“Un régime démocratique nettement meilleur qu’un régime militaire”
Dans un document intitulé : “Mali : Propositions de sortie de crises”, le président du Réseau des défenseurs des droits humains du Mali, Souleymane Camara, livre ses recettes pour permettre à notre pays de sortir de la grave crise multidimensionnelle qui le secoue depuis plus d’une décennie déjà.
A l’entame, il a rappelé que le renversement du régime du président Ibrahim Boubacar Kéita est intervenu pour des raisons diverses liées plus ou moins à la dégradante crise sécuritaire antérieure et continue, à la mal gouvernance mais surtout à l’absence de perspectives de solutions pour les résoudre.
A ses dires, les Maliens se sont mobilisés pendant plusieurs mois de lutte pour exiger un changement radical qui a débouché à un premier coup d’Etat suivi d’un deuxième par les mêmes auteurs qui ont parlé cette fois-ci de rectification de la trajectoire de la transition.
De son analyse, ces coups d’Etat ont suscité des condamnations de la plupart des institutions sous régionales, régionales, africaines et mondiales notamment l’Union africaine, la Cédéao, l’Union européenne et de l’Organisation des Nations unies (ONU).
A la suite de ce double coup d’état au Mali, poursuit-il, d’autres coups d’état ou changements violents de régime se sont produits dans d’autres pays africains, mais ont provoqué des réactions et des traitements différents de la communauté internationale selon les pays.
Deux poids, deux mesures
A l’en croire, ce double standard, autrement dit, ces deux poids, deux mesures en réaction à ces différents coups d’Etat n’a pas échappé aux observateurs avertis en entraînant des critiques virulents et mettant en mal la crédibilité et l’intervention des acteurs internationaux. Ainsi, dit-il, ces différentes prises de position de la communauté internationale ont mis à nu le jeu des intérêts des puissances étrangères qui cherchent plutôt à avoir à la tête des Etats africains, des régimes qui leur sont favorables, le plus souvent au détriment des intérêts des peuples africains.
Depuis lors, précisera-t-il, le Mali traverse plusieurs soubresauts qui sont venus s’ajouter aux crises multiformes, sécuritaire, jihadiste et terroriste notamment les sanctions inopportunes et même téléguidées de la Cédéao et de l’Uémoa à l’encontre du Mali, en violation des textes de lois communautaires. Ces sanctions injustes ont plutôt aggravé la situation du Mali et ont précipité son retrait de la Cédéao.
Il a laissé entendre que l’Armée malienne, avec à sa tête, les auteurs du coup d’Etat, qui ont, entre temps, après avoir failli, réussi à donner de l’espoir en redressant sensiblement la situation sécuritaire du pays par le recrutement massif et la formation continue des militaires ainsi que par le réarmement soutenu du Mali avec l’aide de la Fédération de Russie, de la République Populaire de Chine, de la République de Turquie et bien d’autres pays.
“On assiste fort heureusement de moins à moins aux massacres de populations civiles, aux destructions de villages entiers, de camps militaires et à la pose de mines ou d’engins explosifs sur le passage des populations civiles et des convois militaires”, peut-on lire dans le document. Et d’ajouter que les autorités de transition ont aussi engagé une lutte implacable et populaire contre la corruption, l’enrichissement illicite et la délinquance financière.
Doutes sur les réelles motivations du dialogue inter-maliens
Cependant, des difficultés majeures apparurent quant à l’interprétation et à l’application de l’accord de paix issu du processus d’Alger entre le gouvernement malien et les mouvements armés signataires. Et la Minusma dépêchée pour secourir le Mali n’a pas réussi à stabiliser la situation sécuritaire, ni à faire appliquer l’accord de paix malgré une décennie de forte présence de milliers de personnels civil et militaire.
Aux dires de M. Camara, après avoir dénoncé l’accord issu du processus d’Alger, les autorités de la transition ont proposé en lieu et place un dialogue inter-malien pour résoudre les crises cycliques au Mali et entre-temps, l’expiration du deuxième délai de la Transition fixé à 24 mois est intervenue.
Ainsi, des partis politiques et des organisations de la société civile montèrent au créneau pour exiger un nouveau calendrier électoral consensuel pour le retour à l’ordre constitutionnel normal. En réponse, les autorités de la transition ont opté pour la suspension de leurs activités au motif qu’il y’a lieu de préserver l’ordre public et de permettre la tenue du dialogue inter-maliens, qui fut à son tour boycotté par ces mêmes partis politiques et organisations.
Selon M. Camara, de nos jours, des doutes persistent quant aux réelles motivations du Dialogue inter-malien, mais aussi quant aux résultats attendus, car d’autres thèmes importés en dehors des termes de référence dudit dialogue risquent de supplanter les objectifs réels recherchés.
