Les actions syndicales menées par le Syndicat national des banques et établissements financiers (SYNABEF); le financement de l’économie malienne en 2015 et les perspectives pour 2016; le développement de mobil money dans notre pays par les sociétés de télécoms; le changement de gouvernance à la tête des banques. Tels sont, entre autres, les sujets développés par le président de l’Association professionnelle des banques et établissements financiers (APBEF) Moussa Alassane Diallo, par ailleurs PDG de la BNDA, dans une interview qu’il a accepté de nous accorder. Dans ses premiers mots, il a tenu à préciser que le secteur bancaire n’est pas agité, malgré la grève et le sit- in du syndicat. En ce qui concerne l’économie malienne, il fonde beaucoup d’espoir que l’année en cours sera celle de l’amplification de la reprise économique. Car il y a déjà la volonté, l’engagement et la détermination du Gouvernement à réaliser des projets structurants dans les domaines de l’agriculture, de l’énergie et des infrastructures, comme en témoigne le lancement du premier emprunt obligataire par appel à l’épargne publique d’un montant de 65 milliards de FCFA.
L‘Indépendant : M. le président, le secteur bancaire est agité, ces derniers temps, à travers grèves et sit-in du SYNABEF et pourtant, on dit que l’argent n’aime pas le bruit. Au niveau de l’APBEF, qu’avez-vous fait pour mettre un terme à ces actions et rassurer vos clients et partenaires ?
Moussa Alassane Diallo : Je pense qu’il faut savoir raison garder, le secteur bancaire n’est pas agité. C’est vrai qu’il y’ a eu en novembre 2015 un mouvement de grève de 72 heures et un sit-in en avril 2016 à l’initiative du SYNABEF. Ces actions de protestation n’ont pas été prises à l’encontre de l’Association Professionnelle des Banques et Etablissements du Mali (APBEF) ou des banques, mais elles découlent d’une action judiciaire en cours. En effet, un agent de la BICIM a été mis en examen dans une affaire de paiement d’un chèque dans les guichets de la banque sans au préalable avoir appelé le client au téléphone pour confirmation de l’émission de ce chèque.
Face à cette situation, l’APBEF a clairement indiqué deux principes : l’indépendance totale et entière de la justice au Mali et le droit universel de grève reconnu aux syndicats. Au regard de ces deux principes, l’APBEF a proposé une troisième voie, celle de la médiation fondée sur nos valeurs sociétales (dialogue, concertation, recherche de compromis). Je dois rappeler aussi que l’APBEF a un intérêt certain au dénouement heureux de cette crise car elle et ses clients sont les premières victimes de cette situation. Je fais confiance à la justice de mon pays.
M.A.D : Au terme de l’exercice 2015, nombreuses sont les banques qui ont annoncé des indicateurs de performance au vert, des bénéfices confortables. Peut-on en déduire que le secteur bancaire malien se porte de nos jours très bien ?
Nombreux sont les Banques et Établissements Financiers du Mali qui ont déjà organisé les sessions des Conseils d’Administration et des assemblées Générales des Actionnaires pour statuer sur les comptes arrêtés au 31 décembre 2015. Globalement, je peux affirmer que l’exercice 2015 a été profitable et bénéfique pour les banques maliennes.
Les bons résultats de 2015 pour les banques maliennes s’expliquent essentiellement par un environnement de plus en plus serein créé par les pouvoirs publics après la crise de 2012; notamment grâce à la poursuite du programme économique et financier élaboré en 2013 avec le Fonds Monétaire International (FMI). Ce programme, qui s’étale sur trois ans, doit contribuer à maintenir la stabilité macroéconomique du pays, à promouvoir la croissance notamment par l’amélioration du climat des affaires et la promotion des investissements.
Les résultats macro économiques du Mali en 2015 ont été satisfaisants comme l’attestent les conclusions de la cinquième revue de l’accord triennal au titre de la Facilité Élargie de Crédit organisée à Washington du 04 au 19 avril 2016. En 2015, la croissance réelle du PIB est ressortie à 5%. Toutefois, la relance économique post-crise de 2012 reste toujours soutenue par le budget de l’État grâce aux investissements et à l’apurement significatif de la dette intérieure.
L’Indép: En termes de chiffres, quel est le niveau de financement réel de l’économie nationale par les banques en 2015 ?
M.A.D : Les Banques et les Etablissements Financiers du Mali ont accompagné et soutenu le Gouvernement du Mali dans la mise en œuvre de ses grands programmes et projets de développement économiques.
