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Flavien Bourrat : «En Tunisie, il y a une culture du consensus»

Premier ministre tunisien Mehdi Jomaa nouveau gouvernement indépendants Tunis

« Une étape historique », c’est le secrétaire général de l’ONU qui salue en ces termes l’adoption, dimanche, par la Tunisie de sa nouvelle Constitution, une étape dans la transition démocratique. Ban Ki-moon évoque ce lundi 27 janvier l’exemple tunisien, « un modèle pour les autres peuples aspirant à des réformes ». Les cérémonies vont en effet s’enchaîner dans les prochaines heures à Tunis, à l’Assemblée comme à la présidence. Entretien avec Flavien Bourrat, responsable de programmes sur la région Afrique du Nord-Moyen-Orient à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (Irsem).

 Est-ce que c’est justifié aujourd’hui de parler d’un « modèle tunisien » ?

Flavien Bourrat : D’une manière générale et au regard de ce qui se passe depuis trois ans, on peut effectivement parler d’un « modèle tunisien » pour différentes raisons. Mais il y en a une que je retiendrai et que les événements de ce week-end viennent appuyer, c’est qu’il y a une culture de la modération, une culture du consensus que l’on n’observe peut-être pas dans les autres pays, je pense notamment à l’Egypte, à la Libye ou à la Syrie. Là, c’est un élément très important. Encore une fois, la Tunisie constitue à la fois le laboratoire, le test pour ces processus de transition que l’on espère démocratiques.

Malgré tout, cette transition est passée par des moments très difficiles avec les assassinats politiques.

L’acceptation de la nouvelle Constitution et la formation d’un gouvernement de technocrates neutres marquent la fin d’un blocage d’un an et demi d’une crise politique où, au fond, le processus de transition était complètement paralysé. Le déblocage s’est fait sur la base d’un compromis entre bien entendu le parti Ennahda et puis les autres formations dites de l’opposition. Mais attention, ce compromis n’est pas forcément durable. Le rapport de forces politiques continue à exister fondamentalement. Et nous avons en Tunisie des acteurs qui ont des agendas qui vont souvent dans des directions tout à fait opposées.

Est-ce que l’esprit de cette Constitution, issue de discussions d’un consensus, est fidèle à l’esprit de la révolution de 2011 ?

Oui, on peut considérer que cette Constitution qui, malgré tout, reprend des bases de la Constitution de 1959, est relativement fidèle à l’esprit de la révolution puisque c’est un texte qui n’est pas marqué idéologiquement. Effectivement, le parti Ennahda a dû beaucoup céder par rapport à ce qui était ses intentions initiales. Pour autant, le texte n’est pas dépourvu d’ambiguïté et, comme le disent beaucoup d’observateurs tunisiens, tout dépendra aussi de la manière dont la future majorité politique, parlementaire, interprétera et appliquera ces textes constitutionnels.

Justement, ce qu’attendent les observateurs, n’est-ce pas de voir si cette loi fondamentale est un véritable rempart contre certaines dérives autoritaires ?

Certainement. Il y a l’article 2 d’abord, qui affirme le caractère civil de l’Etat. C’est intéressant de comparer ce texte à celui qui a été approuvé en Egypte. Les conditions sont très différentes, mais on retrouve certains points communs et notamment une insistance sur la nécessité à ce que l’Etat ait un caractère civil et non religieux. C’est une concession effectivement qu’a dû opérer le mouvement Ennahda. C’est quelque chose de très important. Il y a aussi l’article 6 concernant la liberté de conscience et puis l’article 45 qui consacre l’égalité des citoyens et des citoyennes. Effectivement, on ne parle pas d’égalité entre les hommes et les femmes. Là on voit bien que ça pose un problème par rapport au référent religieux. Mais encore une fois, soulignons qu’il y a là quand même de très fortes avancées et qui font a minima consensus en tout cas dans l’opinion tunisienne.

Un texte qui marque une forme d’aboutissement pour le soulèvement populaire. Précisément, comment l’opinion, comment le peuple vit-il cette période transitoire ?

Les Tunisiens sont certainement soulagés de voir qu’un épisode de la transition s’est passé au fond de manière relativement pacifiée. Mais en même temps, les Tunisiens sont confrontés à une situation économique, financière et sociale extrêmement difficile et qui ne cesse de se dégrader. Egalement une situation sécuritaire qui était très préoccupante, il y a eu là-dessus une reprise en main au cours de cet hiver. Mais pour autant, la question qui se pose c’est : quel sera l’avenir politique de la Tunisie en fonction des futures élections ? Le grand défi à venir, c’est là où on risque d’avoir à nouveau de très fortes tensions, voire des crises graves, c’est au fond ce qui va conduire aux résultats des prochaines élections. La question reste en suspens de savoir quel mode de scrutin, quel découpage électoral. Et on imagine bien que les protagonistes politiques, et notamment le mouvement Ennahda, vont tout faire pour emporter les élections. Là, on a une partie de bras de fer à venir et ce qui sera intéressant de voir, c’est comment l’opinion tunisienne se mobilise par rapport à ces élections. Est-ce qu’elle va manifester une certaine distanciation, un retrait ou au contraire, elle va se mobiliser. Ce sera certainement un paramètre très important pour l’avenir politique de la Tunisie.

Concrètement, pour les mois à venir, le gros du travail du gouvernement dirigé par le Premier ministre Mehdi Jomaâ sera de préparer ce vote ?

Voilà. C’est l’élaboration d’une nouvelle loi électorale et le découpage aussi des circonscriptions. Et n’oublions pas aussi, dans la Constitution, la nature du régime. C’est une question qui semble superficiellement réglée, on va vers un régime mixte, un peu comme on a en France au sein d’un certain nombre de Républiques : mi-présidentielle, mi-parlementaire. On sait que là aussi il y a de très forts clivages au sein de la classe politique. C’est une question aussi très importante et qui est moins souvent abordée, mais qui n’est pas encore totalement réglée.

rfi

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