Entre le 17 mai (accueil sur fond d’incidents du Premier ministre Moussa Mara à Kidal) et le 21 mai (affrontement sanglant entre l’armée régulière et les mouvements armés) et jours suivants, le discours du président Ibrahim Boubacar a radicalement varié, la déclaration de guerre cédant la place à l’appel pressant au dialogue ; les piques à la France et aux Nations Unies (via Serval et la Minusma) s’effaçant au profit d’expressions comme « sont des partenaires », « ne sont pas nos ennemis », « ne doivent pas être inquiétés ». Le Premier ministre, le ministre de la défense, celui de la réconciliation et le porte-parole du gouvernement etc. ont depuis pris le relais pour soutenir ce virage à 90° du chef de l’Etat. Moralité : « faire tourner 7 fois sa langue dans sa bouche avant de parler ».
Le 17 mai dernier, après l’accueil mouvementé du Premier ministre Moussa Mara à Kidal, suivi de prise d’otages et d’exécutions sommaires d’administrateurs civils, le discours à la nation du chef de l’Etat était très attendu. Il tombe le 19 mai au soir. Mais, visiblement, les rédacteurs du discours ont fait preuve d’un extrême amateurisme en faisant dire au chef de l’Etat des propos dénués de toute diplomatie.
Dans son adresse, le président de la République a quasiment décrété l’état de guerre
« …Il n’en ira hélas pas de même à Kidal, où ils furent reçus sous des balles et des tirs à l’arme lourde de groupes armés.
Nous qualifions cela d’acte crapuleux et de lâche trahison de tous les engagements antérieurs, notamment ceux contenus dans les Accords de Ouagadougou.
Et ce n’est là, ni plus ni moins, qu’une déclaration objective de guerre à l’Etat du Mali, au moment où tout est mis en œuvre pour relancer les pourparlers devant conduire à une paix définitive au Nord, à travers un dialogue inclusif ».
IBK s’attaque aussi, directement ou indirectement, aux alliés du Mali et à la communauté internationale à travers ces morceaux choisis : « …des groupes armés qui, eux, ont mis à profit ledit accord pour reconstituer leurs forces, dans une insolente et incompréhensible liberté de mouvement et de manœuvre » ; « …l’armée malienne s’étant trouvée en situation d’assurer, seule, la sécurité des déplacements terrestres de la délégation du Premier ministre ».
Au-delà du message à la nation, IBK a reçu le 19 mai, les représentants de la Communauté internationale. Devant eux, il a dit ceci: « Kidal est devenue une zone de non droit malgré la présence de la Minusma. Stabiliser le Mali n’est sûrement pas permettre aux groupes d’y parader, d’y faire la loi et de s’armer allègrement. Ceci est contraire au mandat de l’ONU ».
La veille, le chef de l’Etat a reçu avec une phrase peu diplomatique, Mme Hélène Le Gal, Conseillère Afrique de l’Elysée et Envoyée spéciale du président Hollande : « Kidal va cesser d’être une exception quoi qu’il nous en coûte ».
Pour en revenir au message à la nation du 19 mai, dans lequel il fait le serment que « ces crimes odieux ne resteront pas impunis », le chef de l’Etat ne fait pas un appel formel au dialogue, même si le concept est évoqué. En terme d’interrogation : « On ne peut comprendre, encore moins tolérer que, dans l’environnement sociopolitique qui est présentement le nôtre, largement ouvert au règlement politique des différends, et marqué par l’existence d’accords auxquels les uns et les autres ont adhéré, l’on ne puisse pas entamer un dialogue sincère devant déboucher sur un accord de paix définitif et global ». Au contraire, IBK durcit le ton : « Plus jamais, une délégation de l’Etat ne sera prise à partie à Kidal…Je ne laisserai pas ces mouvements armés, certains qualifiés de terroristes, d’autres désignés de manière commode comme rebelles, mais tous, réunis et solidaires à nouveau, comme ils le furent lorsqu’ils perpétraient, ensemble, l’horreur d’Aguelhoc, mais tous, de connivence avec le narcotrafic international, je ne les laisserai pas, disais-je, continuer à faire la loi, ni à Kidal, ni dans une autre partie de notre territoire ». Avant de l’adoucir en toute fin de discours : « Nous allons donc au dialogue, convaincus que nous sommes que le salut passe impérativement par là ».
Cependant, après les affrontements du 21 mai dont le bilan reste toujours inconnu, le discours d’IBK a changé de but en blanc ; avec plus d’humilité. Le dialogue devient subitement la priorité du gouvernement et du chef de l’Etat qui en appelle à un cessez-le-feu immédiat. Le communiqué (rectificatif ?) du 19 mai en témoigne : « Toutefois, le Président de la République, dans son message à la Nation du 19 mai 2014, a indiqué que notre priorité est le dialogue. En vertu de cela, et conformément aux souhaits du Secrétaire Général des Nations Unies, au nom de la communauté internationale, il a instruit un cessez-le-feu immédiat ».
A l’endroit de la communauté internationale, IBK change de ton et de couleur : « Le Gouvernement demande à chaque malienne et à chaque malien de faire preuve de calme, de sérénité, et d’un sens élevé de la responsabilité, pour éviter tout amalgame ou toute stigmatisation pouvant entamer la cohésion nationale, et nuire à la qualité des relations avec les partenaires du Mali.
La Minusma, la force Serval et les représentants de la communauté internationale ne doivent pas être inquiétés. Ils ne sont pas nos ennemis », peut-on lire dans le communiqué du 21 mai.
Au même moment, Mara, qui avait, de manière voilée, appelé à aller en guerre contre les groupes armés, le 18 mai, et ouvertement critiqué les forces alliées, emboite le pas au chef de l’Etat. Lors d’une réunion avec des citoyens, le Premier ministre prône plus de pacifisme vis-à-vis de la Minusma et de Serval : « Il faut baisser la pression sur la France, sur la Minusma, sur la communauté internationale ; car nous avons encore besoin d’eux. Notre pays traverse des moments très difficiles. On peut noter que les Français ne sont pas clairs, mais ces aspects doivent être réglés politiquement ».
Enfin, depuis mercredi, les ministres ne cessent de passer sur le plateau de l’Ortm ou d’autres médias pour prêcher, au nom du chef de l’Etat, le dialogue, les bons rapports avec la Minusma et Serval et les bonnes relations avec les pays amis. Les ministres Mahamane Baby, Soumeylou Boubeye Maïga, Zahabi Sidi Ould Mohamed, Abdoulaye Diop, Mahamadou Camara, Sada Samaké, Hamadoun Konaté, sont tous passés là.
Moralité ? Un Etat se gère avec la tête et non le cœur.
Sékou Tamboura
SOURCE:L’Aube