Le Sahel est sous menace jihadiste depuis presque 20 ans. Pour lutter contre cette menace, plusieurs forces militaires sont engagées. Les soldats français de l’opération Barkhane et les 13 000 casques bleus de la Minusma, la force des Nations unies au Mali. Les pays de la région, eux, se sont regroupés au sein du G5 Sahel, qui s’est doté d’une force militaire conjointe il y a un an et demi. À sa tête, la Mauritanie. Frontalière avec le nord du Mali, elle est en première ligne, elle qui a réussi à repousser ce danger. Réorganisation de l’armée, politique volontariste, elle n’a plus connu d’attentats sur son sol depuis 2009, amenant le Quai d’Orsay, cette année, à revoir de façon positive ses préconisations pour les touristes, qui peuvent désormais se rendre dans des zones sécurisées au Nord.
Au sud, l’armée maintient un contrôle plus étroit. Ce jour-là, à la frontière, le soleil est écrasant. Partout du sable, le même paysage. Des dunes, quelques buissons. Sur une petite butte, des véhicules militaires, canons tournés vers l’horizon. Bras tendu, un homme en treillis balaie le paysage. “Tout cela, c’est la frontière malienne. Il n’y a pas de balise qui la délimite, il n’y pas d’arbre, rien, c’est un terrain dépourvu de toute végétation. La vie, là-dessus, est quasiment impossible”. Le colonel Sidi Ahmed Ould M’Haimid, chef du bataillon mauritanien du G5 Sahel, salue ses hommes, au visage drapé dans leurs chèches kaki. Seuls leurs yeux apparaissent. “La menace, poursuit-il, ce sont les groupes jihadistes, de l’autre côté de la frontière, les groupes armés. Pour nous, le risque zéro n’existe pas, il ne faut pas relâcher notre vigilance, et rester paré à toute éventualité.”
Le sud reste déconseillé par le Quai d’Orsay
De l’autre côté de la frontière, la menace principale porte un nom : AQMI, Al-Qaïda au Maghreb islamique. Un des nombreux groupes jihadistes régnant dans cette immense zone désertique, côté malien, alliés sous la bannière du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), dirigé par Iyad Ag Hali, ou la katiba Macina, du prédicateur Amadou Koufa, qui aurait été tué dans une opération de l’armée française au Mali, le 24 novembre dernier.
Sur les cartes du Quai d’Orsay, la région apparait comme une tache rouge, à l’accès formellement déconseillé. Nbeiket el Ahouach n’y apparait même pas, point invisible au sud-est de la frontière. C’est là que le poste de commandement du fuseau ouest du G5 Sahel doit être construit, là où est stationné son bataillon mauritanien. Créée il y a un an et demi, cette force conjointe régionale attend encore de monter en puissance. Pour fonctionner, cette force a besoin d’une mise de départ de 420 millions d’euros, pour équiper et former ses unités, puis d’un fonds de roulement de 100 millions supplémentaires chaque année. Une broutille ou presque, au regard des coûts de fonctionnement de la Minusma, la force des Nations Unies au Mali. Mais les promesses de financement par la communauté internationale tardent à se concrétiser.
“Les Nations unies ont la Minusma, qui coûte plus d’un milliard de dollars cette année et qui engage plus de 13 000 hommes”, constate le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz. “Le G5 fait avec le peu de moyens qu’il a, et avec beaucoup de promesses, alors que la Minusma a énormément de moyens et ne fait pas si bien. Si on relativise les choses, le G5 n’a pas échoué. Nous ne comprenons pas que toute la communauté internationale continue à accepter qu’on engage des milliards de dollars du côté de la Minusma, sans résultat, et que les cinq pays du G5, qui sont prêts à engager leurs forces pour combattre et sécuriser la zone, n’arrivent pas à trouver un dixième de ce qui va annuellement à la Minusma.”
Les hommes du colonel Sidi Ahmed Ould M’Haimid viennent tout juste de recevoir leurs gilets pare-balles, financés par l’Union européenne, dont le programme d’appui à la Mauritanie s’apprête à construire ici une piste d’atterrissage et un forage, pour ne pas que les militaires s’aliènent les populations locales, en puisant dans les maigres ressources d’eau que se partagent nomades et éleveurs. Une approche mixte, combinant intérêts militaires et civils. Dans cet environnement hostile, ni les armes, ni les radars de surveillance de l’armée de l’air ne suffisent pour ratisser, scruter cet immense désert.
À quelques heures de piste de Nbeket el Ahouach, quelques cubes de sable séché, des chèvres, marquent la présence d’un hameau, perdu au milieu du désert. Une silhouette coiffée d’un turban s’approche, un vieillard à la barbe effilée. C’est le chef du village de Wadi Initi, quelques centaines d’âmes, à peine. Et aucune infrastructure, ni téléphone ou électricité. Le lieu pourtant est stratégique.
Le hameau est posé au pied d’une passe, qui ouvre sur le grand plateau désertique qui mène à la frontière malienne. Un des très rares sentiers carrossables où un véhicule peut passer. “Il y a très peu de voitures dans la région. Les gens se déplacent en chameau, or les éventuelles agressions se font en voiture”, explique François-Xavier Pons. Ce Français pilote le programme d’appui de l’Union européenne à la Mauritanie. Dans le cadre du Fonds européen de développement (FED), l’Union européenne a débloqué une enveloppe de 13 millions d’euros pour aider le pays à conduire une politique d’aménagement du territoire alliant étroitement sécurité et développement.
Aider les populations locales
“Si jamais les gens abandonnent ce site, reprend François-Xavier Pons, le passage vers le Mali devient possible sans aucun contrôle, ni surveillance. C’est capital que les populations qui vivent ici soient très fidèles à l’État, qu’elles puissent rendre compte en cas d’infiltration.“ La preuve en 2010, lorsque les habitants de Wadi Initi ont aidé à déjouer un attentat kamikaze contre l’armée en prévenant du passage suspect d’un véhicule.
Pour maintenir l’existence du village et pérenniser ainsi une présence permanente dans ce lieu stratégique, l’Union européenne va ainsi financer une école, des programmes d’assistance aux transhumants, des puits, une clinique médicale mobile, destinée à la fois aux militaires et aux civils. Fidéliser les populations locales, sédentaires ou nomades n’est pas un mince défi. Les tribus touaregs s’étendent de part et d’autre de la frontière. Les liens tribaux se jouent de la géographie officielle. Le Mali n’est qu’à quelques encablures à dos de chameau, alors que la capitale mauritanienne, Nouakchott, est, elle, à presque 40 heures de route… Une autre planète.
Sécuriser militairement la zone ne peut ainsi se faire sans développer en parallèle la présence et la continuité des services de l’État, pour continuer à s’attacher la loyauté des populations dans ces terres abandonnées, zones grises fertiles pour le jihadisme, le narcotrafic, les vendeurs d’armes, et les preneurs d’otages.
francetvinfo