Dans cette interview, le secrétaire général du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) se prononce sur la situation sociopolitique du pays, particulièrement le processus de paix. Il revient aussi sur les raisons qui ont conduit à la mise en place de l’opération « Ménaka sans armes »
L’Essor : Quelle lecture faites-vous de la situation sociopolitique du Mali ?
Moussa Ag Acharatoumane : La situation sécuritaire, pour commencer, n’est pas très bonne malheureusement. Parce qu’aujourd’hui on constate au nord et au centre du pays que les problèmes sécuritaires restent entiers et que les organisations terroristes prennent de plus en plus de l’espace, les populations sont sous leur pression. Une bonne partie des populations civiles est obligée de faire allégeance à ces gens là, parce qu’elle n’a pas d’autres choix. Même si ces derniers temps, notre armée et ses partenaires ont quand même réussi à avoir des résultats, des avancées tactiques. Pour autant, on ne peut pas dire que la situation s’est améliorée.
Maintenant, sur le plan politique, depuis l’arrivée des nouvelles autorités de la Transition, je pense que les choses avancent un peu, les tensions sociales du pays se sont un peu calmées, les relations avec les mouvements du Nord se sont également améliorées. Puisque les mouvements sont présents autant dans le gouvernement que dans le Conseil national de Transition (CNT). Donc, il y a une synergie d’actions qui est en train de se mettre en place et qui ne peut augurer que du bon.
L’Essor : Le CNT vient d’adopter le Plan d’action du gouvernement. Quelle appréciation portez-vous sur le document présenté par le Premier ministre Moctar Ouane ?
Moussa Ag Acharatoumane : Un document très ambitieux qui a été effectivement mis à la disposition du CNT pour appréciation. Je pense que les populations maliennes se sont rendues compte que le CNT, ce n’est pas une institution qui est là pour dire oui à tout. On a notre avis sur les choses. Je pense que le Premier ministre même s’en est rendu compte et en était d’ailleurs très content. Parce qu’on a pleinement joué l’exercice démocratique qui est demandé à notre institution. Puisque, on a eu à faire des commentaires, à poser des questions, à demander des réajustements par rapport au Plan d’action gouvernemental. Je pense que l’exercice s’est très bien passé, puisqu’à la fin on l’a adopté. Même si moi, dans mon intervention, j’ai demandé qu’on essaye de se concentrer sur trois points essentiels : les questions de défense et de sécurité ; les questions liées aux réformes institutionnelles et les élections d’une manière générale.
L’Essor : Outre votre participation au CNT, à travers quels autres mécanismes votre mouvement entend contribuer à la réussite de la Transition ?
Moussa Ag Acharatoumane : D’abord, nous sommes au CNT là où se décide l’avenir du pays, cela est extrêmement important. Ensuite, nous avons des cadres habituels avec les autorités maliennes à travers les différentes commissions de mise en œuvre de l’Accord. Dans ces cadres, on a l’occasion d’échanger avec les autorités, de contribuer aussi, à notre manière, au retour de la paix et de la sécurité sur l’ensemble de notre territoire. Je pense que dans ce sens là aussi, on fait beaucoup de choses. Pour parler concrètement, à travers l’opération « Ménaka sans armes » qu’on mène dans cette région, on est en train de contribuer à aider les autorités de Transition à réussir leur mission de stabilisation.
L’Essor : Quelle est votre lecture de la façon dont le processus de paix est mené ?
Moussa Ag Acharatoumane : Comme je le disais au début, le fait d’avoir associé les mouvements armés à la gestion du pays est déjà quelque chose de positif, qu’il faut saluer et qu’il faut surtout pérenniser. Maintenant, concrètement, la symbolique de la tenue du CSA (Comité de suivi de l’Accord) à Kidal est extrêmement importante. Mais, il faut faire attention à tout ce qui est symbolique. Parce que la symbolique souvent, ça ne dure pas longtemps. Je pense que les faits ne nous ont pas démenti. Parce que, quelques jours après malheureusement, il y a eu des problèmes une fois de plus ou une fois de trop sur le drapeau malien à Kidal. Je pense que ce sont des choses qu’on doit pouvoir dépasser. Aujourd’hui, chacun doit s’assumer et jouer son rôle. Et pour moi, tout ce qui se passe à Kidal, c’est lié à nos frères de la Coordination des mouvements de l’Azawad (Cma) avec l’état malien. Ces deux doivent se mettre d’accord pour essayer d’éviter ces genres d’incompréhensions, par la suite, parce que l’Accord de paix, c’est le Mali, rien d’autre.
