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Otage au Mali : une enquête exclusive sur le dossier Drissa Sanogo, deux ans après son rapt

Alors qu’il se rendait à Gourma-Rharous où il servait l’Etat malien, le préfet Drissa Sanogo a été enlevé par des hommes armés. C’était le 02 mai 2020. Deux ans après son rapt, nous avons enquêté pendant trois semaines sur l’état de son dossier.

Drissa Sanogo était le préfet du cercle de Gourma-Rharous. Poste qu’il occupait depuis 2018 après avoir servi dans des zones comme Bafoulabé et San. Le 02 mai 2020, il est enlevé entre Tombouctou et la ville de Rharous, aux environs de 16 h GMT. Il quittait la ville de Tombouctou pour regagner son poste juste après les élections législatives de 2020.

Selon les informations de sa famille, recoupées auprès d’autres sources, ils étaient cinq personnes arrêtées au cours de leur voyage. « Qui est le préfet [parmi vous] », ont-ils demandé puisque la cible était en civil ce jour-là dans le véhicule. Les autres ont été libérés sur le champ.

Son enlèvement avait fait écho à l’époque dans les journaux. Dans un élément de Serges Daniel pour un média étranger, mis en ligne le 05 mai 2020, on explique que « ses ravisseurs conduisaient trois motos : ils l’ont obligé à monter sur un des engins [et] les autres les ont suivis ». D’après le récit du journaliste-écrivain franco-béninois, il a été conduit vers un véhicule 4×4 en attente « à une quarantaine de kilomètres plus loin » du lieu où s’est passé le rapt.

Ils l’ont acheminé vers un endroit non connu pour le reste. Par qui ? « Le préfet Sanogo a été enlevé par le JNIM [Jamaat Nosrat el-Islam wal-Muslimin] juste après les élections législatives », laisse entendre à Sahel tribune une source sécuritaire originaire de la localité. « A l’époque, le JNIM enlève les personnes travaillant ou ayant des liens avec le gouvernement et ses alliés », ajoute notre source sécuritaire.

Lettres

Suite à son rapt, des intermédiaires ont proposé rapidement à l’État leur service en vue d’obtenir sa libération. « Mais il fallait payer 10 000 000 de francs CFA (15 000 euros) », évoque l’article ci-mentionné. Interrogés sur l’histoire de ces dix-millions, ses enfants nous relatent avec réserve que « ces négociations ne sont plus apparemment d’actualité ».

Ce qui est sûr, poursuivent-ils, « après la marche pacifique de ses collègues [15 octobre 2020, à Bamako], il y a un commerçant qui s’est proposé à payer la rançon pour qu’il soit libéré si le gouvernement arrive à trouver un terrain d’entente avec  ses ravisseurs ». Comme « rien ne s’est passé par la suite », la famille dit avoir perdu contact avec ce dernier.

Autre information : selon sa famille, le préfet Drissa Sanogo est en vie aux dernières nouvelles, mais malade surtout avec le poids de l’âge (68 ans à la date de son rapt). Comment l’ont-ils su ? A travers des lettres à la dizaine près dont deux reçues par l’intermédiaire d’une organisation humanitaire non gouvernementale, reconnue d’utilité publique par l’Etat malien depuis septembre 1965 (décret). Parmi ces lettres à la dizaine près, certaines ont été livrées via un autre canal. « Il nous envoie des lettres pour nous donner de ses nouvelles. Il nous dit qu’il a besoin des médicaments car il est malade », nous confie un de ses enfants cadets.

D’après ce dernier, il devait opérer ses yeux après son retour de son lieu de service. Mais « malheureusement », il a été enlevé. Il se plaint de ses yeux et d’autres maladies comme le palu. « On lui envoie des médicaments à chaque fois qu’il en demande. C’est comme cela qu’on sait que notre père est encore en vie et [l’organisation humanitaire non gouvernementale] nous aide à nous faire parvenir ses lettres », poursuit-il.

