Mercredi 17 janvier, 15h28 mn ! J’étais un plein bouclage du journal quand je reçois un appel téléphonique d’Alou Sogoba. Après quelques secondes d’échanges, la funeste nouvelle sortit de sa bouche, me laissant sans voix: «ton pote est décédé, le lundi 8 janvier 2024».
«Mon pote » !!!! , c’est son grand frère Mamadou Sogoba, ingénieur de Télévision à la retraite, fidèle collaborateur du journal «Le Challenger» qui avait toujours plaisir à publier ses poèmes. Alou Sogoba s’empressa d’ajouter que le défunt avait émis le vœu que nous en soyons informés dès que sa dernière heure serait arrivée !!!!!
Le temps de me remettre de mes émotions, je présentai mes condoléances à la famille Sogoba. Cette annonce qui a assombri mon après-midi, en plus du stress lié à la pression au bouclage, m’a fait revivre les souvenirs de ma dernière visite chez l’ingénieur-poète. C’était le dimanche 29 octobre 2023. Je me suis rendu chez lui dans son appartement à la Cité des 80 logements de Faladiè où il s’était imposée une vie simple. Il n’aimait déranger personne.
Comme d’habitude, nous avons longuement devisé et discuté. C’était toujours un plaisir de l’écouter. Il me parla de sa famille. Il m’informa que sa femme, de nationalité russe, est décédée de Covid 19. Je lui ai présenté mes condoléances. Il me détailla avec humour comment il a été mis sous observation à l’Hôpital du Mali ainsi que certains de ses proches. Il me raconta comment sa famille a quitté Koutiala pour se retrouver à Niono. De ses souvenirs de jeunesse, il n’a jamais oublié cet accident dont il a été victime en compagnie d’un ami, vers le quartier Badialan, non loin des rails. Il me parla de la bonté de Cheick Oumar Doumbia qui fut ministre du général Moussa Traoré. Et aussi de la grande estime qu’il avait pour Mamadou Sinsy Coulibaly, ancien Président du Conseil national du Patronat du Mali.
Confidences….
Ce jour-là, Mamadou Sogoba me parla beaucoup de spiritualité surtout. Il me conseilla de penser toujours positif en prenant des exemples sur sa propre vie. Et puis, soudainement, il m’annonça : « j’ai dit à mon petit frère Alou de t’appeler le jour où je serais décédé. Je veux que ce soit toi qui annonce mon décès…». Des mots qui me firent l’effet d’une douche froide. Puis, Mamadou Sogoba me conduit dans sa chambre à coucher, où il me demanda de faire la photo qui va servir à illustrer l’avis de son décès. Il s’agissait l’une de ses photos de jeunesse accrochée au fronton de son lit. Et, c’est cette photo que vous voyez.
Par la suite, il sélectionna trois de ses poèmes et me les a remis pour publication. L’un portait sur Ibrahim Ly, l’épouse de l’historienne Madina Tall et le père de l’ancien Premier ministre Oumar Tatam Ly. Un autre parla de la nécessité de cohésion nationale. Et le troisième «Moscou Madou». Il souhaita que je republie ce poème intitulé avec une demande expresse.
Vers le crépuscule, il me raccompagna vers la porte. On s’est dit au revoir et il me souhaita bon voyage, car le lendemain, je devais me rendre à Sikasso. Ainsi, j’étais loin d’imaginer que cela allait être ma dernière rencontre avec cet esprit brillant qui appréciait notre travail à sa juste valeur.
Mamadou Sogoba est l’un des premiers ingénieurs de télévision au Mali formé en ex-Urss. Poète, philosophe, écrivain, il n’en demeurait pas moins une bibliothèque vivante. Il était l’un des poètes les plus prolifiques et avait une maturité créatrice. Il est l’auteur du texte qui fait vibrer, autant que l’hymne national du Mali, la fibre patriotique de tout citoyen malien bon teint Qui ne prend pas plaisir à écouter sur la télévision nationale le poème : «Mon destin, c’est ma patrie » avec la voix du non moins regretté Thierno Ahmed Thiam ?
Mamadou Sogoba était un homme fort sympathique dont le sourire constant qui brisait les glaces était une gentille invite à l’amitié. Ce cadre modèle était un patriote dans l’âme qui adorait le Mali. Ils sont –hélas- nombreux, à l’écart des sons et lumières, les cadres de la dimension de Mamadou Sogoba à vivre et mourir dans l’indifférence sans la moindre non reconnaissance des autorités maliennes. Il ne serait pas trop de dire que l’Etat malien n’est pas reconnaissant à l’égard de ses fils méritants de la nation du fait des énormes services rendus. Des fils du Mali à l’instar de Mamadou Sogoba. Sous d’autres cieux, l’auteur du poème patriotique : «Ma patrie le Mali » serait admis au Panthéon des immortels. Mais, Mamadou Sogoba qui méritait tant de la patrie n’a même pas eu la moindre petite médaille en guise de reconnaissance. C’est ça aussi le Mali.
De mon entretien avec lui en 2016, j’ai retenu cette phrase : «la seule chose qui n’est pas illusion, c’est Dieu ». Dors en paix Moscou Madou !!!
Chiaka Doumbia