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Mali : la rue ne veut rien lâcher

REPORTAGE. L’intermédiation de la Cedeao et la trève de l’Aïd-el-Kébir n’y ont rien fait. La contestation anti-IBK s’est à nouveau manifestée à Bamako ce 11 août.

C’est dans la grisaille et parfois sous la pluie que des milliers de Maliens se sont rassemblés ce mardi sur la place de l’Indépendance, épicentre de la contestation qui souffle depuis plus de deux mois sur Bamako et bouleverse le pays. Une nouvelle démonstration de force qui se voulait massive, après deux semaines de pause pour les festivités de l’Aïd, mais qui a sensiblement moins mobilisé que les rassemblements précédents. Les manifestants, bravant les éléments, brandissant des pancartes, criant des slogans exigeant le départ du président en place, Ibrahim Boubacar Keita, n’ont rien perdu de leur détermination. Sur les boulevards menant à la place de l’Indépendance, une foule hétéroclite et compacte, plutôt jeune, dans la cacophonie des vuvuzelas, est venue exprimer une colère, qui depuis le 5 juin dernier peine, selon eux, à être entendue et comprise par le chef de l’État et son régime.

Un chapelet d’invectives à l’endroit d’IBK et de son Premier ministre

« Il faut qu’il comprenne notre message, car on en a marre », s’époumone Bakary, 31 ans. « Nous sommes sortis pour dire non et qu’importe notre nombre aujourd’hui, c’est la quatrième fois que nous le faisons et nous continuerons tant que nous ne serons pas attendus », poursuit-il.

À quelques dizaines de mètres de là, Mohamed, 25 ans, de Tombouctou, qui croit dur comme fer qu’un « Nouveau Mali est possible », n’est lui, non plus, pas tendre envers le chef de l’État et l’exécutif : « IBK et son gouvernement aujourd’hui, même si on leur donnait la solution avec une formule magique, ils ne pourront pas l’appliquer. Ils ont montré leurs limites, leur incapacité à diriger le pays. La jeunesse malienne est sortie, elle ne dort pas, elle est debout, elle est digne. Elle s’impliquera dans la chose publique. Il faut qu’ils le comprennent. On ne dit pas qu’on est mieux qu’eux, mais on peut faire mieux qu’eux, ça, je vous l’assure ! », assène-t-il.

Un manifestant à côté de lui, le visage masqué par un chèche sable, s’en prend avec verve au Premier ministre, autre cible des pancartes brandies par de nombreux manifestants, sur lesquelles on pouvait lire des injonctions appelant à sa démission : « Je suis de Tombouctou aussi. Là-bas, nous vivons dans un gouffre aujourd’hui. Nous n’avons pas de route et l’insécurité, n’en parlons pas. Le Premier ministre, menteur qu’il est, a tenu des promesses face à des Oulémas, face à des notables de Tombouctou, ainsi que devant la Minusma, des promesses signées de sa main. Un an plus tard, aucune promesse n’est tenue. C’est un menteur et nous ne voulons plus de lui », lance-t-il avec ferveur.

« Ce que nous voulons vraiment… »

Sous le monument de l’Indépendance, Moussa tient à préciser l’objectif qui anime, selon lui, la plupart des manifestants : « Tout ce que nous voulons, c’est un pays à la pointe, dirigé par un homme qui a une vision pour le pays et qui pourra répondre aux besoins des Maliens, c’est tout. Il n’y aura pas de limite tant que ce but ne sera pas effectif, tant que les revendications des Maliens n’auront pas été satisfaites. Nous sommes là aujourd’hui et nous continuerons de sortir ! »

Cette jeunesse malienne venue sous la pluie réclamer à cor et à cri la démission du président de la République et du chef du gouvernement se pose comme la génération « d’après ceux qui ont supporté IBK », une génération qui aspire à un nouvel avenir, à la fin du système actuel pour le bien de tous les Maliens. « Ceux qui supportent IBK, ce sont nos aînés, nos oncles, nos pères, mais la génération que nous représentons ne se reconnaît pas dans ce régime, dans cette gestion. La politique est devenue une affaire de famille. On ne suit plus le politicien à cause de ses idéaux, pour ce qu’il peut apporter à la région, mais plus pour ce qu’il peut donner à certaines personnes. La politique malienne a échoué et nos aînés ont échoué sur tous les plans. Notre génération s’est donc levée pour dire non ! Nous réclamons le nécessaire pour tous les Maliens. La politique malienne, les vieillards ont failli, laissez la place à la jeunesse. On ne peut pas faire du nouveau avec du vieux, ça n’existe pas ! », explique Moustapha, 27 ans, qui souhaite que la jeunesse ne rate pas ce moment important de son histoire.

