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Babacar Touré, un monument du monde de la presse s’en va : Découvrez l’une de ses dernières publications

Après avoir montré que la violence est consubstantielle à l’histoire politique et sociale du Sénégal, il est question dans ce second jet de son impact sous régional. Un Arc de feu marqué par l’onde de choc de la faille malienne, la déflagration en Guinée, la résurgence irrédentiste en Mauritanie. Il en ressort que, tout en se posant à la fois en termes de géopolitique sous-régionale et régionale, la question sécuritaire n’en revêt pas moins le caractère d’un impératif de politique intérieure.
II. L’ARC DE FEU SOUS-RÉGIONAL


« Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine, la destinée qui est divine ; tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; tant que, dans certaines régions, l’asphyxie sociale sera possible ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre, ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci, pourront ne pas être inutiles. » Victor Hugo. Les Misérables Notre pays, si on n’y prend garde, pourrait subir les effets telluriques de ce déferlement de violence contagieuse qui se propage dans l’arc de feu ravageur de notre voisinage immédiat. En effet, la guerre de libération de la Guinée-Bissau, les conflits armés du Libéria, de la Côte d’Ivoire, du Nord Mali et quarante ans de guérilla en Casamance sur le flanc sud de notre pays, ont favorisé un important trafic et une circulation massive d’armes de guerre dans la sous-région. Aux soldats perdus de ces guerres de pauvres qui se sont dispersés dans notre espace soudano-sahélien, se sont ajoutés des rescapés de l’internationale terroriste, chassés d’Algérie et de Libye, repliés dans notre aire géopolitique avec armes et idéologie, pratiquant assassinats, vols, agressions, enlèvements contre rançons et protection, détruisant au nom de Dieu, adeptes de la contrebande, du trafic de drogue d’organes et d’êtres humains. Cependant, la violence de masse la plus horrible qu’il nous a été donné de vivre en ce vingtième siècle finissant fut la véritable boucherie subie par des Sénégalais et des Mauritaniens en avril 1989. Tout est parti d’un conflit classique ayant abouti à mort d’homme, côté sénégalais entre éleveurs et agriculteurs à Doundé Khoré, dans le Diawara, zone frontalière entre les deux pays. La rumeur dévastatrice, s’est rapidement propagée, d’une attaque armée de gardes Arabo Berbères mauritaniens contre des paysans négro-africains sénégalais. La maladresse (?) du ministre mauritanien de l’Intérieur, Gabriel Cimper (qui se rebaptisera Djibril Ould ABDALLAH), dépêché à Dakar pour apaiser la tension a mis de l’huile sur le feu attisé par les extrémistes des deux pays, les suprématistes baathistes (du parti « Baath « et leurs compères nasséristes, prônant l’arabisation hégémonique de la Mauritanie. Ils avaient cependant leurs