Wanep-Mali, le réseau ouest africain pour l’édification de la paix, est engagé depuis plusieurs années dans les domaines de la prévention des conflits, de la sécurité humaine, de la gouvernance inclusive et du renforcement des capacités des acteurs communautaires, avec un accent particulier sur les jeunes et les femmes. Mahamady Togola, le Coordinateur national, a organisé un atelier sur la drogue au Mali. Dans cet entretien, il explique les enjeux de ce fléau au Mali.
Mali-Tribune : Pouvez-vous nous présenter brièvement Wanep-Mali et sa mission dans le domaine de la paix et de la sécurité ?
Mahamady Togola : Wanep-Mali est la section nationale du réseau sous-régional Wanep, qui œuvre depuis plus d’un quart de siècle (1998 plus précisément) pour la promotion de la paix, la prévention des conflits et la sécurité humaine en Afrique de l’Ouest. Notre mission est de contribuer à bâtir une société malienne pacifique, inclusive et résiliente, à travers des mécanismes d’alerte précoce, de dialogue multi-acteurs, d’éducation à la paix, de plaidoyer et d’appui à la participation citoyenne, notamment celle des jeunes et des femmes.
Mali-Tribune : Qu’est-ce qui a motivé l’organisation de cet atelier de plaidoyer sur la problématique des drogues au Mali ?
- T. : La montée inquiétante de la consommation et du trafic de drogues, en particulier chez les jeunes, nous a interpellés. Les données issues de notre système d’alerte montrent une recrudescence du phénomène dans plusieurs régions du pays. Il s’agit aujourd’hui d’un défi transversal : sécuritaire, social, sanitaire et économique. Face à cela, nous avons voulu créer un espace de dialogue pour porter la voix des jeunes et des communautés, partager des données concrètes et construire des recommandations en direction des décideurs.
Mali-Tribune : Qui étaient les participants à cet atelier (acteurs étatiques, société civile, jeunes, etc.) et pourquoi ce choix ?
- T.: Nous avons voulu une approche inclusive et multisectorielle. Étaient présents des représentants des institutions publiques (OCLS, CNAP, Direction nationale de la jeunesse), des organisations communautaires comme le Réseau des Jeunes Médiateurs pour la Paix (RJMP) et les jeunes du Comité de Médiation Communautaire (CMC), des éducateurs, des professionnels de santé, des chercheurs, ainsi que des jeunes leaders issus des quartiers populaires. Ce choix visait à croiser les expertises institutionnelles avec les vécus du terrain, et à créer un espace de dialogue intergénérationnel et interinstitutionnel.
Mali-Tribune : Quel est, selon vous, l’état actuel de la consommation et du trafic de drogues au Mali ?
- T.: Le phénomène est en forte progression. Nos partenaires du Centre national d’alerte précoce (CNAP) ont partagé des données inquiétantes : la consommation touche désormais des tranches d’âge de plus en plus jeunes, parfois dès le collège. Il touche aussi bien les milieux urbains que certaines zones rurales. Nous observons une prolifération de produits très dangereux comme le tramadol détourné, le Kush, le Skunch ou encore des drogues artisanales. Le trafic, quant à lui, profite de la porosité des frontières dans certaines zones.
Mali-Tribune : Quelles sont les conséquences sociales, économiques et sécuritaires de ce phénomène sur la population, notamment les jeunes ?
- T.: Les impacts sont multiples. Sur le plan social, la drogue isole, marginalise et détruit des trajectoires. Économiquement, elle alimente des réseaux informels parfois violents et prive la jeunesse de sa capacité productive. Sur le plan sécuritaire, elle est un facteur d’instabilité : là où la drogue circule, les violences urbaines, les cambriolages, voire les recrutements dans des groupes criminels deviennent plus fréquents.
Mali-Tribune : Avez-vous identifié des régions particulièrement touchées ou vulnérables ?
- T.: Oui. Nos données montrent une concentration des incidents dans les régions de Bamako, Kayes, Koulikoro (notamment Dioïla et Bougouni), et Gao. Ce sont des zones où l’on observe fréquemment des saisies, des interpellations, mais aussi une présence active de jeunes dans le trafic.
Mali-Tribune : Quels étaient les principaux objectifs de cet atelier ?
- T.: L’atelier visait à trois choses. D’abord démystifier le sujet, en le rendant accessible à tous les participants ; ensuite mettre en lumière les données et les vécus, à travers des interventions croisées (experts, jeunes, personnel de santé, éducateurs) et enfin co-construire une feuille de route d’engagements partagés, avec des recommandations concrètes pour prévenir, accompagner et responsabiliser.
Mali-Tribune : Quelles thématiques ont été abordées durant les échanges ?
- T. :Les échanges ont porté sur trois axes principaux : les causes profondes : précarité, inégalités, déperdition scolaire, absence de repères ; les impacts multiformes : sur la santé mentale, la cohésion sociale, la sécurité et la productivité des jeunes et les réponses : du rôle de l’alerte précoce à la réinsertion, en passant par la sensibilisation et le plaidoyer citoyen.
