Le doyen Cheikh Lamane Diop, à l’image de pas mal d’observateurs de la scène politique malienne, avait peut-être raison quand il se demandait qui, entre l’imam Dicko, figure de proue de la «désobéissance civile», et le président élu Ibrahim Boubacara Keita, dirige actuellement le Mali?
Cette interrogation, qui semble banale du point de vue juridique, témoigne toutefois d’une dualité au sommet qui oppose ces deux hommes qui, pourtant, se connaissent personnellement. Le premier, qui a dirigé pendant onze ans le Haut conseil islamique du Mali (Hcim), a même aidé à faire élire le second, en 2013. Mais la rupture entre l’homme de religion et l’homme d’Etat est vite consommée du fait des divergences de vue nées de la «gestion familiale» des affaires étatiques.
Sans titre officiel, l’imam Dicko, à la tête du mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-Rfp), qui ne «cherche rien» et qui n’est d’ailleurs «candidat à rien», jouit, tout de même d’une légitimité populaire incontestable qui, aujourd’hui, est en train de remettre en cause la légalité constitutionnelle du président Ibk.
Au-delà de la personne du leader du parti du Rassemblement du Mali, il a donné un sacré coup à la Cedeao dont la médiation, menée par 5 chefs d’état, tend vers un échec. La raison est toute simple: La feuille de route proposée par les médiateurs, dont Macky Sall, recommande le maintien au pouvoir du chef de l’Etat, Ibrahim Boubacar Keita, alors que la principale revendication de la contestation est justement la démission de ce dernier. D’où la nécessité, selon l’institution sous régionale, de poursuivre les discussions, dans le cadre d’un sommet extraordinaire prévu, ce lundi, en visioconférence. Mais ces pourparlers risquent encore une fois de se heurter à la détermination du désormais nouvel homme fort de Bamako, qui jure déjà de préférer «mourir martyr que de mourir traître».
Ainsi donc, malgré la «longue absence» du chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé, enlevé, depuis plusieurs mois, dans des conditions ambiguës, Ibk est en train de vaciller, il fait face à une tempête populaire et ‘’son’’ pouvoir, fortement fragilisé par une crise sécuritaire, est en pâture. En témoignent, d’ailleurs, les lourdes pertes subies par l’armée malienne (et étrangère) face aux djihadistes qui ont repris de la vigueur, ces dernières années.
Toutefois, une analyse beaucoup plus poussée de cette situation permet de constater que le Mali, «bon élève» en terme de démocratie, ces 25 dernières années, «s’est (en réalité), effondré sur lui-même», comme l’ont d’ailleurs fait remarquer Hawa Coulibaly et Stéphanie Lima dans un article intitulé : «Crise de l’État et territoires de la crise au Mali».
En effet, en regardant dans le rétroviseur, l’on se rend compte qu’à la veille des élections présidentielles de 2012, la démocratie au Mali s’était avérée très fragilisée et une fois encore c’était par le Nord que la crise est arrivée.
La chute de Kadhafi en Libye a contribué à renforcer des groupes rebelles, lesquels ont pu arriver au Mali sans qu’il ne leur soit demandé de rendre les armes en leur possession (alors que le Niger voisin a procédé au désarmement de ces mêmes groupes). Avec la revendication d’autonomie de l’Azawad, c’était un décrochage territorial inédit qui s’est produit avec une violence inattendue.
Pour autant, cette fragmentation de l’espace étatique s’inscrit dans une perspective mondiale et correspond à des lignes de tension qui sont bien identifiées par les analystes : Si le Sahara malien est devenu dans les années 2000 un espace de trafics criminels dont les acteurs s’inscrivent dans des logiques transnationales, ces derniers n’avaient pas encore pris l’État pour cible. Mais, comme le signale André Bourgeot, un déséquilibre s’est peu à peu construit du fait de l’ampleur des trafics et de leur poids financier, contribuant à des formes de territorialisation permettant d’assurer un contrôle plus strict sur la circulation des marchandises.
Ce qu’il qualifie de «processus d’ethno-territorialisation (pas de «tribalisation») au sein d’espaces sur lesquels s’exerçait un contrôle social en voie de dilution au profit de contrôles fondés sur la délinquance. Il y a là des processus de fragmentation d’un espace remodelé sur lequel s’exercent de nouveaux pouvoirs fondés sur la force armée», de l’avis d’André Bourgeot.
«Poudrière politique»
Alors, même si l’intervention française, depuis mars 2013, a permis la restauration de l’unité du pays jadis pratiquement achevée et la tenue des élections présidentielles de juillet 2013, il est vrai que le travail de reconstruction de l’État reste entier dans ce pays.
Le vent du ‘’printemps arabe’’, déclenché en 2011 en Tunisie, menace-t-il la sous-région ? En tout état de cause, cette crise malienne, aux yeux de certains observateurs, n’est rien d’autre que le reflet d’une poudrière politique sur laquelle serait assise l’Afrique sub-saharienne francophone où les constitutions sont extrêmement bien rédigées, mais souvent utilisées comme un instrument permettant aux autorités en place d’assurer, dans le «respect» de l’Etat de droit, leur domination.
Ce qui fait dire au juriste burkinabé, Matthieu Fau Nougare, spécialiste de droit international public de «jouet» qui fait l’objet de manipulations plus ou moins légales pouvant mener à des coups d’Etat constitutionnels.
Mais il en sera ainsi tant que les juges constitutionnels n’auront pas le courage juridique de s’y opposer, et tant que les organisations régionales n’adopteront pas une approche intransigeante vis-à-vis des coups d’Etats constitutionnels. Il semble donc clair que l’insurrection sera le seul moyen, risqué pour les populations, de faire échec à ces crises institutionnelles.
Déjà, des voix s’élèvent pour douter de la «légitimité» des Présidents Macky Sall et Alassane Dramane Ouattara, parmi les «pompiers» de la Cedeao dépêchés à Bamako parce que, n’étant pas «des exemples de démocrates et chantres de la bonne gouvernance».
Pour le chef de l’Etat du Sénégal, à quelques encablures de l’ancien Soudan français, second binôme de la défunte et éphémère fédération du Mali, il n’a pas encore décliné une position claire sur une éventuelle troisième candidature et n’a pas, non plus, désigné son dauphin, même si les ambitions de son parti (Apr) dépassent 2024, comme le révèle, d’ailleurs, son administrateur, Maêl Thiam.
Quant au président ivoirien, il avait déclaré qu’il allait laisser la place à «la jeune génération», mais se voit, aujourd’hui, propulsé au-devant d’une candidature suite à la disparition de son Premier ministre et poulain, Abdoulaye Coulibaly, et à la démission de son vice-président, Daniel Kablan Duncan.
Loin de prétendre «lire dans la tête» de ces Présidents, exercice risqué du doyen Cheikh Yérim Seck, il convient cependant de rappeler, pour alerter, que l’instabilité politique, avec ses potentiels dégâts collatéraux, est une dangereuse maladie, aussi contagieuse que la Covid-19.
Par Salla GUEYE
Source : seneweb.com