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Passation des Marchés Publics par entente directe: De 2016 à 2018, 226 marchés d’un montant de 95 483 106 178 FCFA ont été passés par entente directe (La nouvelle forme de corruption et de surfacturation)

Le domaine des marchés publics bien que encadré n’est pas à l’abri de la corruption et la violation des textes. Dans les procédures de passation de marché publics, au niveau des départements ministériels, il y en a une qui retient l’attention. C’est l’entente directe. De 2016 à 2018, quelques 226 marchés ont été passés par entente directe au niveau des ministères. Un chiffre très élevé qui en dit long sur le caractère douteux de ces marchés qui sont volontairement soustraits aux principes de la concurrence, le plus souvent, pour des desseins inavoués. Dans ce dossier, nous nous intéressons aux raisons avancées par les autorités contractantes pour attribuer le marché par entente directe, le risque de surfacturation et la corruption dans ce type de marché.

L’entente directe, c’est lorsque l’autorité contractante engage les discussions qui lui paraissent utiles et propose à l’autorité compétente l’attribution du marché au soumissionnaire qu’il a retenu. Toutefois, ce mode de passation doit intervenir dans des contextes bien précis. D’abord le cas d’extrême urgence pour les travaux, fournitures ou services que l’autorité contractante doit faire exécuter en lieu et place de l’entrepreneur, du fournisseur ou du prestataire défaillant. Ensuite les cas de Catastrophes naturelles imprévisibles, indépendant de la volonté des parties et qu’elles ne peuvent surmonter en dépit de leur diligence et ne permettant pas de respecter les délais prévus les procédures d’Appel d’offre, nécessitant une intervention immédiate.

Aussi lorsque les besoins ne peuvent être satisfaits que par une prestation nécessitant l’emploi d’un brevet, d’une licence ou de droits exclusifs détenus par un seul entrepreneur et enfin, lorsque les marchés ne peuvent être confiés qu’à un prestataire déterminé pour des raisons techniques ou artistiques.

Malgré cet encadrement, l’entente directe est devenue le mode de passation préféré des départements ministériels sans que les raisons évoquées ne respectent les conditions exigées pour l’entente directe. Des raisons fallacieuses sont évoquées pour soustraire le marché à la procédure d’appel d’offre ouvert. La passation systématique des marchés publics au niveau des départements cache mal une nouvelle forme de corruption qui viole allégrement le code de passation des marchés publics et des délégations de services. Un business dans lequel il n’est pas à écarter des liens entre l’autorité contractante et l’entreprise bénéficiaire. Ce qui, sans doute, augmente les risques de surfacturations et de corruption.

Quelques exemples de marchés publics passés par entente directe  

Le marché de réhabilitation du tronçon Sandaré-Kayes du corridor Bamako-Dakar par le nord d’un montant de 85 440 466 462 FCFA a été attribué par entente directe à l’entreprise chinoise Covec.

Les raisons avancées pour conclure le deal sont la dégradation très avancée et le dépassement de la limite d’âge de vie de la route construite entre 2001 et 2003 avec un standard pour le trafic faible. En plus, le ministère des transports et des infrastructures avance l’importance du tronçon qui assure 60% des importations et exportations du Mali.

Le marché de réhabilitation du Lycée sportif Ben Oumar Sy en deux lots est attribué par entente directe pour le premier lot à l’entreprise Mamadou dit Sadio Samaké pour 396 144 981 FCFA et le deuxième lot à l’entreprise EN INTEGRAL Trading Sarl pour un montant de 103 838 407 FCFA. Le financement est assuré par l’exercice 2021 du budget national.

Les raisons que l’autorité contractante avance pour justifier l’entente directe sont peu convaincantes. Le département de la jeunesse et des sports évoque la dégradation avancée des infrastructures et la nécessité de respecter certains dispositifs sécuritaires compte tenu de sa situation géographique par rapport au fleuve Niger. Et en conséquence : « les travaux doivent être urgemment exécutés afin de permettre aux élèves d’effectuer une rentrée scolaire 2020-2021 dans un environnement sain », justifie le département pour passer ce marché par entente directe.

L’appréciation de la direction générale des marchés publics en dit long sur le caractère douteux du mode de passation choisi. « En réponse et après l’analyse du dossier par mes services techniques, je voudrais vous informer qu’au regard de ce qui précède, je marque mon accord à titre exceptionnel, à la conclusion desdits marchés par entente directe, et ce, conformément aux dispositifs de l’article 58 du décret N°2015-0604/P-RM du 25 septembre 2015, modifié, portant code des marchés publics et des délégations de service public », peut-on lire dans la correspondance de demande d’autorisation de passer par entente directe le marché relatif aux travaux de réhabilitation du Lycée sportif Ben Oumar Sy, en date du 9 novembre 2020, du Directeur général des marchés publics adressée au DFM du ministère de la jeunesse et des sports.

Le marché de réhabilitation du stade du 26 mars en 4 lots est attribué à la même entreprise Mamadou dit Sadio Samassékou par entente directe en deux tranches. Le montant de la première tranche s’élève à 498 219 600 FCFA. Quant à la deuxième tranche le montant du magot s’élève à 493 691 392 FCFA. Concernant le marché, l’autorité contractante évoque l’état de dégradation avancée du stade et le souci de pallier toutes surprises désagréables relativement à la délocalisation des matchs du Mali à l’extérieur, lors des compétitions, toutes catégories confondues de football. En conséquence, les travaux concernés doivent être urgemment exécutés afin de permettre au stade du 26 mars de répondre favorablement aux normes internationales. La direction générale des marchés publics a, de nouveau dérogé au respect strict des règles pour autoriser la passation dudit marché par entente directe, à titre exceptionnel.

