Une fois l’effet d’annonce passé, des observateurs de la scène politique nationale s’interrogent sur les vraies motivations des mandats d’arrêt international lancés contre d’anciens dignitaires du régime déchu le 20 août 2020 dans l’affaire dite “Paramount”. Les agendas politiques ont-ils donc hâte de sortir de l’ombre ?
Dr. Boubou Cissé, Mamadou Igor Diarra, Tiéman Hubert Coulibaly, qui sont désormais visés par des mandats d’arrêt international émis par le parquet général de la Cour suprême ce 28 juillet 2022, partagent plusieurs points communs : ils ont été Premier ministre pour le premier cité et ministres sous différents gouvernements de l’ère Ibrahim Boubacar Kéïta (paix à son âme) ; ils ambitionnent surtout, secrètement ou ouvertement, de briguer la magistrature suprême du pays à l’occasion de la présidentielle de 2024.
Les deux premières personnalités nommées ont regagné l’Union pour la République et la démocratie (URD), la formation politique créée par le défunt Soumaïla Cissé, qui a le vent en poupe et qui détient probablement le programme de gouvernement le plus consistant jusque-là de la place.
Quant à Tiéman Hubert Coulibaly, qui a été candidat de l’Union pour la démocratie et le développement (UDD), un parti porté sur les fonts baptismaux par feu Moussa Balla Coulibaly, à l’occasion de la présidentielle de juillet-août 2013, il n’a jamais fait mystère de sa volonté de se hisser à Koulouba.
Il vous souviendra le tollé suscité récemment par une déclaration du Premier ministre Choguel Kokalla Maïga, qui exhortait ses partisans à aller se préparer pour gagner les prochaines élections face aux démocrates “vendus” ou dépeints en noir par ses soins. Dans le temps, les Maliens sont écartelés entre attaques jusque dans la capitale et vie chère. Pis encore : la tension diplomatique avec le voisin ivoirien au sujet de 49 de ses soldats lourdement armés arrêtés à l’Aéroport international-Président Modibo Kéita/Sénou n’est pas prête de s’estomper, etc.
Alors pourquoi ouvrir un tel front à un moment aussi crucial de la vie de notre nation si tant est que la vocation d’une transition c’est de favoriser l’unité nationale, l’entente, la cohésion nationale… tout en jetant les bases d’un futur prometteur ?
Notre intention ici n’est pas de faire l’apologie de la corruption, du détournement, de l’enrichissement illicite ou de la dilapidation du bien public… Bien au contraire. Mais nous pensons réellement que la recherche de la paix et de la sécurité, l’élaboration de nouveaux textes fondateurs de la République, la tenue d’élections consensuelles, la détente avec la communauté internationale… devraient être des priorités absolues du gouvernement de la Transition.
Parallèlement aux activités devant conduire au retour à une vie constitutionnelle normale, la justice pourrait naturellement continuer son petit bonhomme de chemin, documenter des faits, sans trompette ni tambour et sans donner l’impression d’être au service d’un clan. Autrement dit, elle devrait mettre un bémol et trouver le bon timing pour l’indispensable travail de nettoyage des écuries d’Augias.
Il nous est en tout cas revenu que beaucoup des décideurs publics sous le régime du président Ibrahim Boubacar Kéita, pris la main dans le pot de confiture, sont effectivement en train de rembourser l’argent public qu’ils avaient subtilisé. Pourquoi ne pas prouver la culpabilité des personnes visées par les mandats, les pousser à rembourser au nom de la cohésion sociale et de l’apaisement des cœurs et des esprits ?
Certes, nul n’est au-dessus de la loi, mais il faudrait tout aussi éviter le sentiment de la justice des vainqueurs d’autant plus que les personnes incriminées clament leur innocence et se disent prêtes à prouver qu’elles n’ont agi que dans le sens de la préservation des intérêts supérieurs du peuple.
Sans préjudice du droit
“Mon absence obéit à la volonté d’observer une posture de réserve afin de permettre aux autorités de la Transition d’œuvrer au plus vite pour le rétablissement des équilibres socio-politiques nécessaires au retour rapide à un ordre constitutionnel régulier dans notre pays. Il ne faudrait donc pas que la justice malienne, qui a toujours été digne, puisse faire l’objet d’une instrumentalisation et ainsi détourner l’opinion publique nationale des vrais enjeux du moment en matière sécuritaire, sociale et économique. Je regrette profondément que cet acte soit posé au moment où mes frères maliens doivent être rassemblés autour des valeurs de paix et de justice véritables afin de tracer un nouveau chemin vers la cohésion nationale”, Dr. Boubou Cissé, dernier Premier ministre de feu le président IBK.
De son côté, Tiéman Hubert Coulibaly se veut on ne peut plus clair : “Je rappelle que ma mission en tant que ministre de la Défense et des Anciens combattants a débuté le 8 janvier 2015 et s’est terminée le 3 septembre 2016. Elle était parfaitement définie dans le cadre de prérogatives claires. Je n’ai jamais agi que dans ce cadre et, je n’ai agi que pour assurer la meilleure préparation opérationnelle de nos forces face au défi sécuritaire. Au moment où le Mali est désaxé, menacé de désintégration, les acteurs de cette Transition en déroute devraient plutôt chercher le moyen d’unir et de rassembler. Depuis un an et plus, je n’ai cessé de dénoncer leurs choix hasardeux et de leur adresser des recommandations. Hélas ! Leur seule réponse demeure la menace, l’invective, la stigmatisation et les insanités d’une rare violence, déversées par leurs sbires sur les réseaux sociaux. Ne voient-ils pas ce qui se passe ? N’entendent-ils pas les appels à la raison de nos compatriotes et de nos amis, partenaires à la paix ? Persécuter des hommes politiques n’a jamais contribué au succès, mais a toujours conduit à l’échec !”
Concernant Mamadou Igor Diarra, ancien ministre de l’Economie et des Finances, c’est le Groupe Bank of Africa, dont il est le directeur régional pour l’Afrique de l’Est, qui vient de monter au créneau pour lui signifier son soutien et l’encourager en ces heures graves. Bank of Africa le décrit comme un cadre compétent, professionnel, honnête et sérieux.
Notons que l’affaire Paramount du nom de la société éponyme, comme le rapporte notre confrère Le Sphinx dans une récente parution, est un contrat de livraison de 30 véhicules blindés “Marauder” signé en 2014 avec le gouvernement malien. Ce n’est qu’en 2019 qu’une quinzaine de blindés ont livrés après intervention d’IBK auprès de son homologue sud-africain, Cyril Ramaphosa.
“Depuis plus rien. Et pourtant la moitié du montant de la commande soit 30 millions (17,7 milliards de F CFA) sont sortis du Trésor mais notre pays n’a reçu que le quart des Marauder commandés. Plus grave, dans l’opération nos kleptocrate ont carotté 450 millions rein qu’en jouant sur le taux d’échange”, assure le journal.
De son côté, poursuit Le Sphinx, Ivor Ichikwitz, le patron de la société sud-africaine, est formel, assurant que Paramount a intégralement honoré le contrat qu’elle a signé avec l’Etat malien. La partie du contrat qui a été financée a été exécutée et la totalité des équipements ont été livrés, dit-il.
Une manière pour lui de dire que sa société n’a rien à voir avec les nombreux intermédiaires et prêts noms mandatés par le régime corrompu d’IBK. Où sont alors passés les 10 milliards restants ?, s’interroge le journal.
Si force doit rester à la loi, la particularité des mis en cause commande un traitement sans passion de l’affaire.
El Hadj A.B. HAIDARA
Source: Aujourd’hui-Mali