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La dangereuse persistance des crises identitaires en Afrique : le cas de la RCA

Les pays africains ont tous hérité leurs frontières de la Conférence de Berlin de 1885 qui a consacré la balkanisation du continent africain imposée par les puissances coloniales européennes et dont résulte la configuration territoriale, ethnique, religieuse et culturelle actuelle du continent. Les  Africains ont alors appris à vivre avec ce morcellement territorial de leur continent au point que la Charte de l’Union Africaine a fait de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation un principe fondamental pour le maintien de la paix et de la sécurité en Afrique.

Mohamadou GAMDJI avocat

 

Mr. Mohamadou GAMDJI (avocat)

Malgré cela, pendant les deux dernières décennies, plusieurs crises identitaires se sont succédé dans des pays africains et ont atteint leur paroxysme avec le génocide rwandais de 1994 et plus récemment avec le conflit issu de l’ivoirité en Côte d’Ivoire qui a constitué l’une des plus graves crises politiques de la fin du XXe et du début du XXIe siècles en Afrique. On croyait alors que des leçons avaient été tirées de ces deux crises majeures. Malheureusement, cela ne semble pas être le cas avec la survenance en 2012 de la crise du Nord du Mali  qui n’est toujours pas résorbée malgré l’intervention des forces françaises et africaines ; la terrible crise identitaire en cours en République centrafricaine (RCA) créée par des manipulations politiques avant de se transformer en génocide interreligieux ; la crise politique que traverse le plus jeune Etat du monde, à savoir le Sud-Soudan, qui a vu le jour en 2011 à la faveur de la sécession d’avec le Soudan qui a été réalisée au mépris du principe de l’intangibilité des frontières africaines héritées de la colonisation, créant ainsi un dangereux précédent pour le continent. Cette crise politique sud-soudanaise s’est immédiatement transformée hélas en massacre interethnique.

 

 

Le point commun de toutes ces crises est leur origine politique ; l’ethnie, la religion et dans une moindre mesure les revendications territoriales (pour les cas maliens et sud-soudanais) en étant des combustibles. En effet, la récurrence de ces crises identitaires multiformes traduit la faillite du leadership politique en Afrique.

 

 

Pour revenir à la crise politique en cours en RCA qui fait l’objet de la présente analyse, elle a pour origine la mauvaise gouvernance, les détournements des deniers publics, les fraudes électorales et les coups d’Etat qui ont engendré depuis plus de trente ans une instabilité politique chronique dans ce pays. Il convient de préciser à cet égard que c’est notamment l’incurie du régime précédent à savoir celui de l’ex président François Bozizé qui a conduit à l’avènement d’une coalition des rebelles, à savoir la Séléka, qui a fini par le renverser le 24 mars 2013. Il se trouve que cette rébellion n’avait pas d’autre programme politique que de renverser le régime et s’est révélée dépassée par les événements, c’est-à-dire l’ampleur des dysfonctionnements politiques et la défaillance de l’administration centrale héritées du régime précédent, ce qui s’est traduit par l’incapacité de la Séléka d’assurer la paix et la cohésion sociale ainsi que la gestion du pays compliquée par l’effondrement de ce qu’il restait encore comme institutions dans le pays.

 

 

Ceci dit, sans exonérer la coalition de la rébellion qui s’est emparée du pouvoir en RCA de sa propre responsabilité qui est immense, il est utile de souligner que le régime qu’elle a renversé avait tenté d’instrumentaliser la religion pour se maintenir au pouvoir en accusant la rébellion d’être essentiellement constituée de musulmans. Ce faisant, l’ancien régime a délibérément visé des communautés dont certaines ont des origines dans les pays voisins de la RCA mais qui vivent sur le sol centrafricain depuis plusieurs générations et qui n’ont d’autre repère que la RCA. De plus, cette stigmatisation, qui a parfois pris des relents de Radio Mille Collines au Rwanda, a malheureusement englobé des ressortissants du Nord de la RCA habitant notamment les zones frontalières des deux Soudans – dont est issu le président de la transition, Michel Djotodia, musulman comme son prénom ne l’indique pas – qui sont majoritairement Centrafricains et musulmans depuis la nuit des temps. Cette même stigmatisation a non seulement armé les bras des futurs génocidaires mais surtout produit la déflagration qui a causé le massacre des musulmans et des contre-massacres des chrétiens. Il s’en est suivi un exode massif des populations – qui se poursuit encore au moment où nous écrivons ces lignes – vers les pays limitrophes de la RCA et au-delà, ce qui posera nécessairement des problèmes dans ces pays d’accueil et conduira à la désintégration sociale et économique de la RCA qui ne pourra qu’accentuer le retard et le sous-développement de ce pays pourtant doté d’immenses richesses naturelles et minières.

 

 

Malheureusement, aucun pays africain n’est à l’abri de ce genre de folie destructrice. Il appartient alors essentiellement aux dirigeants africains et accessoirement à la société civile de prévenir les crises identitaires en Afrique et de les résoudre pacifiquement lorsqu’elles surviennent. Nous, Africains, devons alors prendre conscience que nous sommes des pays à la fois multiethniques, multiconfessionnels et multiculturels. Par conséquent, nous devons vivre ensemble en paix et harmonieusement. Nos différences ne doivent pas être des handicaps ni des facteurs de conflit mais au contraire une richesse exceptionnelle dont nous devons savoir tirer profit.

 

 

Par ailleurs, la RCA appartient à la Communauté Economique de l’Afrique Centrale (CEMAC) qui prône la liberté de circulation et d’établissement dans les pays membres. Il est alors paradoxal d’expulser de la RCA des ressortissants des pays de la CEMAC dont la RCA est éminemment membre et en abrite le siège régional. L’Afrique et ses principales régions géographiques ne devront leur salut qu’à une très grande intégration politique, économique et sociale à l’instar de l’Union Européenne, de l’Amérique du Nord, de l’Amérique latine ou de l’Asie. Il serait alors totalement illusoire d’envisager la création d’un Etat continental ambitionné par l’Union Africaine avec des institutions politiques, économiques et monétaires communes à l’échelle du continent lorsque des crises identitaires persistent au sein-même des pays africains dont les frontières ont été tracées à la règle…

 

 

Il convient de rappeler à cet égard l’action de réconciliation entre Noirs et Blancs d’Afrique du Sud conduite, malgré le terrible passif de l’apartheid, par feu le président Nelson Mandela – disparu le 5 décembre dernier en pleine crise centrafricaine – qui doit nous servir d’exemple de cohabitation pacifique et harmonieuse, confirmant ainsi le rôle éminent du leadership politique. De même, l’élection historique de Barack Hussein Obama, fils d’un immigré kényan, à la présidence des Etats-Unis d’Amérique en novembre 2008, doit nous servir de leçon. Avec cette élection à la fois historique et pleine d’enseignements, il faut espérer voir éclore une véritable ère post-ethnique en Afrique.

 

Puisse la RCA avec l’aide de l’Afrique trouver une solution pacifique à la crise identitaire dont les Centrafricains eux-mêmes sont les premières victimes. C’est le vœu le plus cher que nous puissions leur formuler à l’occasion de cette nouvelle année 2014.

SOURCE: Autre Presse

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