A l’analyse, des raisons avancées par l’autorité contractante pour demander la passation par entente directe violent le code des marchés publics car les raisons avancées ne cadrent pas avec les conditions exigées par la loi pour une passation de marché par entente directe.

Gros risque de surfacturation

Le juteux marché de réhabilitation du tronçon Sandaré-Kayes du corridor Bamako-Dakar par le nord d’un montant de 85 440 466 462 FCFA a été attribué par entente directe à l’entreprise chinoise Covec. Mais le hic est qu’en plus du fait que le marché n’a pas été ouvert à concurrence, l’Etat s’est fait déplumer de plus de 15 milliards FCFA si on se réfère au montant initial (70 milliards FCFA) inscrit au budget de l’Etat (2021).

L’entreprise Covec qui a bénéficié ce privilège, au lieu d’être dans la fourchette, propose pour l’exécution des travaux un montant de 85 440446462 FCFA, une offre supérieure à ce qui est prévu dans le budget pour la réhabilitation du tronçon. Pourquoi et comment, l’Etat qui n’a ouvert ce marché à la concurrence doit payer plus que ce qui a été prévu ? Qu’est qui n’a pas marché ?

Dans une correspondance en date du 3 décembre 2020, frappée sceau de la confidentialité, le ministre de l’économie et des finances invitait son homologue des transports et des infrastructures, Makan Fily Dabo Sissoko, à procéder à une négociation avec l’entreprise Covec pour revoir son offre à un niveau plus acceptable.

Cette requête du patron de l’hôtel des finances est tombée dans l’oreille d’un sourd. Dans le procès verbal de négociation avec l’entreprise Covec-Mali. Le montant de l’offre de Covec au départ 89 212 679 276 FCFA a été ramené par l’administration à 86 741 590 317 FCFA toutes taxes comprises. A la suite des discussions avec les représentants de l’Etat, l’entreprise a fait un rabais de 1,5% sur le montant global de l’offre. Ainsi, le montant total corrigé de l’entreprise après rabais a été ramené à 85 440 466 462 FCFA.

Pour le Directeur Général des Marchés Publics, M. Seybou Mariko, que nous avons rencontrés, l’entente directe présente des risques de surfacturation.

« Nous redoublons de vigilance car nous sommes dans un ensemble, il ne faut pas que nous soyons mal noté au niveau régional ».

Pour lui, il n’est pas question de laisser les autorités contractantes abuser de ce mode de passation de marché public qui, pourtant, est bien encadré par la loi.

L’Autorité de Régulation des Marchés Publics et des Délégations de Service Public (ARMDS) a réalisé un audit des marchés passés par les départements ministériels, par entente directe, de 2016 à 2018.Dans un rapport d’audit publié en novembre 2020, le nombre total de marchés identifié s’élève à deux cent vingt (226) marchés représentant un montant de 95 483 106 178 FCFA.

Parmi le lot, le nombre de marchés audités s’élève à cent quatre-vingt-dix (190) pour un montant total de FCFA quatre-vingt-deux milliards cinq cent quatre-vingt-dix-huit millions huit cent trente-sept mille trois cent soixante-dix-sept (82 598 837 377), soit 84% en nombre et 87% en valeur.

De l’avis des auditeurs : 179 des 190 marchés audités (soit 94% en nombre) dans les 22 Ministères pour un montant de FCFA 81 271 279 682,00 (soit 98% en valeur) sont non conformes au regard des dispositions prévues par le code des marchés publics et les directives des bailleurs de fonds ; Seulement 11 des 190 marchés audités (soit 6% en nombre) dans les 22 Ministères pour un montant de FCFA 1 309 959 952 (soit 2% en valeur) sont conformes avec des insuffisances au regard des dispositions prévues par le code des marchés publics et les directives des bailleurs de fonds. Aucun marché audité n’est déclaré conforme sans irrégularité.

Concernant le respect des conditions de recours à l’entente directe, les auditeurs affirment que sur les cent quatre-vingt-dix (190) marchés audités au sein de vingt-deux (22) ministères et institutions, seuls 23 marchés, soit environ 12% des marchés pour un montant de 4 869 114 374,00 francs CFA, soit environ 6% du montant total, respectent les conditions de recours à l’entente directe. Les cent soixante-sept (167) autres marchés, soit environ 88% des marchés pour un montant de 77 729 723 003 francs CFA, soit environ 94 % du montant total ne respectent pas les conditions de recours à l’entente directe. En effet, les autorisations de recours à la procédure par entente directe ne sont pas en adéquation avec les dispositions de l’article 58, en ce sens que l’urgence le plus souvent évoquée résulte plus d’un défaut de planification ou de dysfonctionnement (défaillance) des services qu’une urgence impérieuse motivée par des circonstances imprévisibles ou de force majeure. Les détails des différents motifs évoqués pour le recours à la procédure de l’entente directe par marché sont contenus dans le paragraphe $ 5-2 de chaque rapport de synthèse par ministère (tableau des motifs du recours à l’entente directe). Le tableau et le graphique ci-dessous donnent la situation sur la conformité des autorisations à l’article 58.2 du Code Général des Marchés Publics.

Le Bureau du Vérificateur Général doit s’intéresser aux procédures de passation des marchés publics au niveau des départements ministériels.

Daouda T. Konaté

Source: L’Investigateur

 

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