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Interview: Amadou cissé, auteur du roman « l’agonie du destin »

« Ce livre est l’extériorisation d’un sentiment de chagrin et de révolte contre toutes
les exactions commises contre la gent féminine dans le monde… »
Première plume, premier bébé. Amadou Cissé a publié son premier roman intitulé «
L’agonie du destin ». Pour cette occasion, il a accordé une interview au Journal ‘’Le
combat’’ pour parler de son livre, qui aura tant fait jaser dans le monde littéraire
malien. Il se livre avec sincérité.

Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je m’appelle Amadou Cissé, je suis un jeune écrivain malien, auteur du roman : «
L’agonie du destin ». J’ai vu le jour à Goundam dans la région de Tombouctou au Mali

En 1996. Très tôt arraché à ma ville natale, le destin me conduit à Diré, un carrefour
égaré à mi-chemin entre le fleuve Niger et le Sahara. C’est dans cette ville que j’ai
grandi et connu toute mon enfance. Né d’un père Sonrhaï Oumar Cissé et d’une mère
peulh Nana Hama Diallo, j’ai vécu ma vie au sein d’une large et modeste famille, un
cercle choyé qui a fait de moi le modèle d’homme que je suis aujourd’hui. Je dois
cependant toute mon éducation et mon enfance à ma mère Habsa Kola Touré qui me
recueillit depuis mon plus jeune âge et m’inscrivit à l’école. Contrairement à un grand
nombre, j’ai eu le bonheur et la chance d’avoir deux mères dans ma vie. Travailleur
social de formation, je suis titulaire d’une Licence Professionnelle en Action
Humanitaire, en Travail Social obtenu à l’Institut National de Formation des
Travailleurs Sociaux du Mali (INFTS).  C’est pendant ce passage à l’INFTS qu’il m’a
été donné de rencontrer celui que vous trouverez d’ailleurs à la première page de ce
roman, mon ami feu Thierno Hady Sidibé à qui j’ai dédié totalement ce livre. Une
vieille histoire d’amour me lie à la littérature depuis ma petite enfance. J’ai toujours
aimé lire et écrire.
Expliquez-nous comment le choix du titre ‘’L’agonie du destin’’ s’est imposé à vous ?
Quand j’ai commencé ce roman, je voulais trouver un titre qui pouvait à lui seul
résumer tout le livre. Un titre qui serait assez interpellateur sur le contenu. Mais
j’avoue que ça n’a pas été facile et j’ai dû longtemps chercher. C’est un jour lors d’un
de mes voyages que j’ai enfin fini par trouver ce titre : « L’agonie du destin ». Ce
fameux voyage-là, je quittais Diré ma ville d’enfance pour Bamako. Sur des longues
distances, nous devions défier la route, j’étais heureux et même surexcité à l’idée de
revoir tous ces paysages, d’aller à leur rencontre. Mais hélas! À peine avons-nous
entamé ce voyage que mon enthousiasme disparut. Il n’y avait plus rien dans cet
endroit comme je l’espérais, tout était flétri et fané. Ce triste tableau qui défilait sous
mes yeux était une véritable désolation pour mon pauvre âme de poète. Pourtant,
quelques mois plus tôt, j’étais là, j’ai traversé ce même paysage, tout était vert, il y
avait la vie et l’harmonie, on pouvait sentir l’âme de la brousse battre dans cet
endroit. À perte de vue, les fleurs sauvages couvraient de leur beauté tout l’espace,
les sauterelles sautillaient pour rendre grâce à la nature pendant que rongeurs et
reptiles effrayés par le bruit des moteurs s’échappaient au loin à notre vue. Mais ce
jour-là pendant ce fameux voyage, tout était différent, le paysage jaunissait,
somnolait et mourrait, il rendait lentement son dernier souffle de vie. Les herbes
avaient totalement perdu leurs splendeurs. Je partais et faisais mes adieux à ce
paysage, j’étais sûr qu’à mon prochain voyage, il n’en resterait plus rien. C’est là que
pour la première fois, j’ai utilisé le mot agonie pour décrire l’état de ce sombre
paysage qui se dessinait devant moi. Et là où je vais encore vous surprendre, c’est
que dans cette mélancolie, j’ai trouvé une histoire presque similaire à l’histoire que
j’étais en train d’écrire, à la seule et petite différence qu’ici c’est de l’histoire et du
destin des hommes dont il s’agit. Voilà comment est né le titre de ce livre.

