Il est de coutume qu’après une guerre, on tire les enseignements à travers une commission d’enquêtes qui en situe toutes les responsabilités. Pour le moment, point de référence à une telle initiative de la part des nouvelles autorités. Qui, au contraire, s’empressent de jeter l’opprobre sur le président Amadou Toumani Touré, accusé « d’avoir facilité la pénétration et l’installation des forces étrangères sur le territoire national”. Et surtout, d’avoir accueilli et distribué des millions de nos francs à des rebelles pour combattre le peuple malien.
Le retour des libyens au nord du Mali ? Leur accueil ? Quelle est la réalité de cet argent remis à des rebelles ? L’occupation des régions du nord ? A quand une commission d’enquête nationale ou sous l’égide des Nations Unies pour établir les responsabilités dans l’occupation des régions du nord du Mali ? Réponses et interrogations ?
Le président Amadou Toumani Touré n’a ni facilité la pénétration et l’installation des forces étrangères sur le territoire national, ni donné à des rebelles des millions, encore moins trahi le peuple malien. Le chemin le plus court de s’en convaincre, c’est de mettre en place une commission d’enquêtes nationale ou même internationale avec la présence des forces onusiennes dans notre pays. Nous y reviendrons.
Le retour des déserteurs
Le débat au sujet de rebelles bombardés de millions est parti de la crise libyenne, avec le retour d’un fort contingent de soldats touaregs maliens et/où originaires du Mali qui ont pris une part active dans les combats au déclenchement de la rébellion libyenne aidée par les forces de l’OTAN. En plus de ces soldats déserteurs (qui ont tout simplement trahi Kadhafi), il y avait des civils dans le lot des revenants. Aucune statistique officielle n’avait pu être établie pour déterminer le nombre exact de civils et de soldats libyens qui avaient regagné le pays, à partir d’octobre 2011. Dans les régions de Kidal et de Tombouctou, des commissions ont été installées par les autorités de l’époque afin de les accueillir, les installer sur des sites et procéder à leur recensement. Mais, il y a eu des difficultés.
En effet, les « Libyens » sont revenus par vagues successives. A leur arrivée, certains d’entre eux ont directement pris attache avec les autorités pour signaler leur présence afin d’être pris en charge. D’autres, par contre, ont préféré la voie de la clandestinité. Ils sont rentrés à Tombouctou sur la pointe des pieds et se sont confondus aux populations.
Heureusement, c’étaient essentiellement des civils dont des enfants et des femmes.
A Kidal, la situation se présentait différemment. Les soldats « libyens » y sont arrivés par groupes et souvent lourdement armés. Pendant que certains sont venus de la Libye en traversant le vaste territoire algérien, d’autres sont passés par le Niger. Ils ont été accueillis aux frontières d’avec ces deux pays voisins. Dès leur arrivée, ces soldats ont été installés à une trentaine de kilomètres de Kidal. Là, un site d’accueil avait préalablement été identifié par les autorités.
Au niveau de ce site, près de 600 soldats se sont installés sous la supervision du colonel-major El Hadj Gamou, chef d’Etat-major adjoint de la présidence de la République. Il avait été dépêché à Kidal par le chef de l’Etat, lui-même. Pour plusieurs raisons : il a été commandant de zone à Gao et Kidal, il a servi dans l’armée libyenne et gardé des contacts avec nombre d’officiers et de soldats touaregs de l’armée libyenne, et Gamou a toujours voué sa fidélité à l’armée et au drapeau malien. C’est donc cet officier émérite qui a eu la responsabilité de conduire la mission chargée d’accueillir et d’installer les soldats libyens de la région de Kidal.
Le geste financier
Mais, dès leur arrivée, les premières difficultés sont apparues. En effet, depuis la Libye, ces soldats d’origine malienne s’étaient regroupés sur la base d’appartenance tribale. Les Ifoghas et les chamanamass d’un côté, de l’autre les Imghad.
Les Imghad, sous l’autorité de Mohamed Ag Bachir, un certain colonel de l’armée libyenne, ont automatiquement remis leur arsenal aux autorités. Ils ont par ailleurs inscrit leur retour dans le cadre du respect strict de la légalité et de celui de la République. Par la suite, ils ont combattu aux côtés de l’armée malienne. Ils ont vaillamment défendu Kidal jusqu’au bout…
Par contre, d’autres soldats ont préféré se retrancher dans les montagnes. Ce sont majoritairement des éléments appartenant aux tribus Ifoghas et chamanamass.
Les autorités du pays ont multiplié les gestes de bonne volonté à l’adresse de l’ensemble des soldats loyalistes et des civils qui avaient fui la Libye.
Le geste financier du président Amadou Toumani Touré, qui suivait personnellement l’évolution de la situation dans les régions de Kidal et de Tombouctou, rentrait justement dans ce cadre.
Pour le cas précis des 50 millions de FCFA, ce sont le colonel-major Gamou, le colonel Meydou et Abdramane Ag Gala, vice consul à Tamanrasset, qui ont demandé expressément au chef de l’Etat une assistance en faveur des soldats loyalistes, désarmés et cantonnés à Kidal, sur trois sites de cantonnement. Ces soldats étaient dans un état de dénuement total.
C’est ainsi que le président ATT a débloqué une somme de 50 millions et dépêché sur le nord une mission interministérielle composée de Général Kafougouna Koné, ministre de l’administration territoriale, Natié Pléa, ministre de la défense, Général Sadio Gassama, ministre de la sécurité intérieure et Harouna Cissé, ministre du développement social et de la solidarité.
