La retraite, le général malien putschiste Amadou Haya Sanogo n’en rêvait pas, mais il lui faut bien s’y résoudre. Et tandis que Bamako lui cherche une affectation, lointaine si possible, il doit veiller sur ses arrières.
Son entourage le dit “heureux” et “satisfait d’avoir accompli sa mission”. Il aurait “un bon moral”. Tout de même… Amadou Haya Sanogo a beau avoir réalisé l’un de ses rêves (être promu au grade de général de corps d’armée, lui qui semblait bloqué à celui de capitaine), il n’avait certainement pas imaginé que son incursion dans les plus hautes sphères du pouvoir se terminerait de cette manière. Pouvait-il penser, lui, le “de Gaulle malien”, qu’il serait contraint de quitter son royaume de Kati pour s’installer dans une ancienne base aérienne de Bamako transformée en lieu de villégiature pour hommes d’État en bout de course ? Pouvait-il envisager qu’à l’âge de 41 ans il serait condamné à attendre dans une maison surveillée par quinze hommes (il en avait demandé cinquante), que l’on veuille bien lui trouver une affectation dont on sait qu’elle sera un placard ou, pis, que la police vienne un jour le chercher pour qu’il réponde devant un juge des exactions commises durant son règne ?
Le 31 octobre, un juge chargé de l’enquête sur une vingtaine de disparitions forcées de bérets rouges en 2012, a émis des mandats d’amener à l’encontre de 17 militaires, dont le général Sanogo. Même s’il est un jour blanchi, son avenir s’inscrit désormais loin du Mali et de l’armée. À Koulouba, où l’on a déjà décidé sa mise à la retraite, on cherche un pays qui voudra bien accueillir cet hôte encombrant – un pays où “il n’aura aucune responsabilité”, glisse un proche du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Sanogo le sait. Il souhaite Cuba. Et en attendant, il pourra toujours se consoler autour d’un thé avec son nouveau voisin, l’ancien président Dioncounda Traoré (leurs maisons “de fonction” sont accolées), en se disant qu’il l’a échappé belle et qu’après tout, lui aussi, comme certains de ses frères d’armes, aurait pu finir six pieds sous terre dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre.
Que s’est-il passé ce soir-là, au camp militaire de Kati ? Difficile à dire tant que les premières conclusions de l’enquête, confiée à la gendarmerie puis à la justice, ne sont pas tombées. Il y a ce que l’on sait avec certitude : le 30 septembre, une dizaine d’hommes armés, vite rejoints par une vingtaine d’autres, et tous liés à l’ex-junte, pénètrent dans l’enceinte du camp militaire de Kati, que Sanogo et ses hommes ont transformé en bunker au fil des mois. Ils tirent dans tous les sens et prennent le contrôle d’un quartier du camp. Un conseiller de Sanogo, le lieutenant-colonel Diallo, est blessé et séquestré. Mais les “mutins” ne tentent pas, ou n’arrivent pas à pénétrer dans la maison du général, à 200 m de là. C’est pourtant après lui qu’ils en ont.
“Sanogo ne dormait jamais au même endroit deux nuits d’affilée”
Au ministre de la Défense, Soumeylou Boubèye Maïga, ils réclameront dans la soirée des promotions. “Sanogo a été fait général, et nous, nous n’avons rien”, déplorent-ils. Depuis quelques jours, la colère couvait à Kati. Au sein de l’armée, on évoque aussi un contentieux lié à des histoires de gros sous. Mais dans l’entourage du général, on va plus loin : les “mutins” voulaient ni plus ni moins refaire le coup de 2012. La preuve ? “Ceux qui ont pris les armes le 30 septembre sont des hommes du colonel Traoré et du capitaine Konaré”, affirme un membre du cabinet de Sanogo.
Traoré, Konaré, Sanogo. Une vieille histoire. Quand il a fallu, sous la pression de la communauté internationale, remettre le pouvoir aux civils, les deux premiers ont essayé de s’y opposer. À l’époque, se souvient un membre de la junte, la tension était extrême, “Sanogo ne dormait jamais au même endroit deux nuits d’affilée”. Depuis, Konaré, éphémère porte-parole de la junte, et Traoré, radié sous Amadou Toumani Touré pour cause de “désertion”, puis réintégré et même promu par Sanogo, avaient pris leurs distances. Selon plusieurs sources, pendant la campagne électorale, Traoré se serait rapproché d’un candidat qui n’était pas celui de Sanogo et aurait tenté de corrompre des frères d’armes. D’où son exclusion de la liste des membres de la junte juste avant le premier tour.
