En Egypte, le doute n’est plus permis sur les intentions de l’armée et du désormais maréchal Abdel Fattah al-Sissi, l’homme fort du pays. Lundi, le Conseil suprême des forces armées lui a donné mandat pour se présenter à la future élection présidentielle prévue dans moins de trois mois. Trois ans après la révolte populaire qui a chassé Hosni Moubarak du pouvoir et sept mois après le renversement du seul président civil élu, l’islamiste Mohamed Morsi, l’armée reprend bel et bien la main en vue des futures échéances électorales.
Diffusé lundi 27 janvier, au milieu de clips à la gloire des forces de l’ordre égyptiennes, le communiqué du Conseil suprême des forces armées, dirigé d’ailleurs par al-Sissi, est clair : « la confiance populaire donnée au maréchal Sissi est un appel auquel il faut répondre. »
Même s’il n’a pas fait lui-même de déclaration officielle de candidature, plusieurs indices ne laissent plus de doute sur l’intronisation de l’actuel ministre de la Défense, et homme fort du pays.
D’abord, sa promotion le même jour comme maréchal, la plus haute fonction de l’armée, est perçue comme un dernier hommage de ses pairs avant son retour à la vie civile.
Popularité
Un haut gradé affirmait le même jour, que Abdel Fattah al-Sissi allait quitter ses fonctions dans l’armée, car la Constitution égyptienne interdit aux militaires de briguer la présidence. D’autre part, dimanche 26 janvier, le président intérimaire Adly Mansour annonçait que le scrutin présidentiel était avancé et qu’il aurait lieu avant les législatives.
La décision a été perçue comme un moyen de faire élire au plus vite al-Sissi. En effet, le tombeur du président islamiste Mohamed Morsi en juillet 2013 jouit d’une grande popularité parmi les Egyptiens.
Dans son communiqué, le Conseil suprême des forces armées justifie le choix par la popularité du maréchal, une popularité gagnée à la suite du renversement de Mohamed Morsi avec le soutien d’une grande partie de la population
Ces derniers mois, et encore ces derniers jours, pour le 3e anniversaire de la révolte de 2011, les portraits d’al-Sissi étaient brandis dans des manifestations de soutien au pouvoir en place.
L’homme providentiel
Al-Sissi, l’enfant du peuple issu d’un quartier marchand du Caire est décrit tantôt comme le nouveau Nasser, celui qui tient tête quand Washington veut suspendre l’aide annuelle de 900 millions d’euros ; tantôt comme le héraut de la lutte antiterroriste et sauveur de la nation en péril. Cette image a été soigneusement forgée par l’armée depuis des mois, grâce notamment à des médias de moins en moins indépendants.
Car en réalité, loin d’être un leader charismatique, ni un héros de guerre comme le fut Moubarak, Abdel Fattah al-Sissi est d’abord l’émanation d’un système. Ce qui veut dire qu’il sera tout aussi facile à l’armée de lui retirer le pouvoir octroyé, comme elle n’a pas hésité à le faire avec l’ancien raïs Hosni Moubarak
Si l’institution militaire a choisi Abdel Fattah al-Sissi, ancien responsable des renseignements militaires sous Moubarak, c’est pour reprendre la main dans un contexte dégradé.
Attentats quasi quotidiens
La situation sécuritaire semble échapper chaque jour un peu plus au contrôle des autorités. Depuis l’été dernier, les attentats revendiqués par des groupes jihadistes, et les assassinats ciblés sont quasi quotidiens. La région excentrée du Sinaï n’est plus la seule touchée. A la veille du troisième anniversaire de la révolution, quatre attentats ont frappé la capitale
Ce mardi 28 janvier, le général Mohamed Saïd, le conseiller du ministre égyptien de l’Intérieur a été tué par balle par des inconnus au Caire.
Depuis des mois, le pouvoir dominé par les militaires a déclaré une guerre aux Frères musulmans, classés organisation terroriste et à qui est attribuée toutes ces violences, même si elles sont revendiquées parfois par des groupes jihadistes proches d’al-Qaïda.
Le même jour, s’est ouvert l’un des quatre procès visant le président Frère musulman déchu Mohamed Morsi et le n°2 de la confrérie. Avec d’autres, ils sont accusés d’évasion et de meurtres de policiers en 2011 et encourent la peine capitale.
Le contexte de violences que connaît le pays donne une raison à l’armée d’avancer franchement ses pions quitte à mettre en péril les droits de l’homme et les droits politiques, en arrêtant des opposants et en les poursuivant devant des juges militaires.
En même temps qu’elle pousse l’un des siens au poste de la magistrature suprême, l’institution militaire a fait voter « à l’arraché » une Constitution qui lui assure un rôle de premier ordre.