Mali-Tribune : Quelles sont les principales préoccupations ou recommandations qui sont ressorties des discussions avec les participants ?
- T.: Parmi les recommandations phares, je citerais le besoin d’introduire l’éducation préventive dès l’école ; le renforcement de l’accompagnement psychosocial des jeunes usagers ; l’importance de créer des cellules locales d’alerte et de suivi et la nécessité d’impliquer les jeunes dans les politiques publiques, en leur donnant la parole mais aussi des responsabilités.
Mali-Tribune : Quelle est la stratégie de Wanep-Mali pour contribuer à la lutte contre la drogue à travers le plaidoyer ?
- T.: Notre stratégie en tant que réseau d’OSC encré localement, repose sur trois piliers : produire et diffuser des données fiables à travers notre système d’alerte précoce ; renforcer les capacités des jeunes et des OSC à porter un plaidoyer structuré auprès des décideurs et créer des espaces de dialogue multi-acteurs comme celui-ci, où chacun peut contribuer à formuler des solutions durables.
Mali-Tribune : Collaborez-vous avec les autorités nationales ou internationales sur cette problématique ? Si oui, de quelle manière ?
- T.: Absolument. Nous collaborons étroitement avec le CNAP, l’OCLS, la Direction de la Jeunesse, les mairies, la police mais aussi avec des partenaires internationaux comme Cordaid ou Search For Common Ground dans le cadre du programme Just Future. Sans oublier les organisations nationales membre du réseau Wanep qui font un travail remarquable dans la promotion de la sécurité humaine au Mali. Ces synergies nous permettent d’amplifier les voix citoyennes dans les processus de gouvernance sécuritaire.
Mali-Tribune : En quoi les actions de plaidoyer peuvent-elles faire évoluer les politiques publiques en matière de drogues ?
- T.: En réalité, le plaidoyer permet de porter la voix des communautés, d’apporter des données terrain, de mobiliser les décideurs et de co-construire des réponses. Il crée une pression citoyenne légitime pour faire avancer les réformes, renforcer les cadres juridiques et orienter les ressources là où elles sont le plus nécessaires.
Mali-Tribune : Quelles sont les suites concrètes que vous envisagez à l’issue de cet atelier ?
- T.: La première suite, c’est la diffusion de la fiche de plaidoyer élaborée par les jeunes. Ensuite, nous allons suivre la mise en œuvre de la feuille de route d’engagements adoptée. Des cellules locales d’alerte, des campagnes dans les écoles, des dialogues communautaires sont en préparation. Nous voulons que ce ne soit pas un événement isolé, mais le début d’une dynamique.
Mali-Tribune : Avez-vous des initiatives prévues pour impliquer davantage les jeunes dans la prévention et la sensibilisation ?
- T.: Oui. À travers le RJMP, les jeunes sont déjà au cœur de l’action. Nous allons renforcer leurs capacités à utiliser les outils numériques, organiser des caravanes de sensibilisation, appuyer les initiatives locales comme les grins mobiles, et créer des clubs d’écoute et de dialogue dans les écoles.
Mali-Tribune : Quelles sont, selon vous, les priorités à adresser en urgence pour freiner l’ampleur du phénomène au Mali ?
- T.: De mon point de vue, il faudra agir simultanément sur plusieurs leviers : prévention précoce dans le système éducatif, création de centres d’accueil et d’accompagnement pour jeunes usagers, meilleure coordination entre services sociaux, éducatifs et sécuritaires, valorisation des initiatives communautaires et des jeunes leaders, qui peuvent agir là où l’État est parfois absent.
Mali-Tribune : Quel message souhaiteriez-vous adresser aux décideurs, aux jeunes et à l’ensemble de la société malienne concernant la problématique des drogues ?
- T.: Mon message est simple : nous ne vaincrons pas ce fléau chacun dans notre coin. Les jeunes ne sont pas seulement des victimes. Ils sont aussi des porteurs de solutions. Aux décideurs, je dis : écoutez-les, associez-les. À la société malienne, je dis : ne stigmatisez pas. Comprenez, accompagnez, et engagez-vous. Parce qu’un pays qui protège sa jeunesse est un pays qui se construit en paix.
Aujourd’hui, les médias et les influenceurs ont un pouvoir de mobilisation énorme, notamment auprès des jeunes. Ils peuvent aider à changer les mentalités, diffuser des messages de prévention, et briser les tabous. À Wanep-Mali, nous pensons qu’il est indispensable de les impliquer davantage, non seulement comme relais, mais aussi comme acteurs à part entière du plaidoyer. Nous prévoyons de renforcer nos partenariats avec eux pour porter plus loin le message, de manière responsable et adaptée aux codes de la jeunesse.
Propos recueillis par
Alexis Kalambry