Le troisième anniversaire de la révolution égyptienne, qui avait emporté Moubarak, a tourné au bain de sang samedi, au Caire. Au moins 50 morts, des centaines de blessés et plus de 1 000 arrestations. La presse du continent revient largement ce lundi sur ces évènements.
« On ne peut ni le nier, ni le cacher, soupire le site d’information Guinée Conakry Infos. La situation sociopolitique qui prévaut actuellement en Egypte est l’incarnation même de l’échec du printemps arabe. Ce vaste soulèvement populaire qui, dans son sillage, avait emporté, outre Hosni Moubarak, le président Ben Ali et le Guide libyen, Mouammar Kadhafi, tarde à produire les résultats que ses acteurs en attendaient. Mais c’est bien dans le cas égyptien que la désillusion des révolutionnaires est la plus manifeste, souligne le site guinéen. Dans ce pays en effet, ces trois dernières années ont été caractérisées par l’instabilité. La série des manifestations-répressions meurtrières ne s’est jamais estompée. Avec à chaque fois, d’énormes bilans macabres, comme ce fut le cas ce week-end, sur la place Tahrir. On à l’impression qu’en réalité, relève encore Guinée Conakry Infos, l’armée égyptienne n’a jamais accepté son éviction du pouvoir. Parce que dans les faits, c’est essentiellement elle qui continue à tirer les ficelles de tous les soubresauts que ce pays enregistre. »
Révolution confisquée
Pour L’Observateur Paalga au Burkina, ce samedi noir était prévisible… « Poussés dans leurs derniers retranchements après avoir été écartés du pouvoir, il était évident que les islamistes ne viendraient pas à la célébration avec des fleurs de nénuphars dans les bras pour décorer la table du gâteau du 25-Janvier. Du côté des anciens occupants de la place Tahrir, l’heure était également au désenchantement, avec cette course forcenée de l’armée au pouvoir, avec pour principal sprinter le général Abdel Fattah al-Sissi, enhardi par sa Grande Muette au doigt nerveusement posé sur la gâchette, prête à tirer sur d’éventuels empêcheurs de gouverner, comme si c’était des lapins de Garenne. S’il y a un Egyptien qui ne sait plus à quel pharaon se vouer, déplore L’Observateur, c’est bien le piroguier du Nil avec cette révolution confisquée. Ecartelé par ces quatre entités que sont l’Armée, les Frères musulmans, les pros et les anti-Morsi, il se demande certainement sous quelle pyramide implorer les dieux. »
Dans son dernier numéro, paru jeudi dernier, l’hebdomadaire égyptien Al-Ahram faisait ce triste constat : « La révolution du 25 janvier entame sa quatrième année avec des revendications, “changement, liberté et justice sociale”, restées lettre morte. Si, depuis 2011, l’Egypte vit au rythme des manifestations, des violences et des appels aux urnes, aujourd’hui, c’est un retour à la case départ qui pointe à l’horizon. (…) Les éléments de crise latente sont toujours là, en matière d’économie surtout, constate encore l’hebdomadaire égyptien, ce qui est loin de stabiliser le futur régime. L’ancienne recette consistant à pousser les gens à accepter l’échange de la liberté contre la sécurité n’est pas garantie. (…) L’histoire même de la révolution est en train de se réécrire à la volonté de ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir. »
Et Al-Ahram de citer cette phrase de l’écrivain islamiste Fahmi Howeidi : « C’est comme si nous voulions faire revivre la tradition pharaonique quand le nouveau pharaon effaçait les vestiges de son prédécesseur sur les murs des temples et des obélisques pour commencer sa propre histoire. »
Le pouvoir de la rue ?
Beaucoup de commentaires également dans la presse française… « En Égypte, la révolution agonise dans le sang », s’exclame Le Figaro. « Trois ans après la révolution, c’est peut-être l’image qui résume le mieux le fonctionnement orwellien du nouveau régime égyptien, constate la correspondante du journal. En ce samedi 25 janvier, triste anniversaire d’une révolte inédite qui chassa Moubarak, la chaîne télévisée CBC a divisé son écran en 24 cases diffusant, en direct, les vidéos des différents rassemblements pro-armé, comme autant de films issus de caméras de surveillance. Comble de l’absurde : ni les cortèges des activistes libéraux, ni ceux des Frères Musulmans […] ne figurent au programme. Comme si le mariage entre propagande et censure avait éradiqué les derniers protestataires. »
Enfin, pour Libération, « la force ne saurait constituer un horizon car, outre le fait qu’elle ne vient absolument pas à bout de la contestation, le climat d’insécurité éloigne les investisseurs et les touristes susceptibles de relancer une économie moribonde. Et si celle-ci ne s’améliore pas rapidement, les Egyptiens pourraient bientôt demander des comptes aux nouvelles autorités. Car paradoxalement, relève Libération, ces trois années marquent aussi le triomphe du mode d’action révolutionnaire : désormais, plus rien en Egypte ne se décide sans la rue. »
Source: RFI