« En mes qualités de juriste et d’universitaire musulman spécialisé dans les études islamiques et originaire du Soudan, j’ai la conviction que le débat en cours au Mali ne touche pas seulement à certains aspects du code de la famille, mais à toute la relation entre le religion et l’Etat.
Etant donné que rien ne justifie, du point de vue de l’islam, une restriction des demandes en faveur d’une prétendue ‘’justification islamique’’ à ces requêtes sur le code de la famille, je voudrais avertir solennellement les autorités maliennes que le fait de céder à ces exigences sur cette question apparemment peu importante, équivaudrait à s’engager sur une pente glissante qui mènera à une fusion totale entre la religion et l’Etat dans le pays ». Ces phrases sont extraites d’une importante contribution faite en 2010 par Pr Abdallahi Ahmed An Na’im, juriste et universitaire originaire du Soudan et, publiée par « Le Challenger » en deux parties.
Le temps semble donner raison à ce spécialiste des questions islamiques et surtout l’envahissement du champ politique par des leaders religieux qui sont passés outre leur position de neutralité en donnant des consignes de vote en faveur d’un candidat à l’élection présidentielle. En son temps, « Le Challenger » avait attiré l’attention de toutes les actrices et de tous les acteurs épris de justice et de paix sur la montée des politiciens déguisés en islamistes.
Si en 2002, certains avaient franchi le Rubicond en s’alignant derrière un candidat, il faut reconnaître que 2013 a été un tournant décisif dans la collusion entre certains politiques et leaders religieux. Il est connu de tous que le Haut conseil islamique du Mali et son bras politique, le “Mouvement Sabati 2012’’, ont clairement appelé à voter en faveur de l’actuel Président de la République, Ibrahim Boubacar Kéïta. Récemment le Chérif de Nioro du Sahel a même reconnu sur les antennes de la télévision nationale qu’il avait donné des consignes de vote en faveur d’IBK.
Les leaders religieux ou du moins ceux qui profitent de la couverture de la religion, veulent prendre le pouvoir politique d’Etat et travaillent à réunir les conditions à travers le contrôle des moyens de communication comme les radios de proximité et les télévisions. En 2015, la phrase « Nous allons porter un iman à Koulouba » du guide spirituel de l’association Ansardine, Ousmane Chérif Madani Haïdara, a semé l’émoi dans les ambassades au point que certains diplomates se sont rendus chez lui pour en avoir le cœur net. Le guide spirituel Haïdara qui digérait mal l’indifférence de celui qui assistait régulièrement à ses prêches avant de devenir Président, a rassuré ses visiteurs. La réalité est que les leaders religieux, appelés «faux leaders religieux » par Soumana Sako, l’un des rares hommes politiques à s’attaquer ouvertement à cette race de leaders d’opinion, veulent prendre le pouvoir à l’aide des fortunes d’origine plus que douteuse.
Les déclarations récentes de certains leaders religieux laissent peu de doute sur le rôle qu’ils comptent jouer dans la prochaine élection présidentielle. Déjà, dans une interview accordée à la radio Niéta, le Président du Haut Conseil Islamique, l’iman Mahmound Dicko, a laissé entendre qu’il s’en tiendra aux directives du Chérif de Nioro dont le choix est un secret de polichinelle.
En attendant l’ouverture de la campagne officielle pour le scrutin, les leaders religieux commenceront à se neutraliser. Les prochains jours seront marqués par des attaques contre un tel ou un tel. Si l’on s’éloigne de la parole de Dieu à la recherche des intérêts mercantiles de ce bas-monde, il faut alors s’attendre à tout. Car on ne peut pas tromper Dieu.
Par Chiaka Doumbia
Source: Le Challenger