Mohsen Abdelmoumen : Que pensez-vous des critiques du colonel Legrier concernant la tactique utilisée par l’Occident contre Daech en Syrie et que l’agence Reuters a évoquées dans un article ?
Colonel Régis Chamagne : L’analyse du colonel Legrier est bonne à mon sens. Le devoir de réserve des militaires concerne entre autres les critiques de la stratégie de la France. Cela étant, dans la mesure où il présente un article dans une revue officielle de la défense et où celui-ci est accepté initialement, il est dans son droit. Ce qui est éclairant en revanche, c’est la réaction politique après coup. Elle relève d’un esprit de censure et de mépris à l’égard des militaires.
Que pensez-vous du retour de 130 djihadistes en France ? Les services de renseignement français ont-ils les moyens de surveiller ces djihadistes ?
Ces djihadistes sont français et il est normal que la France s’en charge. À chacun ses problèmes. Je ne sais pas s’il est prévu qu’à leur retour en France, ils passent par la case « justice ». Ce devrait être la moindre des choses à mon avis. Si tel n’est pas le cas, je pense que de toute façon les services ont les moyens de les surveiller.
À quoi sert encore l’OTAN aujourd’hui ? Ne pensez-vous pas qu’il est obsolète ? Ne pensez-vous pas que le désaccord entre l’Union européenne et l’administration Trump a eu des répercussions sur le fonctionnement de l’OTAN ?
L’OTAN aurait dû être démantelé après la chute de l’URSS. Il a eu une crise existentielle à ce moment-là et s’est trouvé d’autres missions. Tout ce qui peut précipiter sa fin est une bonne chose, en particulier les désaccords entre Trump et l’UE.
Comment expliquez-vous que les Occidentaux continuent à livrer des armes aux Saoudiens qui sont en train de mener une guerre criminelle contre le Yémen ?
Ils livrent des armes car l’Arabie Saoudite est riche et paye bien. Les droits de l’Homme, c’est quand ça nous arrange.
Emmanuel Macron a évoqué le projet d’une armée européenne. Comment analysez-vous cela ?
Une bêtise supplémentaire de Macron, à contretemps de l’histoire puisque l’UE finira comme a fini l’URSS, et bientôt je pense. Il ne peut exister d’armée européenne, cela n’a tout simplement aucun sens car il n’y a pas de peuple européen. Or l’armée est à la nation ce que les défenses immunitaires sont au corps humain. Donc, pas de peuple européen implique pas d’armée européenne possible.
Après plusieurs années d’engagement militaire français au Mali, il y a toujours une activité très importante des différents groupes terroristes dans la région. À votre avis, la guerre que mène la France au Mali n’est-elle pas sans fin ? Et l’intervention française sous l’égide de l’OTAN en Libye n’est-elle pas une erreur stratégique qui a déstabilisé tout le Sahel ?
L’attaque de la Libye a été une faute stratégique majeure et un crime contre l’humanité. Kadhafi stabilisait le Sahel. Ce qui se passe au Mali est la conséquence directe de notre intervention en Libye. Et cela risque de durer car en ayant ouvert la boîte de Pandore, nous avons sous-estimé (ou peut-être même pas estimé du tout) les conséquences que cela auraient pu avoir.
D’après vous, la solution en Libye doit-elle être militaire ou politique ?
La solution en Libye doit évidemment être politique, et éventuellement avec un soutien militaire au début. S’agissant du fonctionnement d’un État, aucune solution militaire n’est viable à long terme, seule une solution politique peut l’être si elle est intelligente.
Ne pensez-vous pas qu’il y a une nécessité de sortir de l’hégémonie US pour aller vers un monde multipolaire qui puisse garantir les équilibres mondiaux ?
Les choses sont en train de se passer. C’est ce que j’explique dans mes conférences et articles qui traitent du changement de paradigme géopolitique. En ce moment, le processus qui mène d’un monde impérial américain à un monde multipolaire (ou post-impérial) est en voie d’achèvement. Les Russes et les Chinois ont d’ores et déjà une avance technologique sur les USA en matière de défense (guerre électronique, vol hypersonique, radar quantique…). Les menaces en tous genre (sanctions économiques) répétées des USA à l’encontre des pays qui mènent une politique qui leur déplaît n’ont plus aucun effet si ce n’est de favoriser le rapprochement de ces pays avec la Russie, la Chine… bref, l’OCS (Organisation pour la Coopération de Shanghai) et les BRICS.
Nous avons vu le soutien de Macron à Bouteflika. N’est-ce pas une ingérence dans les affaires de l’Algérie ?
Il s’agit bien sûr d’une ingérence dans les affaires d’un pays étranger, de même que la reconnaissance du coup d’État au Venezuela. Les crapules se soutiennent entre elles.
Ce qui est drôle (si l’on veut), c’est que dès qu’il y a en France des mouvements d’opposition aux dirigeants, les médias parlent d’ingérence de la Russie.
Dans une manifestation (était-ce en France ou en Algérie, je ne sais plus) une pancarte disait ces mots : Macron soutient Boutef, les Algériens soutiennent les Gilets Jaunes. Solidarité internationale !
Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen
Qui est le Colonel Régis Chamagne ?
Régis Chamagne, né en 1958 à Constantine (Algérie), est un ancien colonel de l’armée de l’air française. Il a intégré l’École de l’air sur concours en 1977 pour devenir officier, ingénieur, puis pilote de chasse. Chevalier de la Légion d’Honneur, Officier de l’Ordre National du Mérite, titulaire de la médaille de l’Aéronautique, il totalise plus de 3000 heures de vol.
D’abord pilote en escadrille de défense aérienne et commandant d’escadrille sur Mirage F1C à Cambrai puis commandant d’un escadron de reconnaissance sur Mirage F1CR à Strasbourg, il a effectué des détachements opérationnels au Tchad, en Arabie Saoudite et en Turquie. Après une année passée à l’Inspection générale de l’Armée de l’air en tant qu’officier rédacteur, il a été affecté sur la base aérienne de Nancy-Ochey où il a commandé la 3ème escadre de chasse sur Mirage IIIE et Mirage 2000D. Ce commandement a mis un terme à la partie opérationnelle de sa carrière à l’été 1995. De 1995 à 1996, il a suivi le cours de l’École supérieure de guerre interarmées. À la sortie de l’École de guerre, il est devenu chef du bureau « Analyse opérationnelle » au Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), puis chef du département « Renseignements ». Après avoir été nommé Chargé de mission auprès du Major général de l’État-Major des armées, puis chef de la section ciblage de l’État-Major des Armées, il s’est vu confier le commandement de la base aérienne BA 106 de Bordeaux-Mérignac. Il a quitté l’armée en 2004 avec le grade de colonel.
Il est l’auteur de « L’art de la guerre aérienne » qui a reçu le prix Estrade-Delcros 2005 de l’Académie des sciences morales et politiques, et « Relève-toi », une invitation au peuple français à se réveiller, à se redresser et à ne plus subir le joug d’une classe apatride qui a planifié sa destruction.
Le site de Régis Chamagne