Un défilé de personnalités de la contestation

Sur la scène pleine à craquer située devant le monument de l’indépendance, les leaders du mouvement contestataire M5-RFP, emmené par l’influent Imam Mahmoud Dicko, autorité et figure de proue de la contestation, très respectée par la plupart des Maliens, se succèdent et chauffent, par des diatribes à destination du président et de son exécutif, une foule acquise et rompue depuis deux mois à la contestation et qui n’attend que le bon mot, la bonne formule pour s’enflammer. « Si IBK ne nous écoute pas, il verra. Je jure devant Dieu qu’il verra, mais ne soyons pas pressés. Nous allons gagner cette victoire mais de façon pacifique », lance à une foule chauffée à blanc l’imam Dicko, dernier orateur à prendre la parole.

Des signes de durcissement et de jusqu’au-boutisme

À l’issue de la manifestation, plusieurs dizaines de Maliens ont décidé de rester pour occuper la place de l’indépendance pour la nuit et pour certains, « jusqu’au départ constaté du président de la République et de son gouvernement ». Un positionnement et un durcissement de la part du mouvement contestataire aux antipodes des appels au calme et au dialogue exhortés par l’ex-président Goodluck Jonathan, principal médiateur de la Cedeao, arrivé à Bamako lundi dernier, et qui tente depuis des semaines de résoudre la crise sociopolitique dans laquelle le pays est plongé depuis le mois de juin.

… face à une crise qui s’éternise…

Une crise qui a vu le jour et s’est propagée après l’invalidation des résultats d’une trentaine de députés lors des législatives de mars-avril par la Cour constitutionnelle. L’institution dont les membres, sous proposition de la Cedeao, ont été remplacés le 7 août dernier, après trois manifestations en deux mois qui avaient connu leur point d’orgue le 10 juillet dernier, lorsque les manifestants, entrés en désobéissance civile, ont occupé et s’en sont violemment pris à des institutions que sont l’assemblée nationale et la première chaîne de télévision du pays, l’ORTM. La manifestation avait ensuite dégénéré en un long week-end d’affrontements violents avec les forces de sécurité occasionnant plus d’une dizaine de victimes, jeunes pour la plupart.

… malgré l’intermédiation de la Cedeao

Cinq chefs d’État de la Cedeao se sont rendus dans le pays, fin juillet, pour tenter une médiation et recommander des pistes de sortie de crise : la mise en place d’un gouvernement d’union nationale, la nomination de nouveaux juges constitutionnels, la démission de la trentaine de députés dont l’élection avait été invalidée par la Cour constitutionnelle. Les opposants du M5-RFP ont rejeté en bloc la proposition de formation d’un gouvernement d’unité nationale et sont restés sur leur ligne dure initiale, demandant la démission du président IBK. Une ligne rouge à ne pas dépasser pour la Cedeao, qualifiée par plusieurs manifestants de « syndicat des chefs d’États en Afrique de l’Ouest », dans une crise que nombre de Maliens considèrent comme « un problème 100 % malien a résoudre entre Maliens ».

Un front de députés maliens a d’ailleurs refusé catégoriquement de démissionner, estimant avoir été démocratiquement élu par le peuple malien. Dans cette crise qui dure depuis deux mois, aucune solution de sortie de crise n’est parvenue à faire consensus. Celles préconisées par la Cedeao, même si elles ont commencé à être mises en œuvre, n’ont pas pu mettre fin à la crise politique qui secoue le pays et dont on ne sait pour l’heure quelle sera l’issue dans ce pays qui tente difficilement de se relever de la crise de 2012 et des attaques djihadistes qui se poursuivent jusqu’à aujourd’hui.

Par Olivier Dubois, à Bamako

Source : Le Point.fr

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