Au 31 décembre 2015, les emplois du système bancaire ont atteint 3.235 milliards de FCFA contre 2.707,5 milliards de FCFA, soit une progression de 19% par rapport au 31 décembre 2014 et un accroissement de +528 milliards de FCFA. Sur la même période, les crédits à l’économie se sont élevés à 1.747,5 milliards de FCFA en hausse de 289,4 milliards de FCFA, soit une progression d’environ 20% par rapport à leur niveau de fin décembre 2014.
Ces concours attestent de la contribution significative des Banques et Etablissements Financiers à la réalisation du taux de croissance du PIB qui a été de 5% en 2015.
Par ailleurs, les banques maliennes participent de manière très significative à toutes les émissions d’emprunts de l’Etat. Cela aussi est une contribution non négligeable.
L’Indép: Quels sont les secteurs prioritaires qui ont bénéficié de ces financements ?
M.A.D : L’analyse de la répartition sectorielle des financements fait apparaître une prédominance du secteur tertiaire (commerce, transport, communication) qui représente 64,3% de l’encours des prêts octroyés par le système bancaire en 2015, suivi du secteur secondaire (BTP, industries extractives et manufacturières, eau, électricité, gaz) à hauteur de 31,4% et du secteur primaire 4,3%(agriculture, élevage, pêche, sylviculture).
L’Indép : Malgré tout ce que les banques ont injecté dans l’économie, on constate que le pays a du mal à décoller économiquement, l’argent se fait rare, les clients se plaignent que le crédit est trop cher, voir inaccessible. Comment expliquez- vous ce paradoxe ?
M.A.D : Je voudrais saluer les efforts qui ont été accomplis par les pouvoirs publics depuis mars 2012 pour relancer l’économie et établir les fondamentaux macro- économiques. Le Mali vient de très loin avec la crise politico-institutionnelle et sécuritaire de 2012. Entre 2014 et 2015, les financements de l’économie nationale ont progressé de 19,9%. Ce qui dénote d’un effort important de la part des banques dans ce domaine. Cette évolution en lien avec la situation financière des banques traduit bien l’équilibre entre les taux des ressources en hausse et les taux de sortie des services financiers en baisse.
Les clients recherchent toujours des taux de rémunération plus élevés pour les dépôts et des taux de sortie des crédits plus bas. Dans ce contexte, les banques sont engagées dans une saine compétition pour un meilleur équilibre avantageux pour tous. Beaucoup d’efforts ont été faits ces deux dernières années avec la gratuité d’un grand nombre services bancaires depuis octobre 2014 et la baisse constatée d’au moins deux (2) points de base des taux de sortie des crédits.
Par ailleurs, au-delà des financements importants, la croissance économique reste tributaire des orientations macroéconomiques impulsées par le budget d’Etat, l’Etat étant le premier agent économique. Compte tenu de la situation sécuritaire du pays, le budget reste fortement marqué par les dépenses liées à la sécurité et à la stabilité sociale, toutes choses qui ont moins d’effets directs et immédiats sur la croissance inclusive comme les grands projets structurants.
L’Indép: Au vu du premier trimestre 2016, peut-on espérer que cette année sera celle du redémarrage de l’économie malienne après la crise?
M.A.D : J’estime, pour ma part, que l’année 2016 sera une année d’amplification de la reprise économique. Je constate déjà la volonté, l’engagement et la détermination du Gouvernement à réaliser des projets structurants dans les domaines de l’agriculture, de l’énergie et des infrastructures, comme en témoigne le lancement effectué sous la présidence du Ministre de l’Economie et des Finances du premier emprunt obligataire par appel à l’épargne publique d’un montant de 65 milliards de FCFA et pour une durée de 7 ans avec un an de différé.
Je rappelle aussi que pour la réalisation d’une croissance soutenue et inclusive, les travaux de la 6ème édition des journées de concertation entre les Etablissements de Crédit du Mali et la Presse tenues à Ségou les 18 et 19 mars 2016 sous la présidence du Ministre de l’Economie et des Finances ont porté sur le thème du Financement des Projets Structurants: Agriculture -Energie- Infrastructures. A cette occasion, des propositions et recommandations pertinentes ont été formulées, notamment, l’affectation d’une allocation budgétaire de 500 milliards de FCFA sur 5 ans à chacun des secteurs : Agriculture – Energie – Infrastructures, c’est-à-dire 100 milliards de FCFA par an. Cette situation conduira à une allocation budgétaire de 300 milliards de FCFA par an et 1.500 milliards de FCFA en 5 ans.
L’Indép : Il y a un processus de fusion-absorption de la BHM-sa par la BMS-SA. Quelle appréciation l’APBEF fait-elle de cette opération et ou en est- on aujourd’hui ?
