Dans notre dernier article « Entre tâtonnements et Incertitudes », nous faisions l’analyse de « l’an Un de l’Accord Politique de Gouvernance » qui a vu une partie de l’opposition rejoindre le gouvernement. Un an après, même s’il est difficile d’évaluer le premier Ministre en l’absence de déclaration de politique générale du gouvernement, les actions politiques fortes de cette année militent en faveur d’une reconduction du Dr Boubou CISSE à la primature, pour continuer et parachever le processus de réformes politique et institutionnelle en cours dans notre pays.
Les raisons :
Dans l’histoire des démocraties, de façon générale et systématique, le peuple, bien gouverné ou non,peut êtretrès souvent sévère (et c’est son droit) vis-à-vis de son gouvernement.Pourtant, nommé le 22 Avril 2019 pour faire face à un labyrinthe de défissociopolitiques, économiques, sécuritaires, de gouvernance, le gouvernement dirigé par DrBoubou CISSE issu de l’Accord Politique de Gouvernance, au bout d’un an, aura eu l’avantage de mettre fin à la crise politique née de la contestation des résultats des élections présidentielles de 2018 par une partie de la classe politique.
Le Premier Ministre appuyé d’un gouvernement certes pléthorique, a réussi à :
Organiser le Dialogue National Inclusif (DNI) qui a jeté les bases d’un Mali réconcilié avec lui-même, réconcilié avec son peuple et faisant face aux urgences de l’heure ;
Lancer les prémices d’une lutte implacable contre la corruption avec les dossiers en cours au pôle économique sous le leadership de Me Malick COULIBALY et du procureur Mamadou KASSOGUE ;
Organiser les électionslégislatives pour doter notre pays d’une Assemblée Nationale, même si de fortes contestations légitimes sont portées sur les résultats définitifs proclamés par la Cour Constitutionnelle ;
Accélérer le retour symbolique de l’armée nationale reconstituée à Kidal,
La prise en charge des défis de stabilisation du centre avec une structure dédiée à la question qui est à l’œuvre nuit et jour ;
Assurer la relative accalmie sur le front social hormis la grève des enseignants dont les négociations sont toujours en cours.
1.Sur le plan politique :
a.L’organisation du dialogue National Inclusif a permis la formulation des principales attentes, inquiétudes et espérance du peuple malien en résolutions et recommandations pour stabiliser et atténuer les conséquences des nombreuses crises qui secouent le pays. Dans cette logique, le nouveau gouvernement que le Dr Boubou CISSE dirigera sans doute, devra remédier à cette exigence constitutionnelle d’une déclaration de politique générale. Laquelle déclaration, pour rester conforme aux attentes du peuple Malien dans sa large majorité doit avoir comme colonne vertébrale, les résolutions et recommandations issues du Dialogue National Inclusif.
b.L’organisation des législatives a mis fin au débat sur la légalité et la légitimité de l’Assemblée nationale dont le mandat a été plusieurs fois prorogé et ouvre la voie à la plus grande réformeinstitutionnelle de la sixième législature et de l’ère IBK. La révision constitutionnelle dont la nécessité est admise par tous, si elle doit se tenir, comme en 2017, doit réunir certaines conditions préalables à savoir : le rétablissement de l’intégrité du territoire pour le respect de l’article 118 de la Constitution du 25 février 1992 ; le retour de l’Etat à travers l’armée nationale et les services sociaux de base dans les zones de conflit, l’exercice effectif de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire national par, la révision de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, la conduite concertée du processus de paix et de réconciliation…etc.
2.Sur le plan économique :
a. La fermeture des frontières pour cause de la pandémie du COVID-19 a contraint l’Etat à prendre des initiatives de relance de l’économie nationale. Malgré le fait que les effets positifs des précédents efforts du gouvernement en termes de relance économique avec l’apurements de la dette intérieure à hauteur de 200 milliards de F CFA en 2019 aient été annihilés par la crise sanitaire actuelle, un second apurement très prochain de la dette intérieure d’un montant de plus de 110 milliards de nos francs (soit un peu moins de 66 milliards FCFA pour les mandats de 2019 et près de 45 milliards pour ceux admis du 1er janvier au 30 avril 2020), permettra d’améliorer la trésorerie de nos entreprises, en plus des autres mesures de soutien à l’activité économique et réduire par le chômage pour cessation d’activités.
