Londres accueille cette semaine la première foire d’art contemporain africain en dehors du continent noir, témoignant de l’émergence d’un marché aux oeuvres profondément ancrées dans les réalités sociales et politiques.
« Dans la mentalité de beaucoup de gens (en Occident), l’art africain se résume aux arts premiers », explique Philippe Boutté de la galerie Magnin-A basée a Paris et spécialisée dans l’art africain contemporain.
Le public a longtemps vu dans les artistes qu’on exposait « des +Bushmen+, des gens qui auraient fait de l’art sans le savoir », note-t-il avec ironie, « alors que ce sont des vrais artistes ». Derrière lui, un imposant trône de l’artiste mozambicain contemporain Gonçalo Mabunda, confectionné uniquement de revolvers, Kalachnikov et autres munitions vestiges de la guerre civile dans son pays.
« Zuma » est proposé à 9.500 euros, à côté d’une toile réaliste de l’artiste congolais Chéri Samba à 55.000 euros et intitulée « Lettre de la CPI », la Cour pénale internationale qui a condamné l’ex-chef de milice congolais Thomas Lubanga à 14 ans de prison.
Une foire internationale d’art africain, relativement modeste, se tient à Johannesburg depuis 2008, mais elle n’a jamais franchi les frontières du continent.
La foire de Londres, elle, a les honneurs de Somerset House, haut-lieu de l’art dans la capitale britannique, de mercredi à dimanche, la même semaine que la Frieze, l’une des principales expositions d’art contemporain au monde.
Le moment choisi « envoie le message clair qu’il s’agit d’un marché en croissance », estime Paul Hewitt de la maison d’enchères Christie’s.
Depuis quelques années seulement, les choses bougent. Pour preuve, des oeuvres de la peintre d’origine éthiopienne Julie Mehretu et du sculpteur ghanéen El Anatsui se sont arrachées pour au moins un million d’euros. Elles restent toutefois des exceptions.
Koyo Kouoh, directrice artistique de la foire, attribue cet intérêt grandissant à la croissance économique de l’Afrique notamment.
« L’art suit les facteurs économiques. Les indicateurs économiques de l’Afrique sont très positifs et naturellement il y a un intérêt pour la pratique artistique », explique cette Camerounaise, cheveux finement tressés.
Quelque 70 artistes africains et de la diaspora africaine – certains établis comme le photographe malien Malick Sidibé, mais aussi des inconnus – sont présentés à la foire « 1:54″, le chiffre 1 en référence au continent africain souvent assimilé à un seul pays, et 54 en référence au nombre de pays qui le constituent. Les oeuvres sont proposées entre 1.200 et 350.000 euros.
Le point commun de ces artistes: le continent africain bien sûr, leur persévérance à créer dans des conditions difficiles, mais aussi des thèmes récurrents. « Il y a un sens de l’immédiateté, des chroniques sociales et politiques, et les artistes ne produisent pas d’oeuvres liées à leurs émotions, mais à leur environnement », contrairement aux artistes occidentaux, estime Koyo Kouoh. Bref, ils ne sont pas nombrilistes.
Exemple à l’appui, Romuald Hazoumè, qui a eu les honneurs du British Museum à Londres, du Centre Georges Pompidou à Paris ou encore du Guggenheim à Bilbao (Espagne). Dans son boubou beige et le cou lourd de grigris, ce Béninois défend ses masques confectionnés à partir de bidons d’essence découpés. Une hanse dessine le nez, un goulot la bouche, de simples tresses ou un wax coloré finissent d’esquisser les visages.
Avec ces créations, « je rends hommage aux héros de la survie », ces Béninois qui font du trafic d’essence avec le Nigeria voisin, en transportant jusqu’à 620 litres d’essence sur leur mobylette, explique-t-il à l’AFP. « Je suis l’ambassadeur des questionnements de mon peuple. »
Romuald Hazoumè regrette que la foire ne se tienne pas, faute de marché, en Afrique. « Les nouveaux riches africains achètent des Bentley, on a une culture de la frime. On n’a pas compris que la culture c’est le meilleur investissement. Au bout d’un an la voiture est cassée, et elle ne dit rien sur nos racines. Alors que l’art ou un musée va porter notre monde pour des générations. »
L’objectif affiché de Touria El Glaoui, fondatrice de la foire et fille du célèbre artiste marocain Hassan El Glaoui, est d’ailleurs de faire tourner, un jour, cette foire conséquente en Afrique. « Alors j’aurai accompli mon rêve. »