M.A.D : L’APBEF apprécie favorablement cette opération de concentration bancaire renforçant les capacités d’intervention de la nouvelle structure. Elle permet également d’améliorer les performances du secteur bancaire au travers des synergies qu’elle développe. L’opération est globalement bouclée, les organes de gestion et d’administration sont en place et les premières réunions ont été tenues, les ajustages techniques et informatiques sont gérés pour l’essentiel. Je souhaite plein succès à la nouvelle entité.
L’Indép : Toujours en terme de réforme du secteur bancaire, le gouvernement a décidé de séparer les fonctions de PCA et de Directeur général comme on l’a vu à la BDM-SA. Pensez-vous que ce changement de mode de gouvernance peut engendrer plus de performances pour les banques ?
M.A.D : Le changement de mode de gouvernance dans les banques vient principalement de la Commission Bancaire qui est l’organe de contrôle, de supervision et de régulation de l’activité bancaire en zone UMOA. Cette structure, dans ses dispositions, indique qu’il est recommandable de séparer les fonctions de Président du Conseil d’Administration (PCA) de celles de Directeur Général (DG) dans les banques pour une gestion et une administration plus efficace. Les mêmes dispositions précisent que le mode de dirigeant unique (PDG) reste valable à condition que les organes de gestion et d’administration fonctionnent correctement notamment quant à leur information, leur implication et la fréquence de leurs assises (Assemblée Générale, Conseil d’Administration, Comité d’Audit, Commissaires aux Comptes).
Pour une plus grande indépendance et une plus grande responsabilisation des organes d’administration, de gestion et de contrôle dans toutes les chaînes de décision, il est apparu que l’une des pistes pour atteindre cela est la séparation des fonctions de PCA et de DG. Je rappelle que de toutes les entreprises privées ou publiques, les banques sont les plus contrôlées et surveillées à travers des états quotidiens, hebdomadaires, mensuels, trimestriels, semestriels et annuels, ce qui est normal à partir du moment où elles travaillent avec l’argent des autres.
L’Indép: On sait que l’activité monétaire est en général le domaine privilégié des banques, mais ces dernières années, les sociétés de téléphonie mobile ont fait leur entrée dans le secteur, avec non seulement le transfert mais aussi le dépôt d’argent. Cette évolution constitue-t-elle une menace pour les banques ou au contraire une opportunité pour mobiliser davantage de ressources auprès de la clientèle ?
M.A.D : Cette évolution peut effectivement s’interpréter doublement. Les opérations de transfert et de dépôt sont, à n’en pas douter, du domaine bancaire. Le développement des activités de mobile banking (MB) par les opérateurs de téléphonie et de services de transfert d’argent (STA) bien que s’appuyant sur un réseau bancaire entame le fonds de commerce des banques qui par ailleurs se soumettent à une réglementation plus contraignante. C’est pourquoi, la BCEAO exige sur le dépôt dans une banque de la couverture à 100% de la contrepartie des unités de valeur (UV) en circulation. D’ailleurs, nous assistons à la création de banques ou d’établissements financiers émetteurs de monnaie électronique pour ces activités, soit par les sociétés de téléphonie seule ou avec une filiale de banque.
Par ailleurs, cette activité touche des clients non bancarisés, favorisant du coup leur bancarisation à terme. De leur côté, les banques développent des produits similaires, mais seulement à destination de leur clientèle. Le développement des services de monnaie électronique est une opportunité pour l’activité bancaire, il s’agit de trouver des synergies et des complémentarités de manière à offrir les meilleurs services. L’Autorité Monétaire (BCEAO) a bien compris les enjeux et a par conséquent, adapté la réglementation à cette évolution.
L’Indép : Y a-t-il un cadre de concertation, voire de partenariat entre ces sociétés de télécom et les banques ?
M.A.D : Pour l’instant, il n’existe pas de cadre de concertation, du moins pas un cadre formel. Ces sociétés, pour l’instant, ont le choix de nouer un partenariat avec une banque qui reçoit les dépôts ou de créer un établissement de crédit ou un établissement financier émetteur de monnaie électronique.
Par contre, elles nouent des partenariats avec les banques en vue de commercialiser leurs offres à travers les réseaux de ces dernières.
Toutes ces activités restent encadrées par la BCEAO, assurant la transparence et la traçabilité des opérations.
L’Indép: Malgré les efforts fournis, le taux de bancarisation reste très faible dans notre pays (autour de 11%). N’est-il pas temps de changer d’approches et les conditions d’accès à la banque ?