L’enveloppe des 50 millions en question a été remise aux gouverneurs des trois régions du nord : colonel (à l’époque) Salif Koné de Kidal, colonel Mamadou Diallo de Gao et Mamadou Mangara de Tombouctou. L’enveloppe était destinée aussi bien aux soldats loyalistes qu’aux populations civiles identifiées revenues de Libye.
Comme on le voit, ATT fait sienne une politique qu’il a toujours adoptée dans la gestion de la crise du nord, la voie pacifique pour éviter l’embrasement du septentrion.
Loyalistes jusqu’au bout
Les soldats qui ont bénéficié de la manne sociale d’ATT sont au nombre de 300 soldats. Ils avaient remis leurs armes, accepté d’être cantonnées et s’étaient dit prêts à servir le Mali. Ils l’ont fait, en combattant aux côtés de Gamou dès leur insertion, pendant l’occupation, après la libération, et aujourd’hui encore, ils sont toujours avec Gamou et au service de l’armée malienne.
D’ailleurs, ces soldats de la communauté Imghad avaient été reçus officiellement par le président ATT à Koulouba pour réaffirmer solennellement leur attachement aux idéaux de la République et leur désir de se mettre à la disposition des autorités.
La délégation des Imghad comprenait, entre autres, le colonel Waqqi Ag Ossad, ancien commandant de zone militaire en Libye ; le commandant Inackly Ag Back et Mohamed Youssouf, président du Conseil de cercle de Gourma-Rharouss.
Ce jour là, le colonel Waqqi, après avoir remercié le Président ATT pour sa constante disponibilité et ses efforts à l’égard des Maliens revenus de la Libye, a clairement indiqué : « Nous sommes des officiers et des soldats, nous n’avons appris que le métier des armes…Nous sommes à la tête de 300 éléments…nous nous mettons à la disposition de l’Etat…Notre séjour prolongé en Libye nous a mis en retard ; certains s’imaginent même que la Libye était leur pays ».
Abondant dans le même sens, le président du conseil de cercle de Rharouss avait rassuré : « Les Imghad sont une communauté pacifique. Ceux qui sont revenus de Libye sont entrés dans cette logique de paix ».
En s’adressant à ses hôtes, le chef de l’Etat, Amadou Toumani Touré, avait renouvelé ses remerciements aux leaders de la communauté Imghad. « La paix et la sécurité du Mali incombent à nous tous, fils du Mali, ayant les mêmes droits et les mêmes devoirs », avait laissé entendre ATT.
Précision : la communauté Imghad est la plus nombreuse communauté touarègue au Mali. Elle est présente dans les trois régions du nord : Gao, Tombouctou et Kidal. Aussi, parmi les revenants de la Libye, les Imghad constituaient le plus gros contingent. Personne ne verrait du mal à ce qu’un chef d’Etat apporte un appui financier à des soldats aussi patriotes que ceux-ci. C’est ça la haute trahison ? C’est ça faciliter l’entrée et l’installation des corps étrangers ?
Vivement une commission d’enquêtes
Ces questions méritent d’autant plus d’être posées que l’occupation des régions du nord n’a été effective qu’après le départ du président ATT avec le coup de d’Etat du 22 mars 2012. Avant, seules les localités de Aguelhoc et de Tessalit étaient réellement entre les mains des ennemis. Aucune grande ville n’était tombée de janvier à mars 2012. Et l’administration malienne exerçait pleinement son pouvoir à Kidal, Gao et Tombouctou, comme à Bamako, Kayes, Koulikoro, Sikasso, Ségou et Mopti. Et malgré les difficultés, l’armée malienne se battait et contrôlait toutes les grandes agglomérations du nord.
La trahison et la démoralisation de l’armée sont parties du coup d’Etat perpétré, le 22 mars par des éléments de Kati qui refusaient d’aller se battre et qui, visiblement, étaient manipulés. A partir de cet instant, des officiers du Pc Opérationnel de Gao étaient pourchassés par des soldats de rang.
L’entrée de forces étrangères et l’occupation intégrale des régions du nord sont aussi parties du coup d’Etat. En trois jours (30-31 mars et 1er avril), Kidal, Gao et Tombouctou ont été respectivement annexées. Plus d’armée malienne, plus d’administration ; donc plus d’Etat. Place a été faite aux terroristes d’Aqmi, aux djihadistes du Mujao (mouvement jusque là inconnu) et d’Ançardine et aux rebelles du Mnla.
Destruction du patrimoine culturel matériel et immatériel, flagellation, lapidation, viol, amputation constituent le lot d’exactions auxquelles les populations et leurs biens ont soumis. Alors, qui a favorisé l’occupation des régions du nord ? Qui a trahi ? Qui faisait la navette entre Bamako et Nouakchott pour rencontrer les responsables du Mnla ? Qui finançait ces terroristes ? Qui assurait la liaison entre Kati et ces rebelles en vue de renverser le régime d’ATT ?
C’est le moment, pour les autorités du pays, de mettre en place une commission nationale d’enquête pour situer les responsabilités, toutes les responsabilités, à tous les niveaux. Ce ne serait pas atypique. Après chaque guerre, la logique étatique voudrait que les enseignements en soient tirés et les sanctions appliquées. Et non improviser d’éventuelles poursuites contre Untel « pour haute trahison ». C’est trop léger et facile à faire.
Si le Mali ne prend pas l’initiative, la communauté internationale doit l’exiger. Notamment les Nations unies dont les forces sont (toujours) déployées dans notre pays. A défaut, elles doivent mettre en place une commission d’enquêtes internationale pour statuer sur tous les crimes commis au Mali depuis le début de la crise malienne. Au nom de la justice et du droit.
CH. Sylla
Source: L’Aube