Traoré est-il à l’origine de la mutinerie ? C’est possible. L’un de ses lieutenants, surnommé “Gandakoy”, était en première ligne. Mais les proches de Traoré assurent qu’il était “très en colère” quand il a appris l’implication de son aide de camp. On ne connaîtra jamais sa version : personne ne l’a revu depuis le 30 septembre. Et il n’est pas le seul dans ce cas.
Le lendemain de la mutinerie, les éléments de la Garde nationale et des forces spéciales de l’armée remettent de l’ordre à Kati sans qu’un seul coup de feu soit tiré. C’est l’opération Sanya (“propreté”). Les mutins sont neutralisés et mis aux arrêts, la garde rapprochée de Sanogo est désarmée. Mais l’issue est moins heureuse qu’il n’y paraît. Les jours suivants, les découvertes macabres se succèdent. Des corps mutilés et sans vie sont retrouvés. Six, sept ? Lors du bouclage de cette édition, c’était encore flou. Certains sont identifiés (dont ceux de deux proches de Traoré et de l’adjudant-chef Dramane Sissoko, que l’entourage de Sanogo soupçonne d’être l’un des mutins), d’autres non. Des militaires sont en outre portés disparus. On les dit en Guinée, au Sénégal, en Mauritanie… ou morts.
Quant aux survivants, ceux qui affirment avoir échappé à une exécution, ils se sont rendus aux autorités. Le 22 octobre, ils étaient une dizaine dans la prison du Camp 1 (parmi lesquels le capitaine Konaré), gardés autant pour leur sécurité que pour les besoins de l’enquête. Certains portaient encore des marques de sévices. Ils sont plusieurs, dans ce camp ou parmi les proches des disparus, à parler d'”escadrons de la mort” et à désigner Sanogo et ses hommes. Même au plus haut niveau de l’appareil d’État, on n’écarte pas leur éventuelle responsabilité. “Il est difficile de croire que ce ne sont pas les gens d’Haya qui ont fait ça”, admet un officier placé à un poste stratégique par Sanogo. Cités par plusieurs témoins, des proches du général, dont le capitaine Christophe Dembélé, son chef d’escorte, ont déjà été entendus. “L’enquête les pointe du doigt”, confirme une source gouvernementale.
Se débarasser de témoins gênants
Sanogo a-t-il voulu régler leur compte à ces mutins qui ont osé lui tenir tête ? A-t-il essayé de se débarrasser de témoins gênants alors que l’enquête sur les exactions commises sous son règne avance à grands pas ? Ou, autre hypothèse avancée à Bamako, s’agit-il d’une vengeance orchestrée à un autre niveau ? Rien de tout cela, clame un proche de Sanogo. Sa version ? “Dans la nuit du 30, les mutins ont pillé des stations-service et des banques de Kati. Mais quand est venu le moment de partager, ils ne se sont pas entendus et se sont entretués.” Problème : de pillages, personne n’a entendu parler.
Dans le flou ambiant, une certitude : la mutinerie du 30 septembre et les exactions qui ont suivi – qui semblent ne pas avoir été planifiées – ont scellé le sort de l’ex-junte. Après avoir dissous le Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité, un “machin” inventé en début d’année pour y “caser” les anciens putschistes, ordonné leur retour dans leur ancienne unité et exfiltré Sanogo, IBK a nommé un nouveau commandant à la tête de la région militaire de Kati. Il a aussi remplacé, au poste stratégique de directeur général de la sécurité d’État, un officier nommé par Sanogo, le général Sidi Alassane Touré, par l’un de ses proches, le colonel Moussa Diawara.
“Ils m’ont chicotté chez Sanogo”
Un adjudant que l’on appellera Mohamed, qui a accepté de témoigner à visage découvert mais dont nous préférons taire le nom, est l’un des mutins présumés détenus au Camp 1. Il affirme avoir été arrêté dans la soirée du 30 septembre par des proches de Sanogo dont il connaît les noms et qui font partie de la garde rapprochée du général. La suite épouse les contours d’un scénario connu : un sac sur la tête à l’arrière d’une voiture, puis derrière un maquis ; des menaces, des cris, des coups ; et un interrogatoire musclé… “Ils m’ont demandé qui d’autre faisait partie de la mutinerie. J’ai dit que je ne savais pas. Ils allaient me tuer.” À l’entendre, Mohamed doit sa vie à son téléphone, qui a sonné quand il se trouvait – peut-être – sur le lieu de son exécution. “Après le coup de fil, ils m’ont amené chez Haya où ils m’ont chicotté…” Avant de le remettre entre les mains de la sécurité militaire. Si son récit recèle des zones d’ombre, il rejoint ceux d’autres de ses codétenus.
Source: Jeune Afrique