M.A.D : La problématique de la bancarisation de l’économie reste posée au Mali et dans tous les pays membres de l’UEMOA. Des contraintes objectives se posaient à la bancarisation, notamment l’éloignement des guichets bancaires des populations. Depuis dix ans, les banques ont effectué d’énormes progrès pour se rapprocher davantage des populations. La quasi-totalité des banques de la place ont au moins un guichet dans l’ensemble des communes de Bamako. De même, elles sont présentes dans toutes les régions administratives du Mali à l’exception des deux nouvelles (Ménaka et Taoudénit) ainsi que dans plusieurs cercles et arrondissements. Mais je conviens avec vous que cette présence reste encore à étoffer.
Notre pays a réalisé des progrès en matière de bancarisation. Plusieurs dispositions ont été prises par les autorités monétaires et les banques depuis quelques années pour améliorer le taux de bancarisation. En 2014, le taux de bancarisation de la zone UMOA a été de 13,5% tandis que ce taux atteint 16,1% au Mali à la même période. Le Mali compte seize établissements de crédit. La revue des dispositions réglementaires relatives aux coûts des opérations bancaires, la promotion des activités bancaires liée à la concurrence, le développement du réseau bancaire et les actions de l’APBEF dans les domaines de l’information, la sensibilisation et l’éducation financière tendent à améliorer le taux de bancarisation. Ces efforts seront poursuivis.
Aujourd’hui, avec le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans les secteurs bancaires et financiers, la notion de bancarisation est presque dépassée, nous parlons maintenant de l’inclusion financière.
Cette notion intègre toutes les opérations financières effectuées en dehors du compte bancaire. Le taux de l’inclusion financière atteint 33% à fin 2014.
L’Indép: Aujourd’hui encore, beaucoup de travailleurs du secteur privé ne sont pas bancarisés et pourtant leurs employeurs ont leur compte dans vos institutions. Ne pensez-vous pas que cela est un échec pour elles ?
M.A.D : Cette situation est totalement inacceptable, d’abord parce qu’elle va à l’encontre des textes réglementaires de la république datant de 1992 qui stipulent que tous les salaires supérieurs à cinquante mille (50.000) FCFA doivent être payés dans un compte bancaire, ensuite parce qu’elle favorise la fraude au détriment de l’administration fiscale et de la sécurité sociale et fragilise l’employé. Les banques offrent aujourd’hui toutes les conditions favorables à la bancarisation des salariés des entreprises.
L’Indép : On sait que l’APBEF organise chaque année une Journée des Banques et Etablissements financiers dont l’objectif est de démystifier la banque. Quel sera le thème de la prochaine édition et quel bilan pouvez-vous tirer de ces manifestations?
M.A.D : La journée des Banques et Etablissements Financiers du Mali s’inscrit dans le cadre du programme d’activités de l’Association Professionnelle des Banques et Etablissements Financiers. Il s’agit là d’un cadre d’échanges, de dialogue et de concertation entre les populations et les établissements de crédit qui a pour objet d’assurer:
– La promotion et la vulgarisation des produits et services bancaires,
– L’information, la sensibilisation et l’éducation financière des populations,
-La bancarisation de l’économie,
-La création d’un système financier inclusif,
– L’appui à la formation et au renforcement des capacités des étudiants.
En six éditions, je peux affirmer sans aucun risque de me tromper que le bilan est globalement positif. Des thèmes d’importance majeure ont été traités comme :
– Impacts de la crise Politico-Sécuritaire de 2012 sur les Activités des Etablissements de Crédit et sur le Financement des Entreprises,
– Effets de la Crise de 2012 sur l’Economie malienne et les Mesures de Relance Economique : Rôles des Banques et Etablissements Financiers,
– Problématique du Financement des PME/PMI : Défis et Opportunités,
– Financement des Projets Structurants pour une Croissance Economique soutenue et durable : Agriculture-Energie-Infrastructures.
Toutes ces communications ont fait l’objet de résolutions et de recommandations pertinentes à l’attention des pouvoirs publics, des banques et établissements financiers, des opérateurs économiques et des Partenaires Techniques et Financiers du Mali.
L’Indép : Avez-vous un appel à lancer aux Maliens ?
M.A.D : L’économie malienne est dans une excellente dynamique avec un taux de croissance appréciable de 5%. Pour booster davantage ce taux de croissance et accompagner cet élan, les banques restent mobilisées pour relever les défis auxquels le pays est confronté au plan du financement. Il est utile de mobiliser toutes les synergies positives au service de l’économie dans un environnement sécuritaire garanti.
Source: independant