Lors de son discours solennel dans le Bureau ovale dimanche 6 décembre, Barack Obama a promis de « traquer les terroristes » où qu’ils soient et de « détruire » l’organisation Etat islamique, réagissant ainsi à la fusillade de San Bernardino qualifiée d’acte terroriste par les autorités. Mais qui sont ces jihadistes ou ces aspirants jihadistes sur le sol américain ? Un groupe de chercheurs de l’université George Washington spécialisés sur l’extrémisme décrit l’évolution de leurs profils jusqu’à aujourd’hui.
Le document, baptisé « From retweets to Raqqa » (en anglais), souligne d’abord l’évolution de la menace terroriste aux Etats-Unis sur les quarante dernières années. Car ce phénomène n’est pas nouveau, rappellent les chercheurs de l’université George Washington, prenant l’exemple des Américains partis rejoindre les Moudjahidines pour combattre l’armée soviétique en Afghanistan.
La menace est ensuite allée en grandissant, à partir de 1993 d’abord, avec l’attaque à la bombe contre une tour du World Trade Center qui a fait 6 morts et un millier de blessés, avec son apogée le 11 septembre 2001. A l’époque, c’est al-Qaïda qui constitue l’organisation terroriste la plus influente, avec à sa tête Oussama Ben Laden, tué par les forces spéciales américaines au Pakistan en 2011. Mais contrairement aux sympathisants actuels de l’organisation Etat islamique, ses militants viennent en général de l’extérieur des frontières américaines.
« Tous les assaillants du 11 septembre 2001 sont entrés aux Etats-Unis avec un visa de tourisme, d’affaires ou étudiant. Depuis, la plupart des terroristes liés à l’extrémisme musulman sont nés dans ce pays ou sont des citoyens naturalisés. Aucun n’était un réfugié », écrivait leNew York Times fin novembre (article en anglais).
Menace intérieure
Aujourd’hui, les organisations terroristes se sont adaptées aux mesures sécuritaires mises en place par les autorités américaines, avec le Patriot Act qui a notamment donné plus de pouvoirs aux services de renseignements. Comme il est devenu plus compliqué pour elles de préparer des attentats depuis l’extérieur, comme le 11 septembre 2001 ou même les attentats de Paris le 13 novembre dernier, elles ont choisi d’attirer directement les résidents américains.
A titre d’exemple, sur les 71 personnes inculpées depuis mars 2014 pour leurs liens avec Daech, 58 sont américaines, soit 8 sur 10, près d’une sur 10 est résidente permanente aux Etats-Unis et la dernière seulement vient d’un pays étranger. Entre 2001 et 2013, plus de 200 citoyens américains ou résidents permanents ont également été condamnés pour des activités en lien avec le terrorisme. Un chiffre qui montre, selon l’étude, que la menace jihadiste est certes moins importante qu’en Europe, mais tout de même assez significative pour s’en inquiéter.
Du jihad de l’écran au jihad de terrain
Encore faut-il repérer les jihadistes potentiels avant qu’ils ne commettent un attentat. Ce qui complique les choses, c’est la grande diversité des profils, de part l’âge, la classe sociale, le niveau d’éducation et le passé familial. Les chercheurs insistent ainsi sur les fortes capacités des recruteurs à s’adapter aux candidats potentiels au jihad. Pour cela, ils rappellent l’importance des réseaux sociaux dans la propagande de l’organisation Etat islamique. Notamment le fait que les sympathisants de Daech sont en général très actifs sur les réseaux sociaux, où ils disséminent leur idéologie. Malgré la fermeture récurrente de leur compte, ils continuent de créer de nouveaux identifiants, jouant un éternel jeu du « chat et de la souris » avec les autorités.
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Néanmoins, la Toile n’est pas le seul lieu de la radicalisation, précise le rapport. Les réseaux sociaux ne sont en général qu’une entrée en matière qui mène ensuite à un face-à-face. La radicalisation se fait donc sur Internet et dans la vie réelle, de façon complémentaire. Enfin, les sympathisants ne sont pas tous actifs. Certains ne font que soutenir l’idéologie, alors qu’une minorité d’entre eux va s’impliquer activement au sein de l’organisation terroriste.
