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Ménaka : à l’épreuve d’une fatwa

Tamalat, Insinanane, Tessit, Andéramboukane… Des localités de la région de Ménaka, tristement célèbres depuis mars dernier, sont l’objet de violences sans précédent dues à une fatwa lancée par l’EIGS contre les Touaregs Daoussaks présents dans la zone. Pour contrer les djihadistes, le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), groupe armé signataire de l’accord pour la paix de 2015, essentiellement composé de Daoussaks, s’est déployé avec l’appui d’autres groupes armés, dont le Gatia. Les affrontements auraient entrainé plusieurs centaines de morts.    

 

Tourbillon sanglant dans le désert de Ménaka. Aux assassinats ciblés, représailles, attentats, vols de bétail et braquages s’est ajoutée depuis le mois de mars une campagne d’extermination de populations civiles. Une décision « machiavélique » de l’organisation djihadiste État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) qui, dans un audio posté le 5 mars 2022, a prononcé une fatwa qui « rend le sang des Touaregs Daoussaks licite et la prise de leurs biens et bétail légale ». Malgré la résistance des groupes armés, dont le MSA et le Gatia, on annonce la mort de centaines de personnes, dont plus de « 400 civils », déplore Fahad Ag Almahmoud, Président du Cadre stratégique permanent (CSP), d’après lequel c’est « le plus grand massacre de l’histoire au Sahel ».

Chronologie 

Tout part d’un assassinat, le 1er mars 2022. Celui d’Omar Ag Badjat, un officier du MSA tué dans le village d’Ighaghi, non loin de Tamalat, à l’est de la ville de Ménaka.

Le MSA aurait en représailles exécuté des membres de l’EIGS, accusés de l’avoir tué. Le 5 mars, la fatwa des djihadistes tombe. Le 8 mars, la ville de Tamalat (zone frontalière avec le Niger) est attaquée « par une horde d’hommes armés affiliés à Daesh », alerte un communiqué du Mouvement pour le salut de l’Azawad, selon lequel, « après des heures de violents affrontements, les assaillants ont été repoussés hors du village de Tamalat ».

Le communiqué annonce « trois corps abandonnés sur le lieu des combats » côté terroristes, quatre combattants du MSA tués et deux blessés. En outre, une dizaine de civils a été « exécutée par les terroristes », ajoute-t-il.

« Ce n’est pas la première fois qu’on s’en prend à des populations civiles le long de cette frontière. Il y a eu les cas de Ouatagouna, dans le cercle d’Ansongo (Le 8 août 2021, 50 civils ont été tués à Ouatagouna, Karou et Daoutédjef, trois villages du cercle NDLR). Dans toutes ces zones, c’est la même organisation « sans foi ni loi qui massacre sans distinction les populations civiles », a dénoncé après les affrontements le Secrétaire général du MSA et porte-parole du CSP, Moussa Ag Acharatoumane, pour lequel la particularité à Tamalat « c’est qu’ils se sont opposés à une farouche résistance du MSA, présent sur place ».

Le 9 mars, le mouvement, avec le soutien du Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés (Gatia) et d’autres alliés du Cadre stratégique permanent, reprend Tamalat. Depuis cette localité, la guerre s’est métastasée vers le sud à partir du 12 mars.

D’Inchinanane, au sud-ouest de Tamalat, à Anderamboukane, vers la frontière nigérienne, « les djihadistes sont passés de hameau en hameau et ont pillé, incendié et tué beaucoup de civils. Ils sont ensuite descendus aux environs d’Ansongo, dans une zone qu’on appelle Talataye, le chef-lieu des Daoussaks », décrypte Abdoul Nassir Idrissa du concept Kala A Ma Harandi, un collectif de journalistes-militants de la région de Gao.

Le 13 mars, face à la dégradation de la situation, les Forces armées maliennes (FAMa) ont annoncé mener « des opérations aéroterrestres dans le secteur de Ménaka suite aux attaques terroristes contre les populations. Les frappes aériennes sur les zones refuges ont permis de desserrer l’étau et de briser l’élan des groupes terroristes dans les zones de Ménaka, Andéramboukane, Inchinanane, Harodi, Infokaratène, In Araban, Tabankort et Tamalat, avec de nombreuses pertes infligées dans leurs rangs », a indiqué l’État-major général des armées dans un communiqué le 15 mars.

Le roi est mort, vive le roi !

L’offensive terroriste de l’EIGS, menée par Issouf Ould Cheghoub alias Aboul Bara, à en croire Fahad Ag Almahmoud, est aussi une manière pour la nouvelle équipe dirigeante du groupe de faire ses preuves, « pour que les gens ne disent pas que l’EIGS n’a pas survécu après la mort de son leader Adnan Abou Walid ».

En effet, depuis la mort du dirigeant le 17 août 2021 et celle de son cadre Soumana Boura, le 21 décembre suivant, le groupe terroriste, affilié à l’État Islamique, a été repoussé vers le Niger, dans les régions de Tillabéri et de Tahoua, grâce à la triple collaboration entre FAMa, Barkhane et les groupes signataires de l’Accord.

C’est de là, explique-t-on dans le communiqué du MSA, que « la mafia sans foi ni loi » prépare des attaques contre « la position du MSA et les populations civiles ». « Le MSA regrette que le territoire nigérien serve de base arrière aux extrémistes et déplore que, malgré plusieurs alertes faites aux autorités nigériennes sur la présence de terroristes dans cette zone frontalière, aucune disposition n’ait été prise pour en déloger ces malfrats », regrette le mouvement.

