Depuis l’époque coloniale, le Ghana a bâti sa renommée sur l’extraction de l’or. Aujourd’hui encore, ce métal précieux constitue l’un des piliers de son économie nationale. Grâce à des gisements riches et accessibles, le pays s’est imposé comme le premier producteur d’or en Afrique, dépassant même l’Afrique du Sud, longtemps considérée comme la référence du secteur. Cette performance repose à la fois sur des exploitations industrielles bien établies et sur un tissu dense de petites mines artisanales réparties à travers le territoire. Mais cette position de leader cache une faille inquiétante : une partie significative de la production aurifère quitte le pays sans être déclarée, entraînant des pertes économiques colossales.
L’or ghanéen échappe au radar
Entre 2019 et 2023, le Ghana aurait vu disparaître sans trace plus de 200 tonnes d’or. Ces pertes, mises en lumière par une enquête menée par l’organisation Swissaid, ne proviennent pas de fluctuations naturelles ou de baisse de rendement. Il s’agit de volumes extraits et expédiés hors du pays, mais jamais enregistrés dans les statistiques officielles. Le décalage observé entre les données des douanes ghanéennes et celles publiées par les pays importateurs laisse apparaître une brèche estimée à plus de 10 milliards de dollars.
Le phénomène est particulièrement lié à l’activité des petits exploitants, qui opèrent souvent de manière informelle. Ces mineurs artisanaux, bien qu’ils assurent environ un tiers de la production aurifère nationale, évoluent dans un univers peu régulé, où les transactions échappent souvent à toute déclaration. L’or est ainsi exporté par des voies détournées, via des circuits marchands alternatifs où les contrôles sont quasi inexistants. Cette évasion massive prive l’État de recettes fiscales essentielles et empêche tout suivi rigoureux du commerce du métal.
Une manne détournée au détriment du pays
Pour un pays confronté à des défis économiques majeurs, perdre autant de ressources constitue un véritable coup dur. Les fonds qui auraient pu être mobilisés pour renforcer les infrastructures, financer la santé ou l’éducation, ou encore stabiliser la monnaie nationale, s’envolent dans des filières opaques. Alors que les institutions publiques sont souvent contraintes de solliciter l’aide extérieure, notamment du Fonds monétaire international, ce manque à gagner pèse lourd dans les équilibres budgétaires.
Le paradoxe est criant : alors que l’or reste l’un des principaux leviers de croissance du Ghana, une part importante de sa richesse minière échappe totalement à son contrôle. En parallèle, les grandes compagnies minières opérant dans des conditions encadrées sont soumises à des obligations fiscales strictes, renforçant le sentiment d’un système à deux vitesses.
Revaloriser le secteur artisanal, encadrer les flux
Face à ces constats, un changement profond de cap s’impose. Il ne s’agit pas de marginaliser les milliers de familles vivant de la petite exploitation, mais de leur offrir un cadre qui garantisse à la fois leur activité et les intérêts nationaux. Cela passe par une formalisation accrue du secteur, une meilleure traçabilité de l’or produit, et des mécanismes incitatifs pour encourager la déclaration.
Il est aussi nécessaire de renforcer les capacités de surveillance douanière, de moderniser les outils statistiques, et de nouer des coopérations internationales pour suivre le parcours de l’or au-delà des frontières. Tant que ces mesures ne seront pas appliquées de manière rigoureuse, le pays continuera de perdre ce qu’il extrait, au profit d’un commerce parallèle qui prospère sur les failles du système.
Le Ghana a tout à gagner à reprendre le contrôle de son or. Non seulement pour garantir un meilleur partage de ses ressources, mais aussi pour préserver sa souveraineté économique face à une industrie mondialisée où la transparence reste encore trop souvent optionnelle.
Source: lanouvelletribune