Aussi faut-il le rappeler, il y a quelques mois, le préfet Drissa Sanogo et le sous-préfet de Farako Ali Cissé sont apparus pour la première fois dans une vidéo publiée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, «JNIM »). A en croire les confidences d’un préfet en service dans l’une de régions au septentrion du pays, contacté, ils sont à ce jour leurs seuls collègues encore en otage : l’un enlevé dans la région de Tombouctou (Drissa Sanogo) et l’autre dans celle de Ségou (Ali Cissé, 13 décembre 2019).

Chéquier

Selon nos informations, depuis son enlèvement, des négociations ont été engagées par l’État malien qui n’ont malheureusement pas donné de suite jusqu’aujourd’hui, mais elles continuent toujours. « Le Gouverneur de Tombouctou et les autorités de Gourma-Rharouss, où il servait, continuent de multiplier les efforts malgré tout pour obtenir sa libération », indique cette autre source sous anonymat. Il y a quelques mois, poursuit notre source, « un nouveau préfet a été nommé » à la tête de la préfecture de Gourma-Rharouss.

D’après les résultats de nos recherches, il s’agit du colonel Mamadou Sékou Traoré qui est nommé à ce poste lors du conseil des ministres malien du 23 mars 2022. Avec comme premier adjoint, l’administrateur civil Lamine Kouyaté, nommé au même conseil des ministres.

S’agissant du cas de Drissa Sanogo, avec son enlèvement, la situation est devenue intenable pour sa famille. Cinq mois après son rapt, le chéquier du patriarche de la famille – qu’il leur avait laissé – est épuisé. Par conséquent, sa famille ne peut plus toucher à son salaire. « Le gouvernement nous aide avec une somme chaque trois mois puisque le chéquier de mon père est fini cinq mois après son enlèvement », raconte un de ses fils ainés qui dit se battre pour la famille.

Pour avoir accès à son compte, poursuit-il, « la banque nous a demandés un papier devant être délivré par le ministère de l’administration territoriale et légalisé à la mairie, qui atteste qu’il est enlevé. Mais [l’Etat malien] a préféré procéder autrement au lieu de ‘’débloquer’’ le salaire pour la famille. »

Premier clip officiel d’Amadou Kébé dit Dr Keb, rappeur et auteur compositeur malien, après sa libération des mains de ses ravisseurs. Ex-otage enlevé dans le cercle de Gourma-Rharous. « ABANA [c’est fini] », compte YouTube Dr KEB Officiel.

Pour certaines de nos personnes ressources contactées, c’est un cas techniquement difficile à traiter étant donné que les cas d’enlèvement des fonctionnaires de l’Etat – dans l’exercice de leurs fonctions – ne sont pas prévus dans la législation malienne en vigueur. Celle-ci date de décembre 2002, mais il existe un projet d’ordonnance portant sa modification qui est adopté lors du conseil des ministres du 29 décembre 2021. Ces cas d’enlèvement, poursuivent nos personnes ressources, peuvent cependant être traités exceptionnellement, ou socialement comme le paiement de certaines primes à la famille, notamment celles dues à celle-ci, en attendant.

Aussi, apprend-on auprès de sa famille, le septuagénaire Drissa Sanogo a fait valoir ses droits à la retraite le 1er janvier 2022 alors qu’il est toujours en otage. Près de trois mois avant, le 24 octobre 2021, toujours à son absence, « un » de ses enfants cadets s’est marié(e).

Nous avons contacté le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, porte-parole du gouvernement, et le syndicat autonome des administrateurs civils [resté en contact avec la famille de leur collègue] : ils n’ont pas souhaité répondre à nos préoccupations au moment où nous avons décidé de mettre cet article sous presse après plusieurs jours d’attente et de rappel.

Sagaïdou Bilal


  • Cet article d’enquête est écrit dans le cadre du projet Kenekanko de l’Observatoire citoyen contre l’impunité et pour la redevabilité — OCCIPRE, un consortium de Tuwindi, Amnesty International Mali et Free Press Unlimited (en partenariat avec la Délégation de l’Union européenne au Mali).
  • Vous pouvez aussi (re) lire : Au Sahel, la question des otages en débat, écrit par Sagaïdou Bilal pour Benbere et publié le 7 décembre 2020.
  • Par souci de protection de nos sources, au regard de la situation actuelle du pays, nous avons opté d’emblée pour l’anonymat dans la rédaction de cet article.

Source: Sahel Tribune.

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