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Entretien avec Dr Rudy Lukamba, responsable santé du CICR Mali: » Cette année, le paludisme touche quatre fois plus de personnes avec autant de décès »

En raison de la focalisation des efforts consentis contre la Covid-19, les importantes quantités pluviométriques et la situation que le pays traverse, il a été observé cette année beaucoup plus de cas de paludisme entrainant de nombreux décès. Une situation, bien que générale, a particulièrement touché les régions septentrionales du pays. Pour en savoir davantage, nous avons approché le responsable santé du Comité International de la Croix-Rouge au Mali, Dr Rudy Lukamba qui a accepté de répondre à nos questions en donnant quelques pistes de solution.

 

‘Indépendant : Cette année, nous avons constaté une augmentation considérable du nombre de personnes atteintes de paludisme. A quoi est due cette situation selon vous?

Dr Rudy Lukamba : L’hivernage au Mali coïncide normalement chaque année avec l’apparition d’une montée des cas de paludisme. Raison pour laquelle on l’appelle  » période de paludisme « . Cette année a été assez particulière puisque nous avons observé une situation que nous pouvons qualifier de pic. C’est-à-dire un nombre de cas anormalement très élevé. C’est cela qui se traduit par le nombre élevé de consultation et d’hospitalisation à cause du paludisme. Ainsi, toute l’activité des structures de santé s’est focalisée autour de cette maladie qui n’a épargné aucune couche sociale de la population.

L’Indépendant : Pourquoi cette année a été si particulière pour le paludisme au Mali?

Dr Rudy Lukamba : Il y a beaucoup de raisons. Je pense qu’il serait intéressant pour les autorités sanitaires de faire une étude pour nous aider à en savoir plus sur les raisons et les causes concrètes. Cependant, il y a certains éléments qui pourraient nous aider à comprendre quelques raisons. En effet, cette année les pluies ont été un peu plus importantes que par le passé.

Il y a aussi des éléments d’ordre social et environnemental. La grosse particularité de cette année c’est surtout la crise liée à la Covid-19, qui continue de frapper le monde entier entrainant des limitations et des restrictions de mouvements. Cette crise a focalisé les attentions de tout le monde. A cause de cette situation, il a été impossible de mener les activités de prévention classiques pour faire face au paludisme qui est aussi endémique au Mali.

Parmi les activités qui auraient dû être menées pour contrer le paludisme, il y avait la disponibilité de certains intrants nécessaires, la distribution des moustiquaires imprégnées, les travaux d’assainissement, la chimio-prophylaxie préventive, etc. Autant d’activités qui auraient pu être menées mais l’attention a surtout été portée sur la crise liée à la Covid-19. Ce sont des éléments de réponses que nous analysons pour nous permettre de comprendre tout ce qui est en train de se passer.

L’Indépendant : Quelles sont les zones où vous avez constaté des pics de la maladie cette année

Dr Rudy Lukamba : Cette année, le pic a concerné le pays entier. Les statistiques provenant du ministère de la Santé montrent que depuis le début de l’hivernage, ce sont toutes les régions qui sont touchées. Celles du sud sont probablement plus touchées à cause d’une plus grande densité de la population. Au Nord, on a des endroits à faible densité de  population où on ne connait généralement pas une fréquence de malades du palu aussi élevée. C’est pour cela qu’en terme de sévérité, l’accent est surtout mis dans la partie septentrionale du Mali. Alors qu’ailleurs, de tels phénomènes surviennent très souvent. Ce qui ne signifie pas que le Nord du pays n’a jamais connu le paludisme, mais c’est l’ampleur qui est inédite cette année.

L’Indépendant : Avez-vous des chiffres prouvant l’ampleur de la maladie cette année ?