répondants chez les activistes et hommes politiques négro-africains, à cheval sur les deux rives du fleuve Sénégal, qui au nom de la conservation ou de la sauvegarde des terres ancestrales, voulaient contenir les Maures à une centaine de kilomètres au-delà du fleuve. Ils contestaient ainsi les limites frontalières imposées par l’arbitraire colonial. Certains médias mauritaniens, sénégalais, et internationaux dont Radio France internationale (RFI) apportèrent au conflit une amplification dramatique, contribuant à surchauffer les esprits et à titiller les bas instincts de groupes manipulés. Le chauvinisme des uns, le nationalisme étroit des autres, exacerbés par l’opportunisme politique et le populisme de certains ténors ayant cru leur moment venu de prendre le pouvoir, provoquèrent une situation d’une violence inouïe. Dans les deux pays, de paisibles citoyens furent, égorgés, éventrés, démembrés ou émasculés par des hordes en furie vengeresse, assoiffées de sang. Des deux côtés, aucune force de l’ordre, ne s’est manifestée, ni n’a reçu l’ordre d’empêcher les tueries et de protéger les personnes en danger et leurs biens pillés ou confisqués. Aucune interpellation, aucune arrestation, aucune poursuite judiciaire à ce jour. Au-delà des morts atrocement et sommairement exécutés et enregistrés dans leur communauté, les Mauritaniens Noirs expulsés de leurs maisons et de leurs lieux de travail, victimes de bannissement, de destruction et de confiscation de leurs biens ont été refoulés vers le Sénégal. Les autorités mauritaniennes de l’époque considéraient que tout Noir était Sénégalais, en particulier Wolof et /ou Halpulaaren. Au Sénégal, les Maures qui tenaient le secteur de la petite distribution de proximité dans les quartiers et dans les villages ont subi la loi du talion avec autant de barbarie que nos compatriotes de l’autre rive. Ce fut le triomphe de la raison du plus fou qui est toujours la pire. C’est le lieu et l’occasion d’évoquer la remarquable solidarité, l’empathie et la générosité de cœur et d’esprit de citoyens Sénégalais et Mauritaniens, voisins, simples connaissances ou témoins, qui n’ont ménagé ni leur énergie, ni leur temps, pour arracher à la mort des victimes de ces véritables pogroms. On distinguera parmi les sauveteurs, l’ancien Recteur de l’Université de Dakar, le regretté professeur Souleymane Niang rencontré à plusieurs reprises au consulat de Mauritanie à Colobane, convoyant lui-même, au volant de son véhicule des étudiants arrachés aux griffes d’escadrons de la mort sortis de partout et de nulle part. Ou encore les actions salvatrices des camarades de la Gauche sénégalaise : Landing Savané, Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily. Et mauritanienne : Ba Boubakar Moussa, Mohamed Ould Maouloud, Lo Gourmo Abdoul, Traoré Ladji, Daffa Bakary, Isselmou Ould Abdel Kader, Sy Hasmiou, Sy Mamoudou Longo et bien d’autres qu’il me serait fastidieux de citer.

