tout ce qui est lié à la problématique de la violence basée sur le genre pendant deux ans (2019-2021). Et depuis, je m’occupe de la coordination inter-agences contre l’exploitation et l’abus sexuels qui sont des atteintes intolérables aux principes humanitaires et aux droits humains, qui, malheureusement, ne sont pas toujours très visibles mais ont des impacts très significatifs sur l’image et la crédibilité des entités humanitaires. Dans les contextes d’urgence, les personnes les plus vulnérables sont exposées à la violence sexuelle, souvent de la part de ceux-là qui sont chargés de les protéger et de les assister. C’est un travail extrêmement noble qui consiste à faire en sorte que l’aide, qui est inconditionnelle, gratuite, non discriminante et bienveillante, ne se transforme dans son utilisation en une forme de chantage sexuel pour les personnes qui sont dans les situations de forte vulnérabilité liées aux différentes crises.

Ma mission consiste à renforcer la collaboration entre les entités des Nations Unies et leurs des ONG (nationales et internationales) pour assurer la prévention au sein des équipes humanitaires ; de diffuser la bonne information au sein de la communauté ; d’aider aux enquêtes sur les cas décelés ; de renforcer les capacités des personnels  des Nations unies et des ONG ; d’aider au développement des supports de communication et de sensibilisation ; de suivre les actions en cours ; de contribuer à mobiliser les ressources pour la prise en charge des victimes. Je suis sous l’autorité du Coordinateur résident des Nations unies (en même temps coordinateur humanitaire) en République centrafricaine.

-Avez-vous rencontré des difficultés particulières par rapport à cette mission ?

Pr. Traoré : Non ! La République centrafricaine ressemble beaucoup au Mali. Nous sentons ici la chaleur africaine et malienne. Certes, le pays (bercail) nous manque beaucoup, mais ici, nous ne nous sentons pas étrangers, car c’est un peuple accueillant et hospitalier. Il (peuple) fait face à des difficultés liées aux différentes crises que le pays traverse depuis une vingtaine d’années. Mais, c’est un peuple résilient, pacifique qui n’aspire qu’à la paix.

En tant que fonctionnaire et expert travaillant pour les Nations unies, ma mission est d’aider les personnes les plus vulnérables en RCA. C’est une mission qui ne vous laisse pas d’espace pour penser à soi-même. N’empêche que c’est une mission exaltante qui est plus importante que les difficultés ponctuelles auxquelles on peut être parfois confronté à cause de la distance avec notre pays. La fierté de servir les Nations Unies, la communauté humanitaire et, quelque part, d’être comme l’ambassadeur du Mali en terre africaine de la Centrafrique, ne me laisse pas dans la perspective d’avoir des difficultés ou d’y penser. La mission est très importante, car elle honore l’expert que je suis et elle me rend fier vis-à-vis de mon pays.

-Qu’est-ce que, selon vous, le Mali et la Centrafrique ont réellement de commun aujourd’hui ?

Pr. Traoré : Ce sont deux pays africains, deux pays frères qui ont connu et qui connaissent encore des situations d’urgence liées à plusieurs facteurs. Ce sont aussi deux peuples résilients qui aspirent à la paix. La capacité et la force interne de ces pays, de ces populations, de ces communautés feront qu’ils vont émerger. Cet espoir, on le voit tous les jours avec des femmes et des hommes qui se battent pour relever et bâtir leur pays. Nos deux pays ont cela en commun.

Quand vous êtes là, souvent j’entends que nos deux pays (Mali et RCA) sont  des pays frères jumeaux parce que nous nous ressemblons beaucoup avec des populations confiantes en l’avenir de leur pays respectif. L’avenir sera radieux. Malgré les difficultés du moment, je suis convaincu que nos peuples peuvent les surmonter. Je lis l’espoir et l’espérance sur les visages des maliens et des frères Centrafricains que je rencontre tous les jours. Comme le Mali, la Centrafrique a longtemps prôné le panafricanisme. Le père de l’indépendance de la RCA, Barthélemy Boganda, était un panafricaniste affirmé comme les Modibo Kéita. Une génération qui croyait en l’unité africaine, à une Afrique prospère et unie. Cette fibre panafricaniste est restée ici aussi en centrafrique. Le fait que le pays s’appelle d’ailleurs République centrafricaine symbolise ce germe de l’unité africaine.

-Comment envisagez-vous la suite de votre carrière ?

Pr. Traoré : J’avoue que la perspective de retourner au pays est vivace. Après avoir servi comme professeur d’université pendant près d’une trentaine d’années et avoir formé des centaines de cadres qui sont aujourd’hui à de très haut niveau dans toute l’administration malienne (y compris des ministres qui sont aujourd’hui dans le gouvernement de transition),, au sein des entités des nations Unies et dans des ONG nationales et internationales , on ne peut s’empêcher de penser revenir servir et servir encore le pays. Nous sommes redevables à la patrie qui nous a offert l’éducation, des bourses pour aller étudier ailleurs… Je pense donc revenir tôt ou tard pour resservir mon pays.

 

-Un mot aux jeunes cadres du Mali et de la Centrafrique ?

Pr. Traoré : Comme on le dit souvent, la plus grande richesse de l’Afrique, c’est sa jeunesse. En tant que socio-anthropologue, je vois une nouvelle génération d’Africains éveillés, décomplexés et portés sur le panafricanisme. Il y a un retour au panafricanisme, cette fierté d’appartenir à un continent qui a de l’avenir et qui doit s’unir. Le temps de l’afro-pessimisme est révolu.

Aujourd’hui, la jeunesse doit et est en train de prendre son destin en main pour bâtir nos pays dans une dynamique décomplexée, où l’intérêt des peuples africains doit primer sur tout. Je suis convaincu que la jeunesse africaine, singulièrement malienne et centrafricaine, saura rebâtir le continent en l’amenant loin. J’en suis convaincu parce que je ne vois plus chez nos jeunes ce regard défaitiste. Bien au contraire, je les sens fiers et déterminés à relever les défis auxquels le continent fait face, notamment le Mali et la Centrafrique.

Propos recueillis par

Moussa Bolly

Source: Le Matin

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