Lune de miel en Syrie
Les chercheurs de l’université George Washington dépeignent par exemple le profil d’un couple dont l’histoire avait défrayé la chronique (article en anglais) aux Etats-Unis l’été dernier. Mohammad Oda Dakhlalla, 22 ans, étudiant en psychologie et Jaelyn Delshaun Young, 19 ans, chimiste et fille de policier, avaient développé une vie parallèle.
Ils envisageaient, sans que leurs proches ne soient au courant, de quitter les Etats-Unis pour intégrer les rangs de l’organisation Etat islamique. Ils avaient même prétexté à leur entourage une lune de miel à l’étranger après leur mariage. Ils ont finalement été arrêtés dans un petit aéroport du Mississippi début août 2015, juste avant de s’envoler pour la Turquie. Tous deux sont nés aux Etats-Unis et n’ont pas de passé judiciaire. Rien ne prédisait chez ce jeune couple marié une volonté de faire le jihad.
Plus de jeunes et de femmes
Ce que pointe le rapport, c’est justement la jeunesse des sympathisants de Daech. « Plus de 50% des cas d’inculpation concernent des personnes de 25 ans ou moins », précise le rapport. Parmi les 71 personnes inculpées depuis mars 2014 pour leurs liens avec l’organisation terroriste, trois étaient mineures, âgées de 15, 16 et 17 ans, la personne la plus âgée étant un ancien officier de l’armée de l’air américaine de 47 ans. Les chercheurs de l’université George Washington soulignent d’ailleurs la différence de tranche d’âge entre les sympathisants de Daech aujourd’hui et ceux d’al-Qaïda ou d’autres organisations terroristes auparavant.
Cette évolution se constate aussi sur le genre. Certes, l’énorme majorité des personnes inculpées pour leur proximité avec l’EI sont des hommes (86%), mais les femmes prennent une part de plus en plus significative dans la sphère jihadiste, signale l’étude. On a d’ailleurs pu le constater en France avec Hasna Aït Boulhacen, qui aurait contribué à la logistique pour couvrir les auteurs des attentats de Paris, mais aussi avec Hayat Boumeddiene, la compagne d’Amedy Coulibaly, preneur d’otage de l’épicerie cacher de Vincennes après les attentats de Charlie Hebdo, ou plus récemment avec Tashfeen Malik, qui serait probablement à l’origine de la radicalisation de son mari, avant leur attaque conjointe dans un centre de santé à San Bernardino en Californie. Elles peuvent aussi bien être chargées de la propagande, du recrutement ou rester simples « femmes de jihadiste » et « mères de la prochaine génération », explique l’étude américaine.
Radicalisation bien plus importante en Europe
Le nombre de combattants étrangers dans les rangs de l’organisation Etat islamique a littéralement explosé ces dernières années. En mai 2015, le Conseil de sécurité de l’ONU faisait état de 25 000 combattants étrangers de plus de 100 pays différents dans les rangs des jihadistes en Irak et en Syrie. Parmi eux, 5 000 Européens dont 1 200 Français et 400 Belges.
Néanmoins, il est important de préciser que malgré une recrudescence de la radicalisation ces quatre dernières années, ce phénomène reste bien moins développé aux Etats-Unis qu’en Europe, par exemple. Selon les services secrets américains, près de 250 citoyens des Etats-Unis ont fait le voyage ou tenté de le faire pour intégrer les rangs de Daech depuis juin 2015.
Selon les chercheurs de l’université George Washington, cet écart est lié à plusieurs facteurs. Notamment la « meilleure intégration de la communauté musulmane aux Etats-Unis » que sur le vieux continent, mais aussi « la présence limitée d’agents radicaux », comme les mosquées extrémistes, les prêcheurs de haine et les réseaux de recrutement de jihadistes.
Le rapport précise enfin que très peu de citoyens américains ont été tués dans des attaques liées à l’organisation Etat islamique sur leur sol. D’ailleurs, une étude du centre de recherche New America Foundation affirmait en juin 2015 que deux fois plus de personnes avaient été tuées par des suprémacistes blancs aux Etats-Unis depuis 2001 que par des islamistes radicaux. C’était sans compter la fusillade de San Bernardino.
Source: RFI