LA THESE DU BOUCLIER TAMPON

Les navettes de rapatriement par air et par le fleuve, des rescapés de cette éruption de folie meurtrière ont débarqué des personnes semblables à des zombies, des familles disloquées. Elles apparurent polytraumatisées dans leur esprit et dans leur chair, sans repères, ayant pour la plupart lâché prise sous le choc de cette barbarie qui s’est soudainement abattue sur elles. Désignés pudiquement « réfugiés mauritaniens » au Sénégal, ces victimes de la déportation, sont à distinguer des Sénégalais dépouillés et expulsés vers leur «pays d’origine». A en croire certains historiens spécialistes de l’aire civilisationnelle soudano- sahélienne, ceux-ci comptaient d’ailleurs dans leurs rangs nombre de Mauritaniens de souche établis dans la Vallée et dans certaines parties du Sud-Est du pays, avant l’arrivée des Almoravides et des Berbères, dont certaines tribus se sont mélangées avec des autochtones pour diverses raisons et par divers moyens. Aujourd’hui encore, le travail de deuil, les réparations et même l‘’exigence morale d’une quête mémorielle sont déniés à ces déracinés et à leur descendance persécutée, devenus apatrides dispersés aux quatre coins du monde où on a bien voulu les accueillir. Plus tard, des officiers Négro-africains seront arrêtés et exécutés dans la garnison-prison de Jreida, près de Nouakchott. D’autres membres de cette communauté, cadres et intellectuels pour la plupart, révoltés par le racialisme des tenants du pouvoir arabe aux allures de nettoyage ethnique ciblant en particulier leur groupe, des Halpularen, dénoncent cet état de fait. La publication d’un «manifeste du Négro-africain opprimé » vaudra à l’immense écrivain Téné Youssouf Guèye, au journaliste Sarr Ibrahima, à Djigo Tafsirou, au Capitaine Boye Alassane Harouna et à leurs compagnons d’infortune, les rigueurs d’une condamnation aux travaux forcés et la déportation au fort pénitentiaire de Oualata, d’où certains ne sortiront pas vivants. Déjà en 1966, un premier manifeste dit des « 19 » avait attiré l’attention de l’opinion nationale et internationale sur le sort inique infligé à la composante Négro-africaine de Mauritanie. En réponse, leurs auteurs furent traqués et sauvagement réprimés. Les différents régimes qui se sont succédés au Sénégal ont pris le parti de tourner la tête et de se détourner face à cette question qui nous concerne, nous interpelle intimement et qui ne manquera pas de nous rattraper encore. Comme en 1989. Dans le même registre, on pourrait évoquer l’annonce de la création d’un éphémère et intrigant «Front de Libération du Waalo, du Fouta et du Guidimakha », espace habité respectivement par des Wolofs, des Halpulaaren et des Soninké, à cheval sur les deux rives du fleuve Sénégal. L’analyste et journaliste sénégalais Babacar Justin Ndiaye attribue la création de ce mouvement improbable à une volonté de l’ancien président de la République du Sénégal Léopold Sédar Senghor, de tenir à distance et en respect l’Algérie progressiste de Ouari Boumediene. Elle était devenue la Mecque des révolutionnaires de tous bords et n’a ménagé ni ses ressources, ni ses relations, dans sa volonté de faire triompher l’indépendance de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) et de son fer de lance le Front Populaire de Libération de la Saguiet El Amra et du Rio de Oro (Front Polisario). Une décolonisation tronquée selon Alger et ses alliés puisque la puissance colonisatrice, a cédé aux prétentions marocaines et mauritaniennes sur les parties Nord et Sud du territoire convoité, au lieu d’en transmettre la souveraineté aux indépendantistes sahraouis. Ce front du Walfougui, dont le chef présumé Alioune Diaw avait servi dans la gendarmerie mauritanienne avec des états de service peu valorisants et à l’équilibre suspecté, devait tomber rapidement en désuétude. La Mauritanie s’était entretemps retirée de la partie annexée du Sahara récupérée par le Polisario. Si la thèse du bouclier tampon prêtée à Senghor devait être retenue, cette fonction serait dès lors remplie par la RASD et La Mauritanie, suite au renversement d’alliance ayant abouti à la partition du Sahara occidental.

