Mercredi dernier, 10 avril 2024, le conseil des ministres du Mali, dans ses résolutions, a décidé de suspendre tous les partis et associations à caractère politique du Mali, « pour préserver l’ordre public ».
Deux semaines avant, le 26 mars 2024, exactement, la Transition malienne prenait fin officiellement. A cette occasion, il y a eu un « réveil » des partis politiques. En effet, le lendemain de la date de l’expiration officielle, les partis politiques qui hibernaient depuis le coup d’Etat, ont mis en place un regroupement dénommé « les Partis, regroupements de Partis et organisations de la société civile signataires de la déclaration du 31 mars 2024 ». Cette déclaration demande aux militaires de donner un chronogramme et de tout faire pour un retour à l’ordre constitutionnel normal cette année même. Et pour faire comprendre qu’ils sont au sérieux, les signataires, plus de 30 partis et organisations, proposaient des actions, dont des conférences, des marches et des actions en justice.
Il n’a pas fallu plus pour que le conseil des ministres de ce 10 avril, « malgré la volonté et la disponibilité des autorités à agir avec le consensus du peuple et la clarté des dispositions législatives et règlementaires qui encadrent les actions des partis politiques et des autres formes d’organisations à caractère politique, les actions de subversion des partis politiques et de leurs alliés ne font que se multiplier. Au regard de ces constats, pour raison d’ordre public, le projet de décret adopté suspend les activités des partis politiques et les activités à caractère politique des associations jusqu’à nouvel ordre sur toute l’étendue du territoire national. »
La partie se corse. Les militaires ont dénoncé l’Accord d’Alger, le cadre juridique de négociation entre l’Etat central et les rebelles. A la place, ils ont nommé une commission chargée d’animer un « dialogue inter-Maliens ». Déjà, en réaction au communiqué du conseil des ministres, « les parties signataires de la déclaration du 31 mars 2024 », « rejettent le décret et affirment qu’à partir de cet instant, elles vont non seulement l’attaquer devant toutes les juridictions nationales et internationales indiquées, mais aussi qu’elles ne participeront, dans ces conditions, à aucune activité organisée par le gouvernement, y compris le soi-disant dialogue inter-Maliens ».
Les mêmes causes
Sadou Abdoulaye Yattara, Journaliste, Coordinateur de l’Institut pour la Démocratie et l’Education aux Médias (IDEM), dans son analyse fait remonter loin les raisons. « Tout le monde, en particulier le pouvoir actuel se rappelle comment a été affaibli et est tombé le régime de IBK. Tout est parti de la classe politique et des organisations à caractère politique. Or, même l’analyste le moins doué comprendrait qu’autour de fin mars dernier, il y a eu un regain d’activités politiques qui desservent la gouvernance actuelle. Il y a comme une réorganisation des forces politiques. Et leurs préconisations et déclarations ne souffrent d’aucun mystère : il faut maintenant aller à un régime constitutionnel normal. Rapidement ».
Selon Hamidou Doumbia, secrétaire politique du parti Yelema, certaines formations politiques tentent néanmoins de jouer leur rôle. « Récemment, Yelema a offert des vivres aux déplacés de Macina et de Bandiagara dans le centre du pays. Lorsqu’un bateau a été attaqué, nous avons été les premiers, bien avant le gouvernement, à envoyer 1 500 000 F CFA aux rescapés comme soutiens symboliques. Nous produisons des communiqués, nous tenons nos instances. Nous n’avons jamais refusé de prendre la parole publique et nous animons le débat public », explique Doumbia.
Moctar Sy, Président du mouvement « Génération engagée », pointe une « crise de confiance » entre les partis politiques maliens et les populations. « Cela constitue un frein qui les empêche de mener à bien leurs missions et activités dont la formation des militants et la préparation des élections », explique-t-il.
« Les gens n’arrivent plus à s’exprimer, à revendiquer leurs droits. Le cas de Madame Rokia Doumbia dite Rose Poivron, qui a été emprisonnée pour plus d’un an, pour avoir dénoncé la vie chère est emblématique », explique M. Cissé, journaliste, analyste politique.