Il rappellera que déjà, les autorités de la transition ont du mal à recenser les retombées positives des foras qui ont précédé le Dialogue inter-malien notamment les Assises nationales de la refondation dont la mise œuvre des recommandations est confiée à un comité de suivi-évaluation visiblement incompétent et inefficace. Car, les problèmes de corruption, d’enrichissement illicite, de clientélisme, de népotisme, de favoritisme, de l’impunité, de l’injustice soulevés pendant les Assises nationales de la refondation demeurent toujours au niveau de l’administration publique malienne.
Absence de calendrier électoral consensuel
A ce jour, mentionne le document, les autorités de la transition n’ont pas donné un nouveau calendrier électoral consensuel et immuable. Aussi, elles ne communiquent pas non plus sur la crise énergétique et la crise de trésorerie sans précédent qui secouent le Mali depuis plusieurs mois.
De son point de vue, ce silence très pesant devrait être rapidement corrigé dans l’intérêt général pour mettre le Mali sur la voie de la normalité constitutionnelle. “Nous assistons aujourd’hui à l’emprisonnement de plusieurs leaders d’opinion y compris certains fervents défenseurs de ces mêmes autorités de transition, tombés en disgrâce pour avoir exprimé des opinions contraires”.
A ses dires, c’est dans cette situation peu reluisante que l’on apprend que le Conseil national de transition (CNT), organe législatif de transition veut s’arroger des avantages pécuniaires extravagants dans l’état actuel de pauvreté extrême du pays.
“Comment des membres du CNT peuvent-ils se permettre en cette dure période, de provoquer l’indignation des maliens en cherchant à s’arroger indûment des avantages malgré la souffrance du Peuple martyr du Mali ? Sont-ils vraiment là pour l’intérêt du peuple malien ou pour leurs intérêts personnels ? Comment peut-on procéder ainsi après tant de sacrifices consentis par les maliens en soutenant les autorités de la transition pendant l’embargo et les lourdes sanctions économiques infligées au Mali par la Cédéao et l’Uémoa ? Comment peut-on oublier si vite l’abnégation des maliens en cette dure période de perte continue d’économie suite au déficit d’énergie électrique que connait le pays entier ?”, s’interrogera-t-il.
A cet égard, poursuit-il, la Cour constitutionnelle du Mali à l’instar des autres juridictions du pays devrait jouer pleinement son rôle sous peine de forfaiture. Aucune loi rétroactive ne peut régulariser au profit du CNT des fonds illégalement sortis du Trésor public, frauduleusement dépensés et détournés au mépris de la souffrance du peuple Malien. Et d’ajouter que les membres du CNT devraient restituer entièrement les fonds indûment perçus. Dans le cas contraire, ils seront tôt ou tard poursuivis comme à l’instar de ceux qui ont détourné les fonds destinés à l’Armée malienne.
Avant d’inviter les autorités de la Transition à s’assumer. Car, selon lui, comment peut-on vouloir rester encore longtemps au pouvoir en s’abstenant de donner une nouvelle date consensuelle pour le retour à l’ordre constitutionnel, oser détourner les objectifs du dialogue inter-maliens en proposant d’ores et déjà une nouvelle prolongation de la durée de la transition comme pendant les Assises nationales de la refondation, se fier à la parole de ceux qui ont plusieurs fois renié leurs propres engagements.
A titre de rappel, il dira que les autorités de la transition ont à deux reprises, manqué de respecter leurs propres engagements et leurs serments pour un retour à l’ordre constitutionnel normal. “La Transition malienne ne réussirait jamais ses missions essentielles d’instaurer le Mali Kura (Nouveau Mali) tant que les problèmes de mal gouvernance décelée au niveau de l’administration publique continuent d’exister”, fait-il remarquer.
Pour le défenseur des droits humains, la Transition n’a pas vocation à régler tous les problèmes du Mali ou à s’occuper des questions d’ordre politique. Et de préciser que les militaires doivent savoir retourner dans les casernes dans la paix et dans la dignité afin de s’occuper en priorité des questions de défense et de sécurité.
Et de renchérir qu’il est vraiment temps de fixer une date consensuelle pour le retour à l’ordre constitutionnel normal en envisageant d’organiser pacifiquement le passage de relais pour un régime démocratique, qui quoique l’on dise, est nettement meilleur qu’un régime militaire qui maintenant restreint au vu et au su de tous, les libertés individuelles et collectives avec une justice de plus en plus répressive dont certains acteurs semblent oublier que la roue de l’histoire tourne et que les maliens ont de la mémoire.Pour le bien du Mali, il exhorte les autorités de transition de savoir se retirer à temps de ne passe laisser: prendre en hottage par ceux qui œuvrent pour le statut quo à cause de leurs intérêts personnels ; berner par des laudateurs ; corrompre par l’exercice du pouvoir politique qui est par essence éphémère.
Boubacar Païtao
Source: Aujourd’hui-Mali