DEVOIR D’INVENTAIRE

Passer par pertes et profits, une séquence aussi dramatique et traumatisante pour les peuples sénégalais et mauritaniens, tout en réclamant reconnaissance et réparation pour des crimes et exactions commis par l’administration coloniale, voilà le paradoxe monumental de certains politiques, y compris des gouvernants. Et pourtant, le feu couve sous la cendre La sous-région ne peut se soustraire au devoir d’inventaire des relations intercommunautaires des populations qui y vivent au sein d’entités « nationales» et territoriales aux équilibres fragiles. La question nationale éludée par la problématique coloniale et la doctrine du gel des frontières «héritées» de la colonisation imposée en 1963 par l’Organisation de l’union africaine, (OUA), ancêtre de l’Union africaine (UA), est bousculée par le besoin d’accès à des ressources découvertes dans des espaces transfrontaliers disputés. Le terrorisme des pseudos djihadistes ainsi que les rebellions séparatistes Touaregs, ces mystérieux « hommes bleus » fantasmés dans la littérature d’une certaine anthropologie romanesque, présente bien des aspects particularistes et identitaires. Les Peulhs d’Amadou Kouffa Diallo, chef de la Katiba Macina, alliée d’ AnsarDine puis au Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans et les Dozos, chasseurs Dogons sédentarisés, s’affrontent mortellement, faisant des centaines de morts parmi les populations civiles. Certes, les conflits autour de la maîtrise de l’eau et des terres, entre agriculteurs et éleveurs sont monnaie courante, ici comme ailleurs. Ces contradictions sont cependant accentuées parla pratique d’une agriculture extensive, le défrichement et l’exploitation de nouvelles terres arrachées à la forêt et au parcours de transhumance des nomades et de leurs troupeaux. Sur ce terreau fertile, les Djihadistes recrutent, arment et entretiennent des phalanges pseudo-islamistes. Ils ont en face d’eux des milices d’autodéfense encouragées par Bamako pour pallier les carences et l’impréparation des Forces Armées Maliennes (FAMA), tout aussi incapables de défendre le territoire et les populations que la lourde et paralysée Mission des Nations-Unies au Mali (Munisma). Depuis 2013, l’Etat malien a perdu le Nord, puis le Centre du pays, au profit de groupes armés qui tiennent Bamako en joue, dans leur ligne de mire. La Mauritanie voisine, est apparemment en intelligence avec les différents mouvements djihadistes et servirait de base arrière à certains d’entre eux dont AnsarDine, qui, jusqu’à une période encore récente, avait pignon sur rue à Nouakchott. En état de cause, ce pays charnière entre le Maghreb et le Sahel est curieusement épargné au moment où le Niger, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Tchad, le Nigeria et le Cameroun sont perpétuellement frappés par des colonnes de terroristes, enlevant, dépouillant et massacrant des populations sans défense et des soldats peu motivés et pauvrement armés et entraînés. Il est vrai que les Touaregs se rebellent aussi au nom d’une arabité bridée, raillée, comme étant les seuls membres de la «nation arabe» dominés et gouvernés par des Noirs, dans un rapport inversé de la dialectique du maître et de l’esclave. On comprend dès lors, le refus systématique opposé à la participation du Sénégal au cadre du G5 Sahel, alors que notre pays est parmi les plus importants contributeurs en hommes et en logistique des forces de la Minusma présentes au Mali. Le rôle ambigu de la France, dont les opérations Serval, Barkhane et l’intervention militaire avalisée par une Union Européenne trainant des pieds, n’a pas empêché l’occupation des deux tiers du Mali. La Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), brillera pour son inefficacité opérationnelle sur le terrain miné par des querelles de leadership et de captures du butin de l’aide internationale. L’inextricable accord de paix d’Alger souscrit et parrainé par des parties peu soucieuses de son applicabilité. Dans ce contexte de repli et de fractures identitaires, le Sénégal est suspecté par certains de ses voisins de travailler à l’avènement d’une hégémonie peuhle dans l’espace sénégambien. C’est le sens prêté au soutien manifeste et revendiqué de son Président aux chefs d’Etat de Gambie et de Guinée Bissau, voisins remuants, qu’il vaut mieux pour notre pays, avoir avec soi. Le Sénégal est suspecté par certains de ses voisins de vouloir ressusciter la Sénégambie originelle, englobant le Gaabu et travaillant ainsi à l’avènement d’une hégémonie peulhe dans l’espace sénégambien ainsi reconfiguré. L’histoire récente a démontré les risques majeurs encourus par le Sénégal, avec les interférences des voisins mauritaniens et guinéens qui n’ont pas manqué de déclencher le courroux de Dakar et failli faire capoter un régime ami à Banjul. Sans oublier que pendant la crise sénégalo-mauritanienne, le consulat de Mauritanie a servi de transit logistique d’armes et de munitions mais aussi d’argent, avec la bénédiction agissante des autorités de Banjul. Celles-ci, hantées par l’expédition anti putschiste et de «maintien d’ordre» de l’armée sénégalaise parachutée dans leur pays à la faveur des opérations Fodé Kaba I et II en 1981et 1982, vivaient très mal l’attitude paternaliste du voisin sénégalais. Les autorités comme les populations gambiennes ne tarderont pas à rejeter toute forme de tutelle.

