Chaque 5 mai, la communauté internationale se rassemble pour célébrer la Journée mondiale de la sage-femme. Cette journée met à l’honneur ces professionnels, femmes et hommes, dont le rôle est crucial dans la santé maternelle et néonatale. Leur engagement, particulièrement au Mali, sauve des vies, soutient les familles et contribue à bâtir des sociétés plus justes et en meilleure santé. Pour l’édition 2025, le thème retenu est particulièrement significatif : « Sage-femme : indispensable dans chaque crise ». Ce choix souligne leur rôle fondamental, même dans les contextes les plus difficiles.
Cette célébration trouve son origine en 1990, au congrès de la Confédération internationale des sage-femmes au Japon. La première Journée mondiale de la sage-femme a été observée le 5 mai 1991 et s’est imposée depuis comme un moment clé pour reconnaître l’importance de ce métier fondamental.
Etre sage-femme, c’est bien plus qu’assister à une naissance. C’est accompagner les femmes tout au long de leur grossesse, les préparer à l’accouchement, veiller sur leur bien-être ainsi que celui du nouveau-né, dès les premières heures et jours de vie. C’est aussi écouter, rassurer, conseiller et apporter un soutien psychologique dans les moments de doute, de peur ou de douleur. La sage-femme incarne une présence à la fois technique, humaine et émotionnelle.
Au Mali, leur rôle est encore plus crucial. Dans de nombreuses localités rurales et isolées, les sage-femmes sont souvent les seules professionnelles de santé disponibles pour accompagner les femmes enceintes. En l’absence de centres de santé modernes et d’infrastructures adéquates, ces femmes dévouées assurent des soins prénatals, l’accouchement et le suivi postnatal, souvent dans des conditions extrêmement difficiles.
Selon l’Analyse de la situation des enfants au Mali en 2023, la mortalité maternelle s’élève à 317 décès pour 100 000 naissances vivantes, marquant une légère amélioration par rapport aux 325 décès enregistrés dans l’Enquête démographique et de santé (EDS 2018). Bien que des progrès soient visibles, ce taux demeure alarmant, mettant en évidence l’importance du travail des sage-femmes pour garantir des grossesses et accouchements sécurisés.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne que plus de 80 % des décès maternels, néonatals et des morts à la naissance pourraient être évités grâce à des sage-femmes bien formées et soutenues. Cela rappelle l’urgence de renforcer leur présence et la qualité des soins, en particulier dans des pays comme le Mali où les besoins restent immenses.
La Journée mondiale de la sage-femme est l’occasion de mettre en lumière l’importance de la formation, de l’accompagnement et de la reconnaissance de ces professionnelles, notamment sur le territoire malien. Derrière chaque naissance sécurisée, il y a une sage-femme attentive, compétente et profondément dévouée à son métier.
Le rôle des sage-femmes dépasse largement la maternité. Dans notre contexte, elles jouent également un rôle clé dans la sensibilisation à la planification familiale, l’éducation sexuelle, la prévention des mariages précoces et la lutte contre les mutilations génitales féminines. Ces défis restent encore présents dans certaines régions du pays.
Soutenir les sage-femmes maliennes, c’est investir dans la santé publique, réduire les inégalités et lutter contre les violences basées sur le genre. C’est aussi honorer les engagements du Mali pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD), notamment en matière de santé et d’égalité des sexes.
Au-delà des statistiques, leur mission est profondément humaine. Être là pour les premiers instants de vie, accompagner la douleur, porter les espoirs et bâtir des relations de confiance : autant de gestes essentiels qui méritent reconnaissance et respect.
En célébrant les sage-femmes, nous rendons hommage à ces héroïnes et héros du quotidien qui, souvent dans l’ombre, garantissent à chaque femme le droit de vivre une grossesse et un accouchement en toute sécurité. Les soutenir, ici au Mali comme ailleurs, c’est défendre la vie, la dignité et l’avenir de nos sociétés
DIARRA AWA TRAORE, SAGE-FEMME AU CSCOM DE L’HIPPODROME I
« Cette journée nous redonne force et courage »
En marge de la Journée internationale de la sage-femme, célébrée chaque 5 mai, nous avons eu le privilège de rencontrer Diarra Awa Traoré, sage-femme depuis plus de 12 ans au Cscom de l’Hippodrome 1. A travers son témoignage, elle nous partage son expérience, ses défis quotidiens et l’importance cruciale de son métier dans la santé maternelle et néonatale. Entretien.
Mali Tribune : Que représente pour vous la Journée mondiale de la sage-femme ?
Awa Traoré : Plus qu’une simple célébration, cette journée symbolise la reconnaissance des épreuves que nous affrontons quotidiennement. Elle met en lumière un métier souvent discret mais essentiel. C’est un moment de fierté, de rassemblement et d’expression, où nous rappelons notre rôle, nos besoins et nos combats.
