Elle apporte un véritable bol d’air aux malades et autres usagers des établissements sanitaires. Mais dans la pratique, tout ne se déroule pas comme prévu
Dans la conjoncture économique actuelle, on appellerait volontiers de ses vœux la gratuité des soins pour certaines couches sociales vulnérables et contre certaines pathologies, dont la prise en charge peut être onéreuse. La gratuité des soins est donc perçue comme une solution pour l’amélioration globale de la santé des couches vulnérables, voire du citoyen moyen dont le portefeuille est pressuré par une récession économique sans précédent.
C’est pourquoi, lors de l’ouverture de l’atelier de haut niveau sur la réforme du système de santé, tenu en février 2019, le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, a validé la proposition du département de la Santé et des Affaires sociales d’accorder « la gratuité des soins primaires curatives et préventives aux enfants de moins de 5 ans, aux femmes enceintes en période pré ou postopératoire et des services de planification familiale et des premiers soins d’urgence ». Le chef de l’état a aussi inclus dans les gratuités les personnes âgées de plus de 70 ans et la dialyse (ce qui apportera une réelle bouffée d’oxygène aux malades atteints d’insuffisance rénale dans notre pays).
Il est utile de rappeler que l’état, dans le souci de réduire le taux de mortalité et de prolonger l’espérance de vie dans le pays, avait déjà mis en place des politiques de gratuité des soins. Ces politiques concernent l’onchocercose, la lèpre et la tuberculose (avant 1960), le Vih/Sida (2004), la césarienne (2005), le paludisme chez les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes (2007), la fistule obstétricale (2009). Ces gratuités, inscrites dans le cadre d’une politique globale de santé au Mali, sont réglementées par des textes.
Les politiques de gratuité sont mises en œuvre dans les établissements de santé, notamment les hôpitaux, les Centres de santé de référence (CSREF) pour l’intervention chirurgicale et de l’hospitalisation et les centres de santé communautaires. L’état met à la disposition des centres de santé, des intrants qui sont jugés insuffisants sur toute l’année. Donc les ruptures qui interviennent sont parfois à l’origine des incompréhensions entre personnel de santé et usagers chez qui cette pilule amère est parfois difficile à faire passer.
La gratuité de la césarienne connaît des contraintes, notamment la difficulté d’organisation de la référence/évacuation liée au non payement des quotes-parts, la lenteur dans le remboursement des frais engagés par les centres et le suivi des politiques de gratuité. Dr Adama Dembélé, médecin chef adjoint au CSREF de la Commune V et attaché de recherche, tient à préciser que la gratuité porte sur la césarienne chez les femmes enceintes, le paludisme chez les enfants de moins de cinq ans et chez les femmes enceintes, les antirétroviraux (ARV) chez les personnes vivant avec le Vih/Sida, le traitement de la lèpre et de la tuberculose, entre autres.
Elle couvre aussi l’appareillage et la rééducation de plusieurs personnes handicapées, la vaccination, la planification familiale, la prise en charge de la malnutrition. Pour lui, les indigents ne sont pas en marge de la gratuité puisqu’ils sont couverts par le Régime d’assistance médicale (Ramed), piloté par l’Agence nationale d’assistance médicale (Anam), mais aussi l’amorce d’une prise en compte du 3è âge dans les programmes de santé et de solidarité. à entendre Dr Adama Dembélé, les politiques de gratuité ont contribué à réduire la morbidité et la mortalité maternelle, néonatale, infantile, infanto-juvénile et l’incidence des maladies transmissibles et non transmissibles, entre autres.
Réduction de la mortalité- Pour le paludisme, les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans sont les bénéficiaires. La planification familiale concerne les femmes en âge de procréer et les enfants de 6 à 59 mois pour la malnutrition.
L’attaché de recherche pense que la gratuité des soins a augmenté la fréquentation de son centre. Il explique que de 2015 à 2019, certains indicateurs ont fortement évolué. En se basant sur le Système local d’information sanitaire (SLIS), il a affirmé que le taux de couverture pour la consultation curative est passé de 39% à 70%. Le taux de couverture pour la consultation prénatale 1 (1ère consultation prénatale) est passé de 76% à 90%. Le nombre d’accouchements assistés est passé de 18.647 à 23.464 cas. Le taux de couverture en consultation post-natale a évolué de 49 à 62,97 %. Le taux de couverture vaccin pentavalent : 3 doses chez les enfants de 0 à 11 mois est passé de 95% à 117%. Taux de couverture en VAR (vaccin contre la rougeole) chez les enfants de 0 à 11 mois est passé de 78% à 113,70%.
Dr Adama Dembélé évoque aussi quelques difficultés dans la mise en œuvre de la gratuité des soins, notamment la faible mobilisation des ressources et le retard dans la mise à disposition des fonds pour la mise en œuvre des activités des plans opérationnels et de l’insuffisance d’équipement adéquat pour le fonctionnement des services spécialisés.
Dr Cissé Hamadoun Lamine, médecin généraliste et chef du système d’information sanitaire du CSREF de la Commune III, explique que la gratuité apporte un véritable bol d’air aux malades. « Sans gratuité, je ne sais pas où on en serait aujourd’hui », s’interroge-t-il tout en confirmant que la gratuité des soins a permis de réduire fortement la mortalité chez les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans, mais aussi la prévalence et la mortalité liée à la tuberculose. Concernant la prise en charge du Vih et du Sida, elle a permis aux personnes infectées d’accéder à des médicaments coûteux. Le médecin partage les difficultés évoquées par son collègue et pointe du doigt l’incomplétude des kits pour la césarienne. Cela provoque parfois une incompréhension avec la population qui pense que tout est gratuit. La Coalition des alternatives africaines dette et développement Mali (CAD-Mali) a fait une étude dans le cadre de la mise œuvre de la politique de gratuité des soins.
Selon le directeur exécutif de la Coalition, Souleymane Dembélé, le projet s’inscrivait dans le cadre du projet de suivi et plaidoyer des fonds alloués aux politiques de gratuité des soins de santé dans le Cercle de Kati. Il indique que la gratuité des soins de santé est une option salutaire pour assurer une bonne santé aux populations maliennes particulièrement les pauvres. Elle a non seulement permis un changement de comportement des parents dans la prise en charge du paludisme chez les enfants, mais aussi l’amélioration de la fréquentation des centres, la réduction de la mortalité maternelle, un accroissement du niveau d’utilisation des moustiquaires imprégnées et une amélioration de la connaissance des mesures de prévention par rapport à certaines maladies.
Se focalisant sur l’étude, il témoigne que les populations jugent diversement la gratuité des soins de santé notamment celle du paludisme.
De façon générale, la population enquêtée estime que la gratuité est une bonne solution pour l’amélioration de sa santé mais que son application n’est pas encore satisfaisante du fait de certains goulots d’étranglement parce qu’il faut, par moments, payer pour bénéficier des soins dits gratuits. Les ruptures fréquentes de stocks sont à la base de cette perception par rapport au paludisme. La communication autour de la gratuité des soins de santé au Mali demeure insuffisante. Il est nécessaire de l’améliorer pour aplanir en amont quelques difficultés.
Fatoumata NAPHO
Source : L’ESSOR