b.Même si les défis demeurent énormes avec un système de corruption endémique,des pratiques de clientélisme dans les passations de marchés publics, le chômage chronique des jeunes et des femmes bien perceptibles par les populations, une croissance économique revue en baisse pour l’année 2020, on assiste à la réduction significative de la dilapidation des ressources publiques dû essentiellement au fait que le premier Ministre cumule à la fois la primature et le ministère de l’Economie et des Finances.Cela a contribué à engager une bonne dynamique de rééquilibrage du budget d’état entre fonctionnement et investissement et par la même occasion rassurer les partenaires Techniques et Financiers.Cela dit, force est de reconnaître qu’il alourdi quelque peu certaines procédures etcertains processus de décaissement dans un contexte de crise et d’extrême urgence.
3.L’apaisement du Front social par le dialogue et la refondation du cadre légal et réglementaire du monde du travail : Dans ce registre, le gouvernement de mission conduit par Dr Boubou CISSE a pu désamorcer une série de grèves dont les plus significatives sont :
La grève des travailleurs du chemin de fer Bamako-Dakar qui a duré plus de 4 mois, combinant grève de la faim et obstruction des rails pour réclamer le paiement de leurs arriérés de salaires.
La grève des enseignants déclenchée en janvier 2019 a trouvé une issue à travers un protocole d’accord signé le 18 mai 2019 qui prévoit le paiement en deux tranches, d’une indemnité de logement aux enseignants. Un décret d’application de cette mesure a même déjà été signé par le Premier ministre en ce début d’année 2020. Cela avait permis de sauver de justesse l’année scolaire 2018/2019.
Outre ces résultats forts encourageants, le défi actuel demeure le règlement du bras de ferautour de l’application de l’article 39 de la loi portant statut du personnel enseignant, qui oppose le premier Ministre aux Syndicats de l’éducation. Le paiement des arriérés de salaire des enseignants pourrait servir de catalyseur pour cette nouvelle phase de négociation qui s’ouvre avec le syndicat « synergie ».
4.Stabilisation du Centre du pays et la lutte contre le terrorisme, et la pacification du Nord du pays :
Au centre, outre la création du Cadre Politique de Gestion de la crise du Centre, qui a pour mission de coordonner l’ensemble des efforts du Gouvernement et des partenaires dans le processus de stabilisation du Centre du Mali, les visites du chef du Gouvernement ont permis d’avoir une relative accalmie avec la signature de plusieurs accords communautaires.
C’est dire que sur ce plan, une consolidation des actions politiques actuelles couplée des opérations militaires de sécurisation en cours pourraient favoriser le retour de la paix dans cette partie du pays. C’est en cela que réside les défis du prochain gouvernement.
Par ailleurs, seul bémol, malgré l’exécution de la loi d’orientation et de programmation Militaire, demeure les difficultés sur le retour de l’Administrationdans les zones de conflit et lemanque de lisibilité et de résultats sur le terrain.
Au Nord, si on assiste à une forte baisse des tensions entre groupe armées et les FAMA, l’arrivée le 13 février 2020 à Kidal d’un contingent de 600 soldats maliens de l’Armée nationale reconstituée est tout un symbole du retour de l’administration et de l’Etat au Nord. Par ailleurs, la récurrence des attaques terroristes au Nord mais surtout au Centre, l’enlèvement du chef de file de l’opposition Soumaila CISSE par des groupes terroristes non identifiés depuis plus de 50 jours, démontrent si besoin est, l’étendue des efforts à déployer par le gouvernement pour incarner les engagements régaliens du retour de l’Etat et ses services sociaux de base dans les zones de conflit.
Comme un véritable programme d’action gouvernemental, les futurs chantiersdu prochain gouvernement Dr Boubou CISSE, sont :
Poursuivre les réformes politiques parl’organisation d’un référendum en vue de la révision de la Constitution, l’inclusivité et la participation de l’ensemble des forces vives de la Nation à ce processus de révision constitutionnelle,
Le redéploiement de l’Administration et des services sociaux de base dans les zones affectées par l’insécurité dans les plus brefs délais.
La relecture de certaines dispositions de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, selon les mécanismes prévus à l’article 65 dudit Accord et une campagne intensive de communication en vue de faciliter l’appropriation nationale de l’Accord réviséet de son processus de mise en œuvre.
Dr Etienne Fakaba SISSOKO, Professeur à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion, Chercheur au Centre de Recherche et d’Analyses Politiques, Economiques et Sociales du Mali – CRAPES.
Email : etienne@crapes.net