La volonté de la France de mener une intervention militaire “courte” en Centrafrique pourrait être mise à mal par la géographie du pays, l’identité des miliciens responsables des exactions et le précédent malien, estiment des analystes.
En annonçant jeudi soir le lancement de l’opération Sangaris, François Hollande a précisé que cette intervention serait “rapide” et qu’elle n’avait “pas vocation à durer”.
Le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a évoqué vendredi sur France Info un objectif “de l’ordre de six mois” pour les 1.200 soldats français qui seront déployés en RCA.
“Il est clair que cela durera plus longtemps”, estime le général Vincent Desportes, spécialiste de stratégie militaire. “On n’attend pas un résultat militaire mais un résultat politique, ce n’est pas une mission impossible mais ça va demander du temps et de la persévérance”, ajoute-t-il.
La République centrafricaine est plongée dans le chaos depuis que les rebelles de la Séléka ont chassé le président François Bozizé du pouvoir, en mars.
Leur chef, Michel Djotodia, aujourd’hui président par intérim, ne contrôle pas ses troupes, et des milices d’autodéfenses “anti-balaka” se sont formées en réaction aux violences des ex-rebelles.
Au Mali, où la France est intervenue en janvier pour repousser des islamistes armés, “on avait un ennemi parfaitement identifié”, souligne Vincent Desportes. “On agissait dans le cadre d’une manoeuvre militaire qu’on peut qualifier de classique avec des moyens techniques et technologiques importants, on était dans une situation favorable”.
“Ici, on n’intervient pas contre un ennemi, il s’agit de stabiliser le pays, on entre au milieu d’une guerre civile, entre ethnies et communautés”, ajoute-t-il.
FORÊT TROPICALE
L’armée peut toutefois compter sur son image dissuasive en Afrique pour obtenir rapidement des résultats, estime Pierre Servent, spécialiste des conflits et de l’armée, qui juge de fait le calendrier plutôt réaliste.
“En face, ce sont des voleurs et non pas des djihadistes avec un projet politique”, dit-il. “Six mois pour sécuriser Bangui, sécuriser les grands axes, mettre le pied à l’étrier de la force africaine et préparer un déploiement plus important d’une force onusienne, tout ça sur le papier paraît crédible et réaliste”, souligne-t-il.
“Il n’en reste pas moins qu’en Afrique c’est toujours assez rare que les choses se passent selon les calendriers et les planifications”, ajoute-t-il.
A l’image de l’opération française Epervier lancée en 1986 pour repousser une offensive libyenne. Cette opération, qui visait initialement à maintenir l’intégralité territoriale du Tchad, se poursuit encore et compte aujourd’hui près d’un millier de militaires et 12 aéronefs.
En Centrafrique, l’armée française devra également composer avec une géographie moins favorable aux techniques de repérage que sur le terrain malien.
“Les avantages technologiques qu’on a pu avoir au Mali vont être diminués”, indique Vincent Desportes. “Quand une Toyota de djihadistes armés se déplaçait au Mali, elle était repérée immédiatement. En Centrafrique elle pourrait circuler pendant quinze jours dans la forêt sans pour autant être repérée.”
“UN PEU COURT”
Présent à Paris à l’occasion du sommet consacré à la paix et la sécurité en Afrique, le Premier ministre centrafricain Nicolas Tiangaye a estimé que le délai de six mois lui semblait “un peu court”.
“Si l’armée française arrive à régler les problèmes dans les six mois, tant mieux, mais mon souhait est qu’elle reste pendant une année pour permettre de résorber toutes ces difficultés”, a-t-il dit vendredi sur RTL.
Dans une interview publiée cette semaine, avant le feu vert du Conseil de sécurité de l’Onu, le ministre de la Défense Jean-Yves le Drian avait évoqué la mobilisation “d’un millier d’hommes pour une période de montée en puissance de 4 à 6 mois puis de retrait progressif de 4 à 6 mois.”
“Comme pour le Mali, la France va être contrainte de rester sur place plus longtemps que prévu pour encadrer la mise en place de la Misca, puis former la police et l’armée”, indique Vincent Desportes.
Au Mali, le calendrier fixé par Paris prévoyait de ramener les effectifs français de 4.000 à 2.000 hommes d’ici au mois de juillet, puis à 1.000 d’ici la fin de l’année.
A l’heure actuelle, quelque 2.800 soldats sont toujours déployés au Mali dans le cadre de l’opération Serval et l’objectif du maintien d’une force de 1.000 hommes a été reportée à janvier-février.
Source : Capital