Longtemps considérée comme un phénomène discret mais répandu dans les grandes villes africaines, la prostitution semble aujourd’hui marquer un net recul à Bamako. En cause : une conjoncture économique difficile, une insécurité croissante et une précarité généralisée qui affecte aussi bien les clients que les travailleuses du sexe.
Si hier certaines rues, quartiers ou boîtes de nuit de la capitale vibraient de cette activité parallèle, aujourd’hui les signes d’essoufflement sont visibles. De nombreuses jeunes filles, maliennes comme étrangères, peinent à trouver des clients réguliers ou à vivre de cette activité, autrefois perçue comme un refuge face à l’absence d’opportunités économiques.
« Avant, je pouvais voir deux ou trois clients par nuit. Aujourd’hui, il m’arrive de passer deux jours sans rien. Les hommes aussi n’ont plus d’argent », témoigne Fati, 24 ans, venue de Kayes après avoir quitté l’école en classe de 9e année.
Même son de cloche chez Aminata, originaire du Burkina Faso, installée à Bamako depuis trois ans. « On nous accuse souvent, mais beaucoup de filles comme moi n’ont pas eu de chance. J’ai fui un mariage forcé. Ici, je n’ai ni papiers, ni famille. La seule solution que j’ai trouvée, c’est ça. Mais même ça, maintenant, ne marche plus. »
Une réalité sociale alimentée par le décrochage scolaire
Une grande partie de ces jeunes femmes sont ce qu’on appelle des demi-lettrées, celles qui ont quitté l’école prématurément, souvent entre la 7e et la 10e année. Sans diplôme, sans formation professionnelle et issues de familles modestes, elles se retrouvent sans perspective réelle d’emploi ou de revenus durables.
La prostitution est alors vue comme un choix de dernier recours, souvent dicté par des besoins urgents : nourrir un enfant, payer un loyer, soutenir une famille restée au village ou simplement survivre dans la ville.
Avec la crise économique qui frappe de plein fouet les ménages maliens, entre inflation, chômage et baisse du pouvoir d’achat, les clients se raréfient. En parallèle, l’insécurité, la fermeture de certains lieux de loisirs et la pression sociale renforcent la marginalisation de ces jeunes femmes.
« Le regard sur nous est encore plus dur qu’avant. On nous juge, mais personne ne nous tend la main. Même les hôtels nous refusent l’accès maintenant », déplore Aïcha, rencontrée dans le quartier de Badalabougou.
Face à cette réalité préoccupante, il devient urgent de proposer des solutions durables à ces jeunes femmes en situation de vulnérabilité. Plusieurs associations plaident pour la mise en place de programmes d’appui socio-professionnel ciblant en particulier les filles non scolarisées ou sorties prématurément du système éducatif.
Parmi les pistes évoquées figurent des formations en métiers accessibles comme la couture, la coiffure, la cuisine ou l’informatique de base, un accompagnement psychosocial pour aider à la reconstruction de l’estime de soi et à la réinsertion, un accès facilité aux microcrédits pour encourager l’entrepreneuriat individuel, ainsi qu’une campagne nationale de sensibilisation sur les droits des filles, les dangers de l’exploitation et les alternatives viables.
Sans volonté politique claire ni engagement des autorités locales et nationales, le cycle de vulnérabilité risque de se perpétuer, maintenant ces jeunes femmes dans l’ombre.
« Je ne veux pas faire ça toute ma vie. Si on me donnait une autre chance, j’irais à l’école ou j’apprendrais un métier », lance timidement Salimata, 19 ans, les yeux baissés.
La prostitution à Bamako est aujourd’hui un miroir des inégalités sociales et du manque d’options pour une jeunesse livrée à elle-même. Réduire ce phénomène ne passera pas seulement par la répression, mais par une approche humaine et proactive : offrir des perspectives, redonner espoir et dignité à celles qui veulent en sortir.