Idriss, fils d’Alpha Gouro, fuit les misères du village et est allé vers l’inconnu
pour poursuivre ses rêves et ses fantaisies. De quel inconnu parlez-vous ?
Au village de Koïrakèna, la fatalité a depuis fort longtemps gagné les cœurs, tous les
jeunes n’aspirent qu’à partir et fuir les misères du village. Ils pensent que l’Europe
est la solution à tous leurs malheurs, ils la convoitent ardemment et se lancent vers
elle sans mesurer les conséquences. Par milliers, ils abandonnent villages, parents et
familles pour suivre des quêtes utopistes de vie meilleure. Beaucoup ne reviennent
jamais malheureusement et ceux qui arrivent malgré tout, reviennent encore plus
misérables au village. L’inconnu ici désigne simplement les nombreux dangers de la

route, ses imprévus et ses épreuves interminables auxquels ils doivent faire face
dans leur long périple. Beaucoup ne savent pas à quoi s’attendre réellement.
La mort de Hamadi, patriarche et maitre-nageur, sur le lac Débo, par noyade en
sauvant d’autres passagers. Vous êtes-vous inspiré d’un vrai naufrage pour écrire
cette scène ?
Bien des parties dans le livre y compris le naufrage dans le lac Débo sont inspirées
d’événements réels. Mais ce qu’il ne faut pas oublier, ce livre est un roman, et c’est la
fiction qui fait la beauté de ce genre. Chaque événement ici est un mélange de réalité
et de fiction.
Vous parlez beaucoup des femmes dans le Roman, notamment Aminata, victime de
viol sexuel, en héritant d’un enfant innocent refusé par son époux après son retour
de l’exil.
Vous compatissez avec elles, j’imagine ?
C’est là où mon écrit prend son sens réel, car ce livre est tout d’abord l’extériorisation
d’un sentiment de chagrin et de révolte contre toutes les exactions commises contre
la gent féminine et les faibles où qu’ils soient dans le monde. À travers ces pages, j’ai
voulu non seulement compatir, mais aussi dénoncer et condamner cette injustice qui
m’écœure. Du début à la fin de ce livre, l’état de la femme est abordé, de sa condition
socio-économique et culturelle à ses combats et sacrifices en tant que femme. Ce
livre est aussi en un second lieu un cri de cœur, un infime ramassé des silences et
sanglots des femmes dans leurs misères de tous les jours.
À travers le personnage Madou, vous représentez nos ancêtres à l’époque animistes.

Croyez-vous encore en ces pratiques ?
Je ne suis pas superstitieux, mais je pense que l’Afrique a toujours gardé et garde
encore de grands mystères. L’important n’est pas de savoir si j’y crois ou pas, mais
peut-on réellement nier ces savoirs qui depuis la nuit des temps ont guidé nos
ancêtres ? Non, je ne pense pas.

Wandé avait été promise à Idjéber avant même sa naissance. Cette tradition
existe-t-elle encore au nord ?
Je pense qu’on parle là d’une pratique ancestrale qui n’est pas seulement propre au
nord, mais une tradition ancrée dans les mœurs et coutumes de beaucoup de
peuples. Toutes les sociétés, d’une manière ou d’une autre, à une époque de leur
l’histoire ont fait face à ce fléau. Aujourd’hui encore, elle reste une pratique courante
dans beaucoup de milieux, hélas je dois reconnaitre.

En vous lisant, je sens parfois un style similaire à Seydou Badian dans ‘’Sous
l’Orage’’ ou à Guillaume Oyono dans ‘’Trois prétendants, un mari’’. Ces deux
écrivains vous ont-ils inspiré ?
J’avoue que c’est assez flatteur pour moi qu’on identifie mon style à ces géants et
baobabs de la littérature africaine (Seydou Badian, Guillaume Oyono), je ne peux
qu’être fier. Dans ma vie, j’ai eu assez de lecture, et je pense que chaque livre que j’ai
parcouru m’a laissé des impressions et a peut-être même contribué à modeler ma
jeune plume d’écrivain.
Autrefois à Koïrakèna, les travaux collectifs pour cultiver la terre permettaient
à tous les habitants de se réunir dans la communion. Avez-vous une fois pris
part à de tels événements au nord ?

Non pas vraiment, car hélas, je fais partie de cette génération égarée entre l’Afrique
traditionnelle et celle dite contemporaine. On est venu trouver une société en pleine
mutation et assez oublieuse de son passé.
À travers le suicide de Wandé, vous interpellez les anciens ?
Bien de destins et de vies ont été brisés au nom de certaines vieilles traditions de
chez nous telles que l’excision, le mariage arrangé, etc. Des pratiques qui sans aucune
forme de justice, ont envoyé plus d’un dans la tombe malheureusement. « La vie
humaine est comme un grand arbre et chaque génération est comme un jardinier »,
nous enseigne sagement Amadou Hampâté Bâ. Nous devons donc tous être des bons
jardiniers, vieux et jeunes. Le bon jardinier, c’est celui qui « sait élaguer les branches
mortes et, au besoin, procéder judicieusement à des greffes utiles », nous apprend
encore ce sage homme. Nos traditions doivent être à l’image de ce grand arbre. Par la
fin malheureuse de Wandé, j’ai voulu mettre l’accent sur un thème peu exploré, qui
pourtant, est aussi vieux que le monde : le suicide.

Avez-vous d’autres projets d’écriture ?
Ce livre est pour moi le début d’une longue aventure. Je viens de commencer un
recueil de poèmes que j’espère bientôt publier. C’est juste pour dire que j’aime le
roman, mais je suis aussi ouvert à tous les autres genres littéraires et que je ne
compte pas m’arrêter en si bon chemin.
Interview réalisée par Moriba DIAWARA

 

Source: lecombat

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