Concert de klaxons, hululement de sirènes, marteaux-piqueurs, vrombissement d’avions, restaurants où l’on crie pour se faire entendre: New York est l’une des villes les plus bruyantes au monde, mais elle se soigne.
Interrogez n’importe quel New-Yorkais: tous mentionnent la pollution sonore comme une des marques de fabrique de “la ville qui ne dort jamais”.
“En 19 ans à New York, j’ai souvent eu l’impression d’habiter au milieu d’un terrain de foot”, explique Gregory Orr, un cinéaste originaire de Los Angeles, qui habite depuis des années au coeur du quartier très animé de Greenwich Village.
“Même les écureuils doivent gazouiller plus forts ici pour se faire entendre par-dessus le vacarme !”, plaisante-t-il.
Même si beaucoup, comme Gregory Orr, s’habituent à cette avalanche de décibels, la première métropole américaine s’est lancée dans un projet inédit, piloté par Juan Bello, professeur de technologie musicale à New York University: enregistrer tout l’éventail de bruits de la ville et de ses 8,5 millions d’habitants, puis les analyser automatiquement pour pouvoir les réduire.
Cette expérience est scientifique d’une part, car les techniques utilisées sont celles de l’apprentissage automatique des machines – un des domaines de recherche de l’intelligence artificielle – et participative d’autre part, puisque les New-Yorkais et leur mairie sont appelés à contribuer: les milliers de sons seront répertoriés et soigneusement annotés, avec l’aide des habitants, pour permettre aux ordinateurs d’identifier immédiatement la source d’une nuisance sonore. A charge pour la ville de faire ensuite le nécessaire pour la supprimer.
– Les gratte-ciel, amplificateurs de bruit –
Les premiers boîtiers capteurs de sons, qui transmettent leurs données à des serveurs par wifi, ont été testés dans le quartier de Greenwich Village, fixés à des bâtiments de l’université dont dépendent les 15 chercheurs de ce projet baptisé “Sounds of New York City” (“Sons de New York”).
Ces chercheurs installent maintenant des capteurs dans d’autres quartiers de Manhattan et de Brooklyn, choisis pour leur variété de sons. Il devrait y en avoir 100 d’ici fin 2017, explique Juan Bello.
Depuis l’instauration en 2003 par la mairie d’un numéro d’appel joignable 24h/24 pour toutes les plaintes non urgentes, le 311, “c’est le bruit qui, invariablement chaque année, arrive en tête”, explique M. Bello.
Or en cas de plainte pour nuisance sonore aujourd’hui, “il faut entre cinq et six jours” pour qu’intervienne l’un des 50 inspecteurs spécialisés de la ville, dit-il. Un délai à l’issue duquel le problème a souvent disparu. Et quand le problème vient du voisinage, la tâche revient à la police, dont le bruit “n’est pas la première priorité”.
Pourtant, “de nombreuses études montrent l’impact phénoménal du bruit sur la santé, à court et à long terme”, insiste Juan Bello: maladies du coeur, hypertension, perte auditive, jusqu’à l’influence sur les résultats scolaires, le tout pour “un coût économique substantiel”.
A Manhattan, les gratte-ciel accroissent le phénomène du bruit car ils forment des “canyons” de réverbération sonore.
“Beaucoup de sons qu’on entend à New York ne seraient pas aussi forts ailleurs, en raison de la topologie particulière de la ville”, explique M. Bello.
– Un projet sur 5 ans –
D’où l’idée du projet “Sounds of New York City”, d’un coût de 4,6 millions de dollars financé par la Fondation nationale pour la Science et prévu pour durer 5 ans.
D’ici là, les chercheurs espèrent avoir amélioré les capteurs, programmés pour ne jamais enregistrer plus de 10 secondes consécutives, afin de ne pas risquer d’intercepter des conversations intelligibles et poser des problèmes de confidentialité.
Ils comptent bien avoir résolu également d’autres casse-tête technologiques, comme celui de “modéliser les coups de klaxon”, éphémères et imprévisibles dans le temps comme dans l’espace. “C’est plus difficile à contrôler”, reconnaît M. Bello, “nous devons être plus créatifs”.
Arline Bronzaft, psychologue environnementale et professeure à l’université publique de New York, qui dénonce depuis des années les conséquences du bruit sur la santé, se réjouit que la ville collabore avec les chercheurs.
Pour elle, le niveau sonore affecte le comportement des New-Yorkais. “Les gens marchent plus vite en partie pour échapper au bruit, ils parlent fort car ils rivalisent avec d’autres sons.”
– “Laboratoire parfait” –
Longtemps, dit-elle, responsables publics ou privés ont minimisé les conséquences de la pollution sonore, un peu comme les cigarettiers ont refusé pendant des décennies de reconnaître que fumer était dangereux pour la santé.
Mais aujourd’hui, “les autorités de New York sont conscientes du problème”, souligne-t-elle. “Voilà une ville connue pour être bruyante et qui en reconnaît les effets néfastes”.
Les premiers résultats obtenus par l’équipe de M. Bello tendent d’ailleurs à confirmer que les plaintes sont justifiées, au moins pour les bruits liés à la construction.
Ainsi, après quelques mois de captation à Greenwich Village, raconte-t-il, il ressort que toutes les plaintes pour bruits enregistrées par le 311 correspondaient bien à des violations des normes sonores.
“New York n’est pas la seule ville bruyante au monde”, reconnaît M. Bello. Mais elle constitue “un laboratoire parfait” pour mettre au point “une solution complète” aux problèmes de bruit, qui pourra s’appliquer “à beaucoup d’autres endroits aux États-Unis et dans le monde”.