Elle permet aussi d’inspirer les jeunes à embrasser cette vocation et de sensibiliser la société à l’importance de notre présence lors de chaque accouchement. Derrière chaque naissance réussie, il y a une main qui soutient, une voix qui rassure et une présence qui sauve. Cette journée nous redonne force et courage.
Mali Tribune : Comment décririez-vous le rôle des sage-femmes dans la santé maternelle et néonatale ?
- T. :Etre sage-femme ne se limite pas à accompagner l’accouchement. Nous suivons la femme tout au long de sa grossesse et même après. Nous veillons sur sa santé, l’éduquons, la rassurons et sommes présentes jour et nuit pour gérer les urgences. Nous nous assurons aussi du bien-être du nouveau-né, veillant à ce qu’il respire bien, qu’il soit en bonne santé et que le lien avec sa mère soit fort. C’est un rôle à la fois médical et émotionnel.
Mali Tribune : Pourquoi la présence des sage-femmes est-elle particulièrement cruciale dans les zones rurales ou isolées ?
- T. :Dans les régions reculées, les sage-femmes sont souvent les seules professionnelles de santé disponibles, en l’absence de médecins. Elles gèrent tout : accouchements, complications, soins prénatals, souvent avec des moyens limités. Leur présence sauve des vies. Sans elles, le taux de mortalité maternelle et néonatale serait bien plus élevé.
Mali Tribune : Quels sont les défis majeurs que vous rencontrez au quotidien ?
- T. :Le manque de moyens est l’un des plus grands obstacles. Les femmes arrivent souvent tard, sans examens préalables. Nous manquons de matériel, d’ambulances, de personnel. La méconnaissance des soins de santé complique également notre travail : beaucoup de patientes refusent les échographies ou les bilans, ce qui entraîne des urgences évitables. A cela s’ajoutent la fatigue physique et émotionnelle, le stress, mais nous tenons bon.
Mali Tribune : Comment encourager plus de jeunes, surtout en milieu rural, à devenir sage-femme ?
- T. :Il est essentiel de valoriser cette profession, de montrer qu’elle est noble et porteuse de sens. Il faut mettre en place des bourses pour les étudiantes issues des zones rurales, des centres de formation accessibles et garantir de bonnes conditions de travail après l’obtention du diplôme. Si nous leur offrons les moyens de réussir et que nous reconnaissons leur engagement, elles viendront.
Mali Tribune : Pensez-vous que votre métier est reconnu à sa juste valeur au Mali ?
- T. :Pas vraiment. Beaucoup réduisent notre travail à un simple accompagnement de l’accouchement, alors que nous soutenons les femmes bien avant et bien après. Parfois, nous recevons des critiques ou des agressions verbales lorsque les patientes arrivent tard ou refusent les examens, puis nous rendent responsables en cas de complications. Pourtant, nous sommes là chaque jour, dans des conditions difficiles, à donner le meilleur de nous-mêmes. Notre métier mérite plus de respect, de valorisation et de soutien, tant de la part des autorités que du public.
Mali Tribune : En quoi votre travail contribue-t-il à atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) ?
- T. :Nous sommes au cœur de l’ODD 3, qui vise à garantir une bonne santé pour tous. En assurant un bon suivi des grossesses, en prévenant les complications et en sauvant des vies, nous contribuons activement au développement du pays. Nous participons aussi à l’ODD 5 sur l’égalité des sexes, en éduquant, protégeant et écoutant les femmes. Notre métier dépasse la simple santé, il est un moteur de développement.
AÏSSATA DANIOKO
Une vie dédiée aux mères et aux enfants
Depuis plus de quinze ans, Aïssata Danioko consacre sa vie à accompagner les femmes dans les moments les plus décisifs de leur existence. Sage-femme à Bamako, elle incarne l’engagement, la résilience et la passion. A travers son parcours, elle nous livre les réalités et les défis de son métier.
A 41 ans, Aïssata Danioko inspire respect et confiance. En tant que sage-femme au Centre de santé communautaire (Cscom) de Banconi, à Bamako, elle accompagne chaque jour des dizaines de femmes, de la grossesse aux soins postnataux.
« Etre sage-femme, ce n’est pas seulement faire naître des bébés. C’est protéger, rassurer, et soutenir la vie à chaque instant », confie-t-elle avec un sourire empreint de sérénité.
Issue d’un milieu modeste dans la région de Koulikoro, Aïssata a grandi dans un village où l’accès aux soins était limité. C’est la perte tragique d’une de ses cousines en couche, alors qu’elle n’avait que 13 ans, qui l’a profondément marquée et motivée à devenir sage-femme. « Je ne comprenais pas qu’une jeune femme puisse mourir en accouchant. Cela m’a marqué comme une mission à accomplir », se remémore-t-elle.