Moctar Sy conseille de tenir compte des nombreux facteurs qui entravent le fonctionnement normal des partis politiques, surtout sous un régime de transition militaire : suspension et/ou remise en cause des activités des partis, situation sécuritaire du pays, pressions du pouvoir militaire désireux d’imposer son agenda, conflits… ». Du coup, continue-t-il, « il y a une remise en cause permanente de l’action politique et un lien de confiance qui se brise petit à petit entre les acteurs politiques et leurs électeurs. Il est évident que le champ d’action des partis est restreint aujourd’hui. Les partis sont presque devenus aphones ».
Ceux qui ont voulu sortir des sentiers battus sont soit en prison, soit en exil. C’est le cas de Adama Ben Diarra, dit Ben Le cerveau, président du Mouvement « Yerwolo débout sur les remparts ». Ce Mouvement a été très actif dans le départ du président IBK et son président qui enchainait meeting et invectives contre les forces étrangères et « les ennemis du Mali », était un grand soutien des militaires et membre influent du Conseil national de Transition (CNT). Il est actuellement en prison, officiellement pour « atteinte au crédit de l’Etat », officieusement, pour avoir appelé au respect du chronogramme de sortie de la Transition.
« Je ne suis pas surpris par la décision au regard de la situation politique complexe qui prévaut. Je pense qu’elle est une suite logique à la démarche longtemps entreprise pour garder le pouvoir aussi longtemps que possible. Pour perdurer, les autorités de la transition, à l’instar de tout régime militaire, écartent toutes les forces qui peuvent constituer une menace et/une quelconque pression sur elles. La pression extérieure étant écartée avec le retrait du Mali de la Cedeao, le renvoie de la Minusma etc., le moment serait venu de contenir la pression interne. En termes de conséquences possibles, il faut s’attendre à une réorganisation de la classe politique et de la société civile suite à des défections de militants de dernière minute, une répression des leaders récalcitrants et une éventuelle confrontation violente », explique Diaffé Bagayoko, analyste politique.
Les OSC dans tout ça ?
Pour Sadou Yattara, « les autorités, qui savent, disons tout, ont certainement un scénario, un plan au cas où la situation se dégrade comme à l’ère IBK. J’imagine que c’est pourquoi, elles ont commencé à avancer à pas d’escargot en suspendant des OSC avec les qualitatifs qu’on connaît. L’absence de réaction concertée et surtout vigoureuse à la fois des OSC et des politiques serait un test de réussite. C’est pourquoi, il faut avancer. Le résultat probant est ainsi la suspension des activités des partis et des organisations à caractère politique. Pour dire qu’il serait réducteur de penser que cette mesure est seulement liée aux récentes sorties des partis. Quelque part, on est même tenté de penser que le pouvoir est en train de mettre ses pendules à l’heure, de se rattraper en quelque sorte en faisant aujourd’hui ce qu’il aurait dû faire aux premières heures de leur arrivée au pouvoir. Aussi, à mon humble avis, cette décision de suspension est un recul pour la Transition malienne. Dans le cadre d’un dialogue Etat/ Partis politiques, on pourrait sans doute trouver mieux. Or, la mesure sonne comme si on a plus besoin d’apport des politiques quand bien même les politiques sont partout : institutions de la République, Collectivités territoriales, diverses entités travaillant pour la réussite de la Transition etc. Il faut juste espérer qu’il n’en résultera pas un chaos général car le pays a de nombreux challenges à relever ».
Aminata Agaly Yattara
Encadré
La presse en victime collatérale
Dans un communiqué, la Haute autorité de la communication et de l’audiovisuelle (HAC) interdit aux organes de presse de couvrir, suite à leurs suspensions, les activités des partis et associations politiques.
En réaction, les présidents des faîtières de la presse se sont rencontré et ont produit un communiqué dénonçant cette décision.
Affaire à suivre
Aminata Agaly Yattara