100 MILLIARDS DANS LA NATURE EN MOINS D’UN AN

Afin de se dégager de l’étau sénégalais, la Gambie signera d’ailleurs un accord de défense avec le Nigéria et entretiendra des relations particulièrement surveillées par Dakar avec la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo, la Libye de Kadhafi, le Burkina Faso de Compaoré et …l’Iran des Mollah, suspecté de fournir des armes au Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC). Le soutien de l’homme fort de Banjul aux rebelles du MFDC, l’imprévisible Yaya Jammeh, tenait autant de considérations géopolitiques qu’ethniques. Au total, tous les ingrédients d’un cocktail explosif sont en train de mijoter autour de nous, par conséquent chez nous, dont personne ne sortira indemne. La question sécuritaire se pose à la fois en termes de géopolitique sous régionale et régionale. Elle n’en revêt pas moins le caractère d’un impératif de politique intérieure. La formulation d’une politique extérieure proactive et pragmatique, servie par une diplomatie pour sa mise en œuvre par des professionnels qualifiés, compétents chevronnés, et loyaux (à l’Etat), non choisis parmi la clientèle politique locale ou de la diaspora, nouvelle coqueluche des gouvernants, relève d’une impérieuse nécessité. La sécurité, c’est d’abord les voisins Aucune action, amicale ou hostile, ne peut être entreprise sans que leurs auteurs ne puissent bénéficier de corridors dans les espaces aériens, terrestres ou maritimes des pays voisins. On ne voit pas comment ni dans quelle mesure le Sénégal pourrait contenir l’onde de choc de la faille malienne, d’une déflagration en Guinée ou encore d’une résurgence irrédentiste en Mauritanie. L’afflux massif de réfugiés perturberait gravement l’écosystème économique, l’habitat social et environnemental, exacerberait les sentiments et reflexes particularistes voire xénophobes. Les systèmes de solidarité et de régulation sociale sont désormais mis à rude épreuve par la raréfaction des ressources, les conflits de nécessité et la compétition sauvage pour le pouvoir et l’avoir. Des signalements inquiétants alertent sur des flux de transferts massifs d’argent hors des circuits financiers officiels. Rien que la période allant de juillet 2019 à ce jour, une centaine de milliards de francs Cfa et en devises étrangères ont été échangés entre le Sénégal, la Mauritanie, le Mali et la Gambie. Cette masse monétaire invisible inquiète jusque dans les milieux européens et au sein des institutions financières internationales. Si on considère les données non disponibles sur les deux Guinée (Bissau et Conakry), l’ampleur des dangers encourus par la sous-région fait frémir. D’où provient cet argent, à qui profite-t-il, pour quels usages, qui protège les passeurs et les destinataires? La déperdition administrative qui n’a pas épargné les services de renseignements n’est pas sans conséquence sur l’absence d’informations sur des circuits pourtant repérables, en dépit d’une certaine omerta de rigueur dans certaines sphères officielles. L’Afrique peut et doit se sortir de la domination étrangère et du jeu des puissances tutélaires au profit d’un destin maîtrisé et au service de ses hommes et femmes valeureux, déterminés et endurants- résilients comme le veut la mode aujourd’hui. A condition de résoudre l’équation de l’extraversion du leadership des gouvernants et des élites.

