Au Mali, l’ex-président Bah N’Daw et l’ex Premier ministre Moctar Ouane ont pu rentrer chez eux mercredi soir après avoir été retenus plus de 48 heures par la junte du CNSP menée par le colonel Assimi Goïta. Le leader de la junte et vice-président de la transition a annoncé dans la foulée qu’il prenait les commandes de la transition. Son conseiller juridique, Youssouf Coulibaly, également professeur d’université et membre du Conseil national de transition, répond aux questions de David Baché.
RFI : Le colonel Assimi Goïta a déclaré qu’il prenait la tête de la transition. Doit-on comprendre qu’il s’autoproclame président ?
Youssouf Coulibaly : Non. C’est une façon de parler. Il ne s’autoproclame pas président. Il est vice-président.
Donc, il y aura un nouveau président ou est-ce qu’Assimi Goïta reste à la tête de l’État jusqu’à la fin de la transition ?
Ça c’est une question sur laquelle nous allons statuer dans les heures à venir, mais il ne compte pas lui-même être président, parce que c’est quelqu’un qui respecte beaucoup les textes, donc il va respecter le contenu de la charte.
Pour le poste de Premier ministre, le nom de Choguel Maïga, du M5, est souvent cité…
C’est au M5 de nous dire qui ils veulent choisir. Ils ont intérêt à se mettre d’accord sur quelqu’un, pour qu’on puisse passer à autre chose.
Donc, le nouveau Premier ministre sera issu du M5…
S’ils décident de le faire, ce serait une bonne chose. Mais, ça peut être quelqu’un d’autre s’ils ne se mettent pas d’accord.
Et le Conseil national de transition, l’organe législatif de la transition, que souhaite dissoudre le M5, est-ce qu’il va rester en place tel qu’il est actuellement ?
C’est cela notre souhait. Vouloir le toucher maintenant, cela sous-entend qu’il faut peut-être réviser la charte. Il faut aller de l’avant. Toutes les sensibilités sont représentées dans le Conseil national de la transition.
Des politiques maliens et internationaux dénoncent un nouveau coup d’État, voire un coup d’Etat dans le coup d’État. Est-ce que ce sont les bons termes ?
Non, les termes sont un peu trop forts. Bon, ils sont dans leur rôle. Quand vous enlevez un président de son poste, cela n’a pas d’autre qualificatif que coup d’État ! Mais pour nous, ce n’est pas un coup d’État. C’est tout simplement une rectification de la trajectoire de la transition afin de remettre le pouvoir aux civils qui seront démocratiquement désignés par le peuple.
Des partis politiques maliens demandent des concertations immédiates pour cadrer la suite de la transition, choisir le nouveau président, le Premier ministre. C’est envisageable ?
Si vous leur en laissez le soin tout de suite, ils ne se mettront jamais d’accord ! Qui va être le président ? Si on engage aussi ce débat, on est parti pour des mois ! Nous, nous connaissons très bien nos compatriotes, nous connaissons les partis politiques. Qu’ils comprennent que la transition, c’est une petite période pour qu’on puisse mettre en place des bases solides afin qu’eux reprennent la main.
Assimi Goïta a expliqué les raisons qui l’avaient motivé à écarter les désormais ex-président Bah N’Daw et ex-Premier ministre Moctar Ouane. Mais certains évoquent d’autres raisons : une brouille avec Bah N’Daw au sujet d’un contrat d’armement avec la Russie ; une proximité trop grande des deux dirigeants avec la France, quand les militaires du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) seraient, eux, plus proches de la Russie. Est-ce que c’est le cas ?
(rires) Non, mais les réseaux sociaux racontent des choses sans fondement. À aucun moment, ces choses ne sont exactes. Je ne vais pas dire qu’il n’y a pas de contrat d’armement et je ne vais pas dire qu’il y en a, mais je vous dis quand même que ce n’est pas la raison. Rappelez-vous que ce sont les mêmes personnes (les militaires du CNSP, ndlr) qui sont allées chercher Bah N’Daw dans son champ afin de lui proposer d’être président. Des décisions telles que le changement de gouvernement devaient être prises en commun accord avec son vice-président. La charte prévoit que le vice-président est en charge de la défense et de la sécurité. Normalement, il aurait dû être associé à la prise de décision sur les personnes qui devaient être nommées dans ces départements. Et cela n’a pas été fait.
Pour la suite de la transition, est-ce que le délai de 18 mois sera respecté ?
Le respect du délai dépendra du peuple malien. Nous, nous allons tout faire pour respecter les 18 mois. Au terme des 18 mois, les Maliens vont nous dire : est-ce que ces bases sont là pour pouvoir aller aux élections ? Est-ce que ça ne serait pas des élections bâclées ?
Donc, les élections présidentielle et législatives n’auront peut-être pas lieu en février et mars 2022, comme annoncées ?
Le délai est très serré. Le chantier est très grand. Il y a un nouveau découpage territorial qui est annoncé, un référendum constitutionnel aussi est annoncé. Il y a la question de la création du Sénat. Donc toutes ces choses vont nous permettre d’analyser si c’est possible de respecter oui ou non le délai.
La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), l’Union africaine, l’Union européenne, entre autres, évoquent de possibles sanctions. Est-ce que vous les redoutez ?
(rires) Ces sanctions, en fait, ce sont les populations civiles qui vont en souffrir. Donc, je ne pense pas qu’ils doivent faire des sanctions qui vont toucher à ces populations. Mais, maintenant, si on fait des sanctions ciblées : aucun d’entre nous n’a de compte bancaire à l’étranger ! L’interdiction de voyager, geler des fonds, toutes ces choses ne vont pas avoir l’effet escompté.
L’accueil fait au Mali par les Maliens de ces derniers évènements est sensiblement moins enthousiaste qu’en août dernier, lorsque la même junte du CNSP avait renversé le président Ibrahim Boubacar Keita (IBK). Ne craignez-vous pas une rupture avec les citoyens maliens ?
Non, au contraire. Ils ont été très passifs par rapport à cette situation parce que, tout simplement, beaucoup commençaient à comprendre que la transition ne bougeait pas tel que le peuple l’avait souhaité. Sinon, je pense que mes compatriotes aujourd’hui sont satisfaits du fait que nous allons avoir une situation nouvelle. Le pays ne va pas s’arrêter là, on va continuer.