Monsieur le Président,
C’est avec tout le respect que je vous dois et la sincérité d’un jeune journaliste malien que je prends la plume pour m’adresser à vous en tant que frère, fils du pays, et témoin de cette période charnière de notre histoire. Je ne suis ni porte-parole d’un groupe politique, ni instrument d’un camp quelconque. Mon seul souci, c’est le Mali. Le Mali éternel, au-dessus des personnes et des positions.
Monsieur le Président, le et les signaux autour d’un projet de dissolution des partis politiques dans notre pays m’inquiètent profondément. Et parce que vous avez souvent démontré une capacité d’écoute et de recul, je me permets, humblement, de vous adresser ces quelques mots. Ce n’est pas une critique, c’est un appel fraternel, un conseil d’un jeune frère à son aîné qui, malgré son grade et sa charge, reste un fils de ce même peuple.
Les partis politiques ne sont pas nos ennemis, Monsieur le Président. Ils ne sont pas la cause première de nos souffrances. Les difficultés que traverse notre pays ne sont pas nées avec les partis. Bien sûr, certains acteurs politiques ont pu décevoir. Oui, des erreurs ont été commises, parfois graves. Mais ce n’est pas le multipartisme en soi qui est un problème, c’est l’absence de contrôle, la faiblesse des institutions, et parfois le silence complice de ceux qui auraient dû agir.
Permettez-moi, Monsieur le Président, de vous rappeler que le pays que nous suivons aujourd’hui avec admiration, la Russie, n’a jamais supprimé ses partis politiques. Même dans un système fortement centralisé, les élections ont lieu, les candidatures sont présentées, les partis s’expriment, même si le président Poutine en sort toujours victorieux. Cela donne au moins l’image d’une démocratie encadrée, pas d’un pouvoir absolu. Pourquoi donc chercher à supprimer une diversité qui, encadrée, peut au contraire vous renforcer ?
Monsieur le Président, les rapports d’audits que votre gouvernement a publiés sont édifiants, avec des milliards détournés. Mais ces détournements ne sont pas le fait des partis politiques dans leur globalité. Ils sont le fait d’individus, de gestionnaires, souvent hors de toute étiquette politique, parfois même proches de ceux qui vous entourent aujourd’hui. Vous le savez mieux que quiconque : certains de vos collaborateurs se réjouissent discrètement de vos difficultés. Ils n’ont pas le Mali dans le cœur comme vous. Ils se protègent et vous exposent. Ils applaudissent en public mais murmurent autre chose en privé.
Monsieur le Président, vous êtes jeune. Vous avez encore un long avenir devant vous. Le Mali aura encore besoin de vous demain, mais pas comme un homme isolé au-dessus de tout, plutôt comme un leader qui aura su construire un cadre durable, inclusif et apaisé. Il ne s’agit pas de plaire aux partis. Il ne s’agit pas de céder. Il s’agit d’écrire une histoire juste et équilibrée. Et dans cette histoire, la pluralité politique, même imparfaite, est un socle républicain.
Vous pouvez réformer les partis, vous pouvez imposer des règles strictes de financement, de représentativité, de fonctionnement interne. Vous pouvez sanctionner sévèrement les abus, exiger la transparence. Mais supprimer la vie politique organisée, c’est ouvrir la porte à l’informel, au populisme incontrôlé, au silence dangereux. Ce serait faire reculer la démocratie malienne, que vos efforts ont pourtant contribué à remettre sur la voie de la dignité et de la souveraineté.
Je vous invite à vous réjouir des critiques, même les plus dures. Car nul n’est parfait, et certains reproches ne sont pas des attaques, mais des opportunités pour se corriger, pour s’améliorer, pour durer. Le vrai pouvoir, c’est celui qui résiste à la contradiction. Le vrai leader, c’est celui qui ne craint pas les voix qui s’élèvent, mais les utilise pour grandir.
Monsieur le Président, si vous lisez cette lettre jusqu’au bout, si vous la méditez sans y voir de l’arrogance, alors je me sentirai écouté. Non pas pour moi, mais pour tous ces jeunes Maliens qui croient encore que le dialogue est possible. Que le respect de la pluralité ne nuit pas à l’autorité. Et que le Mali peut, à la fois, être fort et démocratique.
Recevez, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération.
Abdourahmane Doucouré, jeune journaliste ( 66720073)