Par Babacar TOURE

PASSÉ PRÉSENT–De la culture au culte de la violence PAR BABACAR TOURE
I- LE SÉNÉGAL ENTRE DÉFI ET DÉNI
Le Sénégal n’a jamais autant mérité son surnom de Ndoumbélane, ce royaume magique sorti de l’imaginaire de deux monstres sacrés de notre littérature, Léopold Sédar Senghor et Abdoulaye Sadji. C’était au temps où les animaux parlaient. Leuk-le-lièvre, rusé, espiègle et gouailleur, représente le Sénégalais de notre époque. Il tient de Kakatar le caméléon, toujours aux aguets, doté d’yeux à mobilité indépendante, d’une capacité à changer de couleur à des fins de communication (séduction) et de camouflage. La nature a également pourvu ce reptile d’une langue protractile à même d’attraper sa proie, comme le font certains compatriotes passés maîtres dans l’art de médire, d’affabuler et de jeter en pâture d’honnêtes citoyens, parfois par méchanceté envieuse, souvent par mesquinerie gratuite.
A cet égard, Ndoumbélane peut se targuer d’une solide tradition remontant aux temps immémoriaux. Quand on prête attention à la geste de certains de nos héros, figures traditionnelles et même religieuses, les victimes expiatoires et les critiques de leurs hauts faits d’armes ou miracles, souvent des rivaux ou des sceptiques, sont affublés de tous les noms d’oiseaux, symboles de leur infamie supposée ou réelle. Cela est tout aussi vrai dans le registre de la satire sociale où la critique de la société, par les moqueries, la caricature, voire la stigmatisation sont monnaie courante. Coépouses, belles-familles, prétendants éconduits et époux suspectés d’avarice sont la cible des quolibets « agrémentant » les joutes verbales des troubadours, des « takhouranekatt », « khakharkates », accompagnateurs et autres préposés à l’art divinatoire et oratoire.
Les guerres de rapine et la chasse aux esclaves ont forgé une mémoire faite d’exactions et d’outrances verbales, de servitude et de bannissements que l’on cherche aujourd’hui encore à enfouir dans d’inénarrables secrets de familles.
La chronique de certaines rivalités politiques ne fait pas exception du point de vue de l’exercice de la violence, y compris par l’Etat. La violence est consubstantielle à notre histoire politique et sociale. Elle a parfois débouché sur la mort d’hommes dont les plus marquantes sont celles de Demba Diop, Omar Blondin Diop sous Senghor, Me Babacar Sèye à la suite d’une compétition Abdou Diouf / Abdoulaye Wade.
Les querelles syndicales ont également transformé des bourses du travail en scènes de batailles meurtrières, les manifestations d’étudiants désarmés en ont envoyé certains ad patres, sous les balles de policiers ou de gendarmes. Ces mêmes policiers ont subi la furie meurtrière de manifestants politico-religieux ayant provoqué la mort, en février 1994, de six d’entre eux, piégés dans leur véhicule en stationnement lors d’un meeting de l’opposition. C’est une des raisons majeures des difficultés rencontrées par ceux qui veulent réduire l’Histoire du Sénégal à des histoires de familles, de grandes familles «ceddo », «religieuses » ou politiques.
Des secrets d’alcôve ou de polichinelle jalonnent notre histoire qui n’échappe pas à la nature des hommes et des femmes qui la font. Une histoire sublimée par de hautes œuvres d’hommes et de femmes exceptionnels et exemplaires qui font la fierté et la bonne réputation de notre pays, mais aussi d’adeptes de violence physique et verbale pouvant aller jusqu’à provoquer la mort par assassinat ou suicide. Le Sénégal actuel est aussi le résultat –mais pas uniquement- de guerres d’occupation et d’annexion menées par des familles régnantes entre elles , des envahisseurs, du Nord comme du Sud du Sahara, des caravaniers et des propagateurs de la foi, chrétiens et musulmans et de rugueux bâtisseurs de royaumes ou d’empires, sabre au clair. A ce propos, on feint d’ignorer que les djihâds sont des entreprises de soumission par la violence qui réservaient hier comme aujourd’hui, aux mécréants et à ceux qui voulaient préserver leur religion, leur culture et leur mode de vie traditionnels, un sort peu enviable (amputation, castration, décapitation, etc.)
Point de d’orgue de la destruction de nations non encore constituées, encore moins cristallisées, la conquête coloniale et le dépeçage du continent par les puissances européennes à la Conférence de Berlin (novembre 1884- février 1885), ont achevé de déstructurer nos sociétés et les entités qui la composaient. L’Histoire, c’est à dire l’expérience d’- hommes et de femmes en mouvement, dans une séquence spatio-temporelle longue, permet aux spécialistes d’explorer de manière compréhensive et d’exposer, à grands traits, les facteurs et les acteurs de l’évolution des sociétés antiques et modernes- ou en déficit de modernité transformationnelle assumée. Les anachronismes non adressés, la déculturation imposée par le fait colonial et religieux sont symptomatiques de pathologies anciennes dont le traitement curatif ne peut plus être différé. Sous peine de la plus affligeante des sanctions, la relégation dans les coursives de l’histoire !
A côté de la Téranga sénégalaise tant vantée, se distille une culture de violence atavique, qui ne cherche que la moindre occasion pour s’exprimer, y compris de la plus hideuse et la plus cruelle des manières. On est loin des pogroms et des massacres de masse, cependant la violence domestique prend des proportions qui ne cessent d’inquiéter. Chaque jour qui passe apporte son lot de crimes crapuleux ou passionnels, de violence sur ascendants ou descendants, au sein de la famille, dans le quartier ou le village.