L’Essor : Qu’avez-vous à répondre aux nombreux Maliens qui réclament de plus en plus la relecture de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali ?
Moussa Ag Acharatoumane : Effectivement, cet Accord suscite beaucoup d’incompréhensions auprès de l’opinion publique malienne. Je fais partie de ceux qui pensent qu’on doit faire un débat là-dessus. Maintenant, est-ce le débat va nous conduire à la relecture, à revoir un certain nombre de choses au sein de l’Accord. Je ne le sais pas. Mais, je pense qu’on doit avoir le courage d’en parler avec tous ceux qui le remettent en cause. Je fais partie de ceux qui pensent que cet Accord ne contient pas quelque chose de diabolique ou qui va à l’encontre du Mali. Comme je le disais, l’Accord de paix, c’est d’abord le Mali, c’est pour le retour de la paix, de la réconciliation entre les Maliens. C’est pour unifier et mettre ce pays ensemble, rien d’autre.
L’Essor : Expliquez-nous l’esprit et les motivations qui ont sous-tendu l’opération « Ménaka sans armes » lancée au mois de septembre dernier. Quels sont les résultats de cette initiative ?
Moussa Ag Acharatoumane : Au fait, on est parti d’un constat : aujourd’hui les Forces de défense et de sécurité à elles seules ne peuvent pas assurer la sécurité des personnes et de leurs biens. Comme il y a un mécanisme qui est là déjà, qu’on appelle Accord, cela nous donne l’occasion de nous mettre ensemble. C’est cette dynamique qu’on a toujours développée à Ménaka. Du fait que les Forces de défense et de sécurité ne pouvaient pas faire face seules à l’insécurité grandissante, nous avons décidé de nous mettre ensemble et nous avons lancé cette opération qu’on appelle « Ménaka sans armes ».
L’objectif, c’est d’abord de sécuriser les populations et leurs biens, c’est de permettre le retour de la sécurité à l’intérieur de la ville de Ménaka et de permettre à l’administration de se déployer et de faire correctement son travail. C’est à la suite de cela qu’on a lancé cette opération qui s’est très bien passée. Et vraiment une initiative des Maliens, c’est-à-dire les communautés, les mouvements ainsi que les Forces de défense et de sécurité de notre pays qui sont présentes à Ménaka. C’est le MSA, le Gatia et les Forces armées maliennes qui ont mis en œuvre cette opération. Et aujourd’hui, la population de Ménaka, dans son ensemble, la communauté internationale parlent de la réussite de cette opération. La seule chose que je déplore, c’est le fait que malgré la publicité et les bons résultats qu’on a eus, personne ne nous aide. Cela fait cinq mois que nous menons cette opération qui a prouvé ses résultats, mais jusqu’à présent, il n’y a pas eu un centime qui a été injecté par quelqu’un pour pérenniser cette opération.
L’Essor : Quel commentaire faites-vous sur la possibilité de dialoguer avec des terroristes maliens ?
Moussa Ag Acharatoumane : Je pense que c’est une question très délicate et très compliquée. Parce que quand on prend Al-Qaïda, il n’est pas malien encore moins Daech. Maintenant quelques Maliens sont dedans, mais ils ne sont pas des chefs. Donc, comment va-t-on appréhender cette question ? Récemment lors du sommet du G5 Sahel à N’Djamena, on a pris des résolutions avec nos partenaires sahéliens et internationaux. On a clairement dit qu’on continue cette lutte antiterroriste. Mais, de l’autre on sait que les populations maliennes, dans leur majorité écrasante, demandent une discussion.
Aujourd’hui, il faut faire la part des choses et il faut être très prudent sur ce sujet pour ne pas à la fois frustrer nos partenaires et aussi donner un écho à ce que nos populations veulent réellement.
Propos recueillis par
Massa SIDIBÉ
Source : L’ESSOR