On se souvient de la vague de migrants mineurs arrivés dans le Gers fin 2016. Une fois pris en charge par le département, il a fallu donner une formation à ces jeunes gens, souvent très peu scolarisés, ou dotés de diplômes sans équivalence en France. “Mais quelle formation leur offre le système scolaire français, s’interroge Sandrine Bayle-Gosse, directrice adjointe de l’Ecole des métiers de Pavie. Ils parlent peu ou pas le français, il est difficile de les intégrer… Alors, on nous les adresse.” Après une évaluation de leur niveau de langue et de leurs attentes, les futurs apprentis sont dirigés vers les filières du CFA : CAP, BTS, Bac pro… “Mais en majorité, ils vont en CAP, surtout dans les métiers en tension comme le bâtiment, la restauration, l’automobile, où la demande est très forte.” Les métiers où personne ne veut aller, mais où les propositions de postes abondent.
Et là, la métamorphose s’opère. Sékou Mabinty est arrivé de Guinée. Aujourd’hui, en 2e année de CAP cuisine, ce grand gaillard taiseux le répète : “Il faut apprendre. Le français et le reste.” Au point qu’il ne parle que français avec les nouveaux arrivants ! “Il faut travailler, on n’a pas le choix. Même avec les papiers, il faut travailler pour tout payer.” Une conviction qu’il a tellement bien appliqué qu’aujourd’hui Sékou Mabinty, déjà totalement autonome grâce à son salaire d’apprenti, est face à un dilemme. Arrêter en CAP et accepter une offre d’embauche, ou poursuivre en BP Arts de la cuisine, très demandé. “Mon patron veut me garder, mais si je continue en BP, je dois changer d’entreprise !” Souvent, les entrepreneurs qui les prennent en apprentissage “voient ce contrat sous un angle qui dépasse le simple travail, explique la directrice du CFA, Florence Peres. Beaucoup les hébergent, les aident pour les cours, il y a une dimension sociale.”
Ces employeurs ne sont pas fâchés de les voir arriver. “Ce sont des apprentis très consciencieux, ponctuels, et compétents, assure Guy Sorbadère, président de la Chambre de métiers du Gers. Ces apprentis-là, on ne les laisse pas partir, on les embauche ! Surtout qu’ils travaillent dans des secteurs où on peine vraiment à trouver du personnel…” C’est le cas du patron de Sékou Mabinty, Guy Lachery. Le gérant du Courtepaille d’Auch ne tarit pas d’éloge : “Je trouve ça magnifique comme parcours. On lui peut lui confier des tâches, il est poli, ponctuel, courageux… S’il veut rester pour la suite, on le garde ! on lui a déjà proposé de passer à un stade au-dessus !”
70
Mineurs non accompagnés. Mali, Guinée, Côte-d’Ivoire, ou Russie, Albanie… Le CFA de Pavie accueille près de 70 jeunes migrants arrivés seuls en France.
Zéro problème
Ce ne sont pas les jeunes migrants qui posent des soucis à l’Ecole des métiers : « ils sont là pour apprendre, pour pouvoir travailler, et ils ne se posent pas de questions, résume Sandrine Bayle-Gosse, directrice adjointe. Nous ne rencontrons aucun problème de discipline ou de comportement avec eux : ces gamins sont des exemples d’intégration. » Pas forcément évident au départ de proposer ces apprentis un peu particuliers aux entreprises, « mais il y a eu un effet boule de neige. Les patrons ont vu comment ils travaillaient, et cela s’est très vite su ! » Un seul regret : le manque de moyens ne permet pas au CFA d’en accepter plus. Et la future réforme, qui régionalise la gestion, risque de réduire comme peau de chagrin les possibilités de donner des cours de Français Langue étrangère, « pourtant essentiels pour leur intégration ».
Marc Centene
ladepeche