VIOLENCE ATAVIQUE
Les passes d’armes non conventionnelles, de discrédit massif entre sociétaires d’un même parti, -au pouvoir – et entre opposants et gouvernants, procède, en réalité d’une culture de violence inhérente à notre société dont les formes varient selon les époques et les protagonistes. Présente tout au long de notre histoire et dans nos histoires, cette culture de la violence semble être aujourd’hui érigée en culte du fait de l’appauvrissement du débat , de la lutte des places et des querelles de personnes autour du chef, qui s’est substituée à la lutte des classes, poreuse aux débats d’idées, d’orientation, de programmes. L’effondrement du système d’enseignement, d’acquisition de connaissances et d’apprentissage, l’analphabétisme et le néo-analphabétisme éducatif et politique ont pavé la voie à un ersatz idéologique des plus débilitants. La formation politique dispensée naguère dans des « écoles du parti », dans les séminaires, les conseils nationaux, les congrès à thèmes, les universités d’été, ont disparu dans la pratique et dans la mémoire des militants et des citoyens, livrés à eux-mêmes et tenaillés par la nécessité. Le seul choix qui s’offre à eux, reste celui de se nourrir à travers des ambitions matérielles et non de s’encombrer l’esprit avec des projets de société ou de promouvoir un vivre-ensemble soucieux de progrès et d’harmonie.

DEFICIT DE LEADERSHIP
De la chance, plutôt qu’une licence (d’enseignement) ou le hasard plutôt que l’effort, l’argent de la débrouille plutôt que gagné honnêtement, à la sueur de son front ou avec la « force de ses bras », résume cette mentalité de plus en plus partagée dans notre société, notamment dans sa frange jeune. A sa décharge, les exemples et les pratiques qui structurent cette vision de la vie, s’illustrent dans le système du modèle en cours chez les puissants et les nantis au pouvoir et dans la société. Dans ces conditions, l’argument de la force verbale ou physique, s’impose – tout aussi forcément- à la force de l’argument. Le déficit dans le leadership constaté à l’occasion de certaines querelles alimentées par des rivalités autour de la proximité du chef, de la famille et des cooptés du moment, se traduit souvent par une incapacité de trancher ou même d’arbitrer. Le “ laisser faire », « laisser dire” alors de mise, contribue à asseoir une véritable culture de l’impunité. Ce phénomène de groupes dédiés à des travaux de masse, de protection de sécurisation de leurs mentors, de riposte et de représailles de ceux qui ont l’outrecuidance d’émettre la moindre réserve ou critique à leur endroit. Les politiques, les chefs religieux, les entrepreneurs de la foi, de même que des populations abandonnées par la sécurité publique se sont arrogé des prérogatives désertées par l’État. Des dahiras n’hésitent pas à camper devant les tribunaux et les prisons pour libérer certains des leurs en délicatesse avec la justice. Les auteurs d’attaques contre des personnes et leurs biens sont rarement poursuivis et leurs commanditaires plastronnent à l’occasion, aux côtés des autorités politiques et étatiques. Des intouchables utilisent une jeunesse désorientée et abusée comme masse de manœuvre et monnaie d’échange. Leur pendant, dans la sphère politique, s’apparente aux comités d’action (des Socialistes), aux Calots bleus, (de Abdoulaye Wade) et aux Marrons du feu (de Macky Sall), séides et bras armés des différents régimes. L’énoncé et la profération de cette violence outrancière et outrageante sont pour autant forgés dans la sève matricielle de nos langues et de nos expressions langagières, avec à la base, des motivations tactiques ou situationnelles, voire émotionnelles. La rubrique des faits divers des quotidiens, radios, télévisions et sites d’informations est abondamment alimentée par des histoires de personnes ébouillantées, éborgnées défigurées, amputées. Même les morts ne sont pas épargnés, dont les sépultures profanées, les linceuls et les organes prélevés font l’objet de trafic à but lucratif et mystique. Que dire des sacrifices rituels en vue d’obtenir faveurs, fortunes et pouvoir ?