C’est donc une nouvelle démonstration de force des djihadistes « qui ont pour ambition d’intensifier leur tyrannie jusqu’à la frontière algérienne », explique Fahad Ag Almahmoud. Pour le Président du CSP et de la Plateforme, le départ de la force française Barkhane constitue aussi une motivation supplémentaire pour l’EIGS, désireux d’occuper la zone des trois frontières. « Les Français faisaient beaucoup de patrouilles. Avec leurs moyens aériens, ils pouvaient à tout moment être à tout endroit. Ce que craignaient les terroristes », explique-t-il.

« Ressentiments communautaires »

Pour accroître son influence, « l’EIGS s’appuie sur des ressentiments communautaires, notamment au sein de la communauté peule, pour la mobiliser contre ses adversaires que sont le MSA et, dans une moindre mesure, le GATIA », analysait dans Journal du Mali N°364, le représentant au Sahel de l’Institut néerlandais pour la démocratie et le multipartisme (NMID), Ibrahim Maïga.

Pour lui, les différents théâtres de cette confrontation donnent le sentiment qu’au-delà des querelles d’ordre idéologique entre le MSA et l’EIGS les dynamiques locales jouent un rôle prépondérant dans la conflictualité. « Je fais référence à un certain nombre de divergences entre d’un côté les Daoussaks, qui constituent le fer de lance du MSA, et de l’autre la communauté peule Tolebe, du côté du Niger. Ces deux communautés ont souvent été opposées autour de la gestion et de l’accès aux ressources naturelles et sur des questions de transhumance d’animaux, entre autres. Les affrontements entre le MSA et l’EIGS tirent en partie leurs sources de cette opposition », expliquait-il.

« Détresse »

Ces affrontements meurtriers dans la région de Ménaka entre terroristes de l’État Islamique et coalition des combattants du MSA et du Gatia ont provoqué le déplacement de 1 500 civils, a annoncé le 14 mars Mohamed Touré, représentant du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) au Mali.

« Nous avons répertorié près de 1 500 personnes qui se sont retrouvées en déplacement forcé, dont l’écrasante majorité se retrouve aujourd’hui dans une situation précaire, notamment dans la localité d’Andéramboukane, où il y a 100 ménages, soit près de 600 personnes. On a aussi répertorié 70 ménages à Inékar, soit 420 personnes, et enfin 480 personnes à Iguizragane », énumère-t-il.

  1. Touré, aussi chargé de la Coordination humanitaire de l’UNHCR, dit s’inquiéter pour « ces déplacés internes, qui ont fui les combats et se sont retrouvés dans des situations de grande précarité parce que, dans leur fuite, ils ont tout laissé derrière eux ».

À sa suite, la  MINUSMA a annoncé via un communiqué de presse, le 31 mars 2022, être préoccupée par la dégradation de la situation sécuritaire dans la région des trois frontières et par son impact sur les populations civiles. Selon ellela situation dans les localités de Tessit, Talataye, Ansongo et dans la région de Ménaka, situées dans la zone frontalière entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, s’est considérablement dégradée au cours des dernières semaines.

« Les attaques des groupes armés terroristes ont eu un impact dévastateur sur la population civile, déjà en détresse, entraînant des dizaines de morts et des déplacements importants de populations vers les villes de Gao et d’Ansongo », informe la mission onusienne, qui, en réponse à cette situation, a assuré déployer des unités dans la zone.

En outre, « des équipes de la Mission ont également été mobilisées pour mieux évaluer l’impact de la violence sur les communautés se trouvant dans les zones affectées. Et une enquête de vérification des faits liés aux violations et abus des droits de l’Homme a été initiée », fait-elle savoir.

Vendredi dernier, la radio rurale de Ménaka faisait également état de 981 ménages déplacés vers la ville à cause des récentes violences dans le cercle d’Anderamboukane et de 1 539 autres identifiés à Inekar.

Le gouvernement que Fahad Ag Almahmoud et le MSA, appelle « à prendre ses responsabilités » pour la protection des populations civiles, en se coordonnant avec les groupes signataires pour lutter « contre l’ennemi, comme le stipule l’article 30 de l’Accord », a envoyé une délégation mardi passé à Ménaka « pour affirmer la compassion et le soutien du gouvernement de transition ». La délégation conduite par le Ministre de la Réconciliation, de la paix et de la cohésion nationale, Colonel Major Ismael Wagué a remis quarante tonnes de vivres aux déplacées et s’est imprégnée de la « situation sécuritaire de la région lors d’une rencontre avec les groupes armés signataires de l’accord de paix », indique le ministère dans un communiqué, le 6 avril 2022.

« Ménaka sans armes »

Ce regain de violences à Ménaka renvoie loin les énormes efforts fournis par les autorités maliennes, étrangères et les divers mouvements armés signataires de l’Accord de paix dans le cadre de l’opération « Ménaka sans armes ».

Cette coopération, lancée en août 2020, avait fait œuvrer ensemble de manière « inédite » les autorités locales, groupes armés, leaders communautaires et notables de la zone pour lutter contre l’insécurité liée au banditisme et au terrorisme.

En plus de permettre la reprise des activités économiques, sociales et culturelles dans la région, « Ménaka sans armes » a aidé à limiter la circulation des armes dans la zone. Mais, ces temps-ci, tout semble s’acharner contre cette localité du Septentrion malien visée par une fatwa djihadiste. Le 7 mars dernier, alors qu’un enfant avait été grièvement blessé par une grenade ramassée dans une poubelle, une partie du marché de la ville a été détruite dans un incendie.

Aly Asmane Ascofaré

Source : Journal du Mali

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