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Le Pr. Issa N’Diaye se confie a infosept au sujet des manisfestations des jeunes de Gao : «Le risque d’embrasement est réel tant à Bamako que dans d’autres villes du nord du pays»

On dit de lui qu’il n’a pas sa langue dans sa poche et est connu pour son franc parler, car déclarant tout haut ce que les autres murmurent tout bas. Il s’agit du Pr. Issa N’Diaye, philosophe, homme politique, universitaire-chercheur et président de l’association malienne  Forum civique. Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, le Pr. avec une position tranchée, se prononce sur les questions brûlantes de l’heure comme les récents événements douloureux de Gao, le processus de paix avec l’Accord de Bamako. Il parle aussi des autorités intérimaires, du nouveau mandat de la MINUSMA et du récent remaniement ministériel.   

Professeur Issa NDiaye

 InfoSept : Bonjour Professeur, vous n’êtes plus à présenter. Pouvez-vous nous faire une analyse de la situation politique et sécuritaire actuelle du Mali ? 

Pr. Issa N’Diaye : Le Mali est entré dans une zone de tempête. On a le sentiment que le pouvoir politique et la classe politique n’en ont pas pris la juste mesure. Le pouvoir fait preuve d’une cécité incroyable.  Il ne semble avoir pris conscience de la dangerosité de la situation. Il s’est complètement soumis aux directives des puissances extérieures sur lesquelles il compte pour assurer sa survie. Il semble faire peu de cas des préoccupations et points de vue de sa population aux yeux de laquelle l’Etat malien a perdu toute crédibilité. La crise de confiance qui s’est installée a introduit une faille entre gouvernants et gouvernés qui ne cessent de s’élargir chaque jour davantage. Mais, les dirigeants n’en ont cure. L’insécurité gagne partout du terrain en même temps que la crise économique avec comme corollaire la paupérisation de la grande majorité des maliennes et maliens.

Au discrédit du pouvoir, s’ajoute celui de la classe politique qui ne semble avoir de politique de rechange, à part les recettes imposées par les bailleurs de fonds et qui ont jusqu’ici largement échoué. L’impasse est également totale au niveau de la société civile notamment de sa frange religieuse qui s’est politisée au fil du temps. Elle n’est plus le recours naturel qu’elle fut jadis.

Le vide laissé du fait de l’absence d’alternatives crédibles ou de  forces sociales en mesure d’en assurer le leadership, semble ouvrir la voie à toutes sortes d’aventures, y compris une guerre civile larvée.

Les troubles sociaux qui semblent s’inscrire désormais à l’ordre du jour ne sont pas de bon augure. En cas de dérapage, il est clair que les tuteurs internationaux n’hésiteront pas à adouber un régime militaire, pourvu que cela pérennise leurs intérêts. Il ne faut guère se faire d’illusions. Ils ne laisseront émerger aucune frange patriotique au sein de l’armée.

La crise a atteint un tel degré de pourrissement que la nécessité d’assises nationales souveraines s’impose. Là aussi, il est clair que la classe politique actuelle, toutes tendances confondues, n’est guère prête à se soumettre au verdict des populations qui les congédieront, à n’en pas douter, de la scène de l’histoire. Le modèle démocratique malien est devenu leur cauchemar. Les privilèges énormes qu’il accorde à une minorité prédatrice et apatride ne conduisent guère à l’optimisme. Et si l’on n’y prend garde, la cocotte-minute sociale risque de faire sauter tous les verrous.

 

InfoSept : Quelle appréciation faites-vous de l’état de la mise en œuvre de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation de Bamako, issu du processus d’Alger et surtout de la loi sur les Autorités intérimaires ?

Pr. Issa N’Diaye : Là aussi, le gouvernement fait fausse route. Sur l’instigation de ses tuteurs internationaux, le gouvernement semble avoir choisi de transférer le pouvoir à des seigneurs de guerre locaux par-dessus la tête des populations et de leurs élus et de manière fort peu démocratique. Et il fait peu de cas de leurs humeurs.

Les manifestations des jeunes de Gao et la répression qui s’en est suivie marquent aussi là un point de rupture. Le risque d’embrasement est réel tant à Bamako que dans d’autres villes du nord du pays.  Le pouvoir est loin d’avoir compris l’impasse dans laquelle il s’enferme inexorablement. Des forces sociales et politiques négatives dont certaines proches du défunt FDR semblent déjà s’en mêler. L’appétit vorace des groupes armés pressés de s’emparer des dépouilles du pouvoir local en a fait un cocktail explosif. Des menaces sourdes pèsent sur l’intégrité territoriale du pays. Des dérapages sont possibles. L’instauration d’une instabilité de longue durée risque de mettre à mal la cohésion sociale des zones concernées. La relecture à marches forcées de la Constitution du pays par-dessus la tête des maliens n’augure rien de bon. Le refus d’écouter là aussi  le peuple souverain met en danger la paix sociale et la cohésion nationale.

 

InfoSept : Que pensez-vous du nouveau mandat de la MINUSMA, qu’on dit désormais renforcé pour combattre les terroristes ?

Pr. Issa N’Diaye : Il est hasardeux de croire que la Minusma serait l’outil adéquat pour combattre le terrorisme. Elle reste fondamentalement un outil au service des puissances internationales. Le terrorisme est le fruit de leur politique de déstabilisation et de domination du monde. Les forces sous mandat onusien n’ont jamais amené la paix nulle part.  La seule alternative passe par la reconstruction de la souveraineté  nationale du Mali sur la l’entièreté du pays. Ce sont justement les accords d’Alger tels que voulus par les tuteurs occidentaux du Mali qui perpétuent les conditions mêmes de l’insécurité.

L’Afrique est malade des interventions étrangères. Aujourd’hui, près de 10.000 soldats français et 100.000 soldats étrangers sont présents un peu partout sur le sol africain. Loin de pacifier le continent, cela semble avoir plutôt renforcé et étendu les zones d’instabilité. L’embrasement généralisé des pays du Sahel jusqu’aux confins de l’Afrique centrale en est l’illustration. On ne saurait pacifier l’Afrique sans les africains eux-mêmes, sans le respect de la souveraineté de leurs États et l’arrêt des ingérences étrangères tendant à leur dicter des politiques contraires aux intérêts fondamentaux des peuples africains.

 

InfoSept : Le Mali a depuis le jeudi 7 juillet 2016 un nouvel attelage gouvernemental, conduit toujours par le PM Modibo Keita. Quelle appréciation faites-vous de ce troisième gouvernement du Premier ministre Keita et le cinquième du président IBK en 3 ans de gouvernance ?

Pr. Issa N’Diaye : Il ne faut s’attendre à aucun changement significatif de cap. Cela traduit le tâtonnement et l’improvisation permanente qui a été jusqu’ici la marque du pouvoir IBK.  Ce n’est pas en changeant seulement les ministres qu’on réglera les problèmes du pays. C’est de politique qu’il faut changer et cela n’est guère envisagé pour le moment. Pour ce faire, il faut une vision et des ambitions pour le pays. Ce qui est loin d’être le cas présentement.

Propos recueillis par

Dieudonné Tembely

tembely@journalinfosept.com

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