MISERE SOCIALE ET MORALE
Qui, enfant, n’a pas « aiguisé » ses apprentissages de lecture en essayant de décrypter certaines incroyables inscriptions et images dessinées au charbon dont les insanités tapissent toujours les murs, à côté des « défense d’uriner ». La violence de la rue, celle faite aux femmes, aux groupes vulnérables et défavorisés, interpelle nos consciences détournées même si on a plutôt tendance à les occulter par le déni ou à se défausser par ponce pilatisme. Fugueurs ou en rupture de cocon familial, à qui on a volé enfance et rêves, sans domicile et livrés aux intempéries et à toutes sortes d’agressions, les enfants de la rue –plutôt dans la rue-, sont l’expression de cette violence banalisée de notre société. Quand ils ne sont pas déscolarisés et rendus à l’analphabétisme de la plupart de leurs congénères qui n’ont pu fréquenter l’école française, l’enseignement coranique, dans une large mesure, leur inculque les préceptes de la religion et du Livre saint. Des pratiques et des méthodes dont la barbarie le dispute à l’indigence, rythment leur quotidien de parias promis à la délinquance précoce. Jetés à la rue, à la recherche de pitance et de pécule pour les maîtres oisifs, abrités sous le parapluie d’un obscurantisme à la fois inhibiteur et réducteur.
Viols, agressions, violence économique, misère sociale et morale, décrochage scolaire, chômage, déclassement, déchéance ! La violence peut être sourde, douce, vicieuse, pernicieuse, dissimulée, active, au grand jour, consciente, revendiquée ou non, inspirée ou déléguée, brutale ou atténuée. Toujours motivée, rarement gratuite, elle interroge et est sujette à interprétation forcément. Elle est souvent une réponse à d’autres types de violence institutionnelle, sociale, endogène et/ou exercée de l’extérieur. Les causes de la violence s’expliquent toujours. Avec l’avènement d’Internet, la concurrence entre anciens et nouveaux, certains animateurs et usagers des médias, se nourrit de surenchères, de fake news, d’infox, d’injures et de propos infamants, de la part de ceux qui ont délibérément tourné le dos aux formidables opportunités du Web. Les médias de la surenchère entretiennent un climat malsain, anxiogène et conflictogène, titillant les bas instincts et préparant les esprits –consciemment ou non-à des situations extrêmement compliquées. Les médias et les nouveaux outils de communication sont des moyens extraordinaires d’interaction, d’accès et de partage de connaissances, un raccourci efficace pour entrer de plain-pied dans la société globale. Détournée de cette fonction émancipatrice, la révolution numérique peut déboucher sur un message tragique. Les pires ennemis de la liberté, les criminels de tous les ordres, ont fini d’établir que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Des brigades du Net préposées à une cyberguerre peu glorieuse et dégradante, à la solde de politiciens, d’hommes d’affaires de lobbies, etc., envahissent l’espace viral pour distiller leur venin. La violence est en nous, à fleur de peau ou enfouie, elle nous accompagne partout, prompte à surgir sous l’effet de la colère, de la contrariété, de la défiance et de nos pulsions refoulées. La détention et le port d’armes blanches sont à usages multiples, allant des applications de protection, fonctionnelles, domestiques, professionnelles, des sacrifices et de l’abattage d’animaux, etc. Elles sont tellement incrustées dans nos mœurs, qu’on en mesure même plus les dégâts. Les armes blanches sont au Sénégalais ce que le revolver était au cow-boy du Far West américain, où la seule vérité est celle de celui qui dégaine le premier.

Par Babacar Touré

Source: dakarprivee

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