Selon les autorités ukrainiennes, une explosion du barrage de cette centrale hydroélectrique à proximité de la ligne de front pourrait faire plusieurs milliers de victimes et provoquer l’inondation de dizaines de localités.
Il a été capturé dès le début de l’invasion. Le barrage hydroélectrique de Kakhovka, aménagé sur le fleuve Dniepr, était une cible prioritaire des Russes, car il permet notamment d’alimenter en eau la péninsule de Crimée, annexée par Moscou. Avec le déclenchement de la contre-offensive ukrainienne à la fin de l’été, il se retrouve au centre de l’attention des belligérants, qui s’accusent mutuellement de vouloir le détruire.
Kakhovka se trouve à environ 60 kilomètres à l’est, à vol d’oiseau, de Kherson, première ville d’importance tombée aux mains des Russes en mars. Le front est situé, lui, à une quarantaine de kilomètres au nord.
16 mètres de haut, 3 850 mètres de long
Aménagé sur le fleuve Dniepr, l’ouvrage, construit en partie en béton et en terre, mesure 16 mètres de haut et 3 850 mètres de long. Il s’agit de l’une des plus grandes infrastructures de ce type en Ukraine. Selon le site Internet de la société ukrainienne exploitante, Ukrhydroenergo, la puissance de la centrale hydroélectrique est de 334,8 mégawatts (MW).
Construit en 1956, pendant la période soviétique, le barrage hydroélectrique de Kakhovka permet d’envoyer de l’eau dans le canal de Crimée du Nord, qui part du sud de l’Ukraine et traverse toute la péninsule de Crimée. En amont de l’ouvrage se trouve le réservoir de Kakhovka, une retenue d’eau artificielle formée sur le cours du Dniepr, longue de 240 kilomètres et large jusqu’à 23 kilomètres.
L’Ukraine accuse la Russie de vouloir couvrir sa retraite
Alors que l’armée russe a dit vouloir « évacuer » la population de Kherson face à l’avancée des troupes ukrainiennes, Kiev dit redouter que Moscou cherche à détruire le barrage pour couvrir une éventuelle retraite. Le but de la Russie serait d’arrêter l’avancée des troupes ukrainiennes dans la région et de protéger les forces russes, a estimé sur Twitter un des conseillers de la présidence, Mykhaïlo Podolyak.
Jeudi, le président Volodymyr Zelensky a ouvertement accusé les Russes d’avoir miné l’infrastructure, dont la destruction pourrait avoir des conséquences dramatiques. « En cas de destruction du barrage (…), le canal de Crimée du Nord disparaîtra tout simplement », et ce serait « une catastrophe à grande échelle » a-t-il averti jeudi soir. « Plus de 80 localités, dont Kherson, se retrouveraient dans la zone d’inondation rapide », a déclaré M. Zelensky devant le Conseil de l’Union européenne.
« Cela pourrait détruire l’approvisionnement en eau d’une grande partie du sud de l’Ukraine », et affecter le refroidissement des réacteurs de la centrale nucléaire de Zaporijia, qui puise son eau dans ce lac artificiel de 18 180 millions de mètres cubes, a-t-il ajouté.
Vendredi, le premier ministre ukrainien, Denys Chmyhal, a réclamé l’intervention de la communauté internationale. « Nous appelons l’ONU, l’UE et d’autres organisations à mener une mission d’observation internationale de Kakhovka », a-t-il déclaré. Selon lui, une potentielle explosion du barrage de cette centrale hydroélectrique « peut faire plusieurs milliers de victimes et [provoquer] l’inondation de dizaines de localités ».
Les prorusses disent redouter « une frappe massive de missiles »
Les autorités d’occupation russe de Kherson démentent pour leur part tout minage du barrage de Kakhovka et dénoncent les « mensonges » du président Zelensky. S’il est impossible de vérifier les affirmations des Ukrainiens comme des Russes, une note d’analyse publiée mercredi par l’Institut pour l’étude de la guerre (Institute for the Study of War, ISW), une organisation non gouvernementale américaine, relève que des sources russes accusent les forces ukrainiennes de bombarder la centrale hydroélectrique et diffusent largement des animations décrivant les zones inondables en cas de rupture de barrage.
Vladimir Saldo, gouverneur de l’oblast de Kherson installé par l’armée russe, a ainsi expliqué sur Telegram disposer d’informations sur la préparation par Kiev « d’une frappe massive de missiles sur le barrage de la centrale hydroélectrique de Kakhovka. Dans ce contexte, il existe un danger imminent d’inondation des territoires de la région de Kherson et de destruction massive des infrastructures civiles ». Mardi, le général Sergueï Sourovikine, à la tête des troupes russes en Ukraine, avait avancé sensiblement les mêmes idées.
La piste du contre-feu russe
Selon l’ISW, il pourrait s’agir là d’une manière de préparer le terrain en vue de mener une attaque contre le barrage de la centrale hydroélectrique de Kakhovka et d’en imputer la responsabilité aux Ukrainiens. Les autorités russes ont « probablement l’intention » d’utiliser ces avertissements concernant une prétendue attaque ukrainienne contre l’infrastructure pour créer un récit « leur permettant d’endommager le barrage et d’accuser l’Ukraine » des dommages qui en découleraient, analyse l’organisation.
« Les militaires russes pensent peut-être que la rupture du barrage pourrait couvrir leur retraite de la rive droite du Dnipro et empêcher ou retarder les avancées ukrainiennes sur le fleuve », avance encore l’Institut. Une telle manœuvre permettrait au Kremlin, toujours selon l’ISW, d’« éclipser la nouvelle d’une troisième retraite humiliante des forces russes » et de contribuer à la propagande russe selon laquelle l’Ukraine serait un Etat « terroriste » ciblant délibérément les civils.
Sur le terrain, un conseiller de la présidence ukrainienne, Kirill Timoshenko, a fait état vendredi de « 88 localités reprises » aux forces russes dans la région de Kherson.