Dr Rudy Lukamba : Le mieux serait de se référer aux chiffres officiels. Au Mali, il y a le système de surveillance épidémiologique qui fait une compilation des différents chiffres. Au CICR, nos chiffres concernent essentiellement les structures que nous appuyons et qui ne prennent pas en compte la situation de toute la région. Dans ces structures, c’est surtout un comparatif que nous faisons. Le rapport montre en effet que la situation est passée du simple au quadruple.

Cette année, on reçoit quatre fois plus de cas de paludisme comparativement à l’année dernière. Et en terme de mortalité, la situation est similaire, car le nombre de personnes qui décèdent actuellement est quatre fois plus important que ce que nous avons enregistrés l’année dernière. C’est ce qui nous montre la sévérité du phénomène et non le chiffre absolu.

L’Indépendant : Quel traitement proposez-vous pour faire face à ce pic de paludisme cette année ? 

Dr Rudy Lukamba : Le CICR n’a pas fait une réponse essentiellement focalisée sur le traitement. Nous nous sommes positionnés pour appuyer la réponse du système sanitaire malien. Cette réponse passe par des étapes de prévention, d’identification, de traitement et de prise en charge. Le CICR a d’abord déclenché un plan d’urgence pour pouvoir appuyer les autorités sanitaires dans cette épidémie qui est assez particulière cette année. Concrètement, nous avons augmenté le nombre de ressources humaines dans les structures que nous appuyons parce qu’en effet il y a du travail additionnel avec toutes ces consultations. Nous avons augmenté la quantité de médicaments pour la prise en charge des patients.

Nous avons contribué à l’obtention d’une plus grande capacité d’accueil dans les différentes structures. A Kidal par exemple nous nous sommes positionnés sur la prise en charge des cas compliqués. Sur le préventif, nous appuyons différentes directions régionales dans les ripostes. Comme c’est le cas avec la direction régionale de santé au niveau de Gao, de Kidal, de Taoudenit et de Tombouctou.

L’Indépendant : En plus du paludisme, y-a-t-il d’autres épidémies dans le pays cette année et dont vous avez aidé à faire face?

Dr Rudy Lukamba : Cette année, la grosse épidémie a été la Covid-19 contre laquelle nous avons aussi joué notre partition dans la réponse apportée. Nous nous sommes positionnés sur tout ce qui était lié au maintien de l’accès aux services de soins de base en protégeant le personnel de santé. Nous avons axé notre  intervention sur la protection du personnel de santé pour maintenir la continuité des services de soins. La deuxième épidémie sur laquelle on est intervenu cette année c’est la rougeole, qui a aussi été très endémique comme le paludisme maintenant. La rougeole aussi, avec toute l’attention focalisée sur la Covid-19, n’a pas reçu la prise en charge qu’il fallait, notamment dans la prévention et la vaccination. Toutes les activités de riposte contre cette maladie ont pris du temps. Nous avons assisté à des épidémies de rougeole à Kidal, Tombouctou, Taoudenit. Il y a aussi eu la fièvre Crimée Congo qui concernait essentiellement la région de Mopti. Pour ce faire, nous avons apporté notre appui à l’hôpital de Mopti ainsi qu’à la direction régionale de la santé de Mopti.

L’Indépendant : Un mot de la fin ?

Dr Rudy Lukamba : Les épidémies arrivent et beaucoup d’entre elles sont des phénomènes déjà connus et pour lesquels des protocoles de prise en charge existent. Le problème c’est que quand le moment arrive, il se trouve que les attentions sont orientées ailleurs. Raison pour laquelle ces épidémies sévissent et il est difficile de les contenir. Très souvent l’erreur qu’on commet c’est d’oublier que ces maladies sont latentes avec des risques épidémiques.

Le message que nous lançons c’est que la vigilance doit être de mise. Il ne faudrait pas concentrer ses efforts sur une seule maladie, comme c’est le cas avec la Covid-19 et oublier le reste. L’idéal serait d’être présent sur tous les fronts car il en va de l’intérêt de la population malienne.

Réalisé par Massiré DIOP

Source: l’Indépendant

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