Après avoir obtenu son DEF à Banamba, elle poursuit ses études au lycée Public de Kati, décrochant un baccalauréat en sciences biologiques. Déterminée, elle réussit le concours d’entrée à l’Institut national de formation en sciences de la santé (INFSS) de Bamako.
« Les premières années à l’INFSS n’étaient pas faciles : rigueur, pression, manque de matériel… mais ma détermination m’a soutenue », explique-t-elle.
Diplômée sage-femme d’état en 2008, Aïssata commence sa carrière dans un centre de santé rural à Dioïla, où elle exerce dans des conditions précaires : absence d’électricité régulière, manque d’ambulance.
Après cinq années de service, elle demande un transfert à Bamako pour poursuivre des formations complémentaires. Elle bénéficie notamment d’un programme de renforcement des capacités soutenu par l’ONG Jhpiego, où elle obtient un diplôme en santé de la reproduction, spécialisé dans les urgences obstétricales et néonatales.
Aujourd’hui, Aïssata est également tutrice pour les étudiantes en formation et s’investit dans des campagnes communautaires de sensibilisation. Entre urgences médicales, défis logistiques et attention portée aux émotions des patientes, son quotidien est intense.
« Malgré le stress, le manque de matériel et les horaires interminables, tenir un nouveau-né dans mes bras me rappelle que ce métier en vaut la peine », dit-elle, les yeux brillants.
Cependant, les souvenirs douloureux ne manquent pas : « J’ai vu des femmes mourir faute d’électricité ou de matériel, ou à cause d’évacuations tardives. Ce sont des choses que l’on ne devrait plus voir », déplore-t-elle.
Malgré tout, elle continue de se battre : « Nous sommes parfois la seule chance pour ces femmes, et c’est cela qui nous donne la force de continuer », ajoute-elle avec fierté. Aïssata répond également aux critiques parfois adressées aux sage-femmes.
« Oui, certaines femmes ont eu des expériences difficiles, mais il faut aussi comprendre que nous travaillons dans des conditions épuisantes, souvent deux pour dix patientes. Nous faisons de notre mieux, même si nous sommes fatiguées et sous pression ».
Elle ajoute : « Pour ma part, j’essaie toujours de rassurer, car on ne sait jamais ce qu’une femme traverse avant de venir nous voir ».
Aïssata Danioko incarne une génération de sage-femmes maliennes déterminées à sauver des vies, malgré les défis. Son engagement et son humanité sont un rappel poignant : derrière chaque naissance, il y a une femme qui se bat pour offrir un avenir à une autre.
MICRO-TROTTOIR
Les hommages des Bamakois aux sage-femmes
A l’occasion de la Journée mondiale de la sage-femme, nous avons parcouru les rues de Bamako pour recueillir les impressions des citoyens sur cette profession essentielle, souvent méconnue.
Awa Traoré (commerçante) :
« Les sage-femmes sont indispensables. Elles nous sauvent la vie pendant les accouchements. Je me rappelle encore de ma première grossesse : tout s’est bien passé grâce à la sage-femme. On doit vraiment les remercier pour tout ce qu’elles font pour nous ».
Issa Diarra (enseignant) :
« On parle souvent des médecins, mais rarement des sage-femmes. Pourtant, elles sont au premier plan, surtout dans les campagnes où il n’y a parfois pas d’autres soignants. Elles méritent plus d’attention et, surtout, davantage de moyens pour accomplir leur mission ».
Mamadou Konaté (retraité) :
« A mon époque, accoucher était un vrai risque. Aujourd’hui, grâce aux sage-femmes bien formées, beaucoup de vies sont sauvées. C’est une profession noble. Il faut vraiment les encourager, en particulier dans nos zones rurales ».
Fatoumata Sidibé (étudiante en soins infirmiers) :
« Célébrer les sage-femmes, c’est rappeler que leur travail est fondamental. Moi, je veux devenir sage-femme pour contribuer à sauver des vies. Cette journée m’inspire à m’engager encore plus ».
Néné Coulibaly (sage-femme) :
« Cette Journée est une véritable fierté pour nous. Mais elle est aussi l’occasion de parler de nos défis. Nous travaillons souvent avec très peu de matériel, et chaque vie que nous aidons à venir au monde est une victoire. Nous aimerions juste être mieux soutenues pour continuer ce travail avec dignité ».
Boubacar Sangaré (chauffeur de taxi) :
« Les sage-femmes, c’est comme nos mères. Elles s’occupent des femmes dans les moments les plus difficiles. Je pense qu’on doit les respecter davantage et leur donner plus de moyens. Sans elles, beaucoup de familles seraient en deuil ».
Dossier réalisé par
Nènè Mah Zasso Thera
(stagiaire)