Le Dialogue national inclusif de 2019 a pris l’option des pourparlers avec les terroristes maliens. Nos partenaires, notamment la France et les Nations unies, réticentes dans un premier temps, ont récemment infléchi leurs positions. La question pourrait s’inviter dans les discussions des chefs d’état lors du sommet de N’Djamena
Le sommet du G5 Sahel et de la France se tient à N’Djamena au Tchad dans un contexte particulier. Les groupes terroristes continuent d’étendre leur présence dans la région du Sahel et au-delà, en dépit des lourdes pertes qui leur sont infligées à travers des opérations conjointes menées par Barkhane et les armées nationales. Compte tenu de cette situation, nul doute que la question du dialogue avec les guerroyeurs islamistes sera l’un des sujets de la rencontre de N’Djamena. Le sujet sera d’autant plus facile à aborder que la France et les Nations unies qui étaient farouchement opposées à toutes négociations avec les terroristes ont récemment infléchi leurs positions.
Il faut rappeler que le sujet du dialogue fait débat dans notre pays depuis longtemps. Lors de la Conférence d’entente nationale en 2017, la question a été abordée par des participants. Le Dialogue national inclusif (DNI) en décembre 2019 a formulé carrément une recommandation allant dans le sens d’ouvrir des pourparlers avec les Maliens qui guerroient pour imposer la charia dans un pays où l’islam est déjà la religion dominante depuis des siècles.
Un rapport publié le 28 mai 2019 par l’International Crisis Group avait encouragé notre pays à aller dans ce sens, estimant que pour sortir de l’impasse, le dialogue avec les «djihadistes» et leurs soutiens devait être une option à prendre très au sérieux par les autorités maliennes.
L’ONG reconnaissait que le chemin du dialogue restait semé d’embuches à cause des exigences des terroristes, ainsi que les liens qu’ils entretiennent avec d’autres groupes transnationaux. Amadou Kouffa et Iyad Ag Ghali posent comme condition l’instauration de la charia dans un pays où la tradition républicaine est bien enracinée. Ils réclament aussi le départ des troupes étrangères (Minusma et Barkhane). En plus, ils n’ont sans doute pas toutes les cartes en main pour ouvrir d’éventuelles négociations. Ils sont tenus de s’en référer à leur organisation mère en l’occurrence AQMI, elle-même affiliée à Al Qaeda.
Sur la question, Dr Aly Tounkara, directeur du Centre des études sécuritaires stratégiques au Sahel (CE3S), rappelle l’impuissance des forces étrangères et des forces armées maliennes à éradiquer militairement la menace terroriste. Cela dure depuis 2013. « Aujourd’hui, quand on regarde les trajectoires des groupes radicaux violents, que ce soit en Afghanistan, en Irak et récemment en Syrie, on se rend compte que les puissances ont toutes été réticentes à engager le dialogue avec eux mais ont toujours fini par l’admettre. C’était le cas avec les états-Unis en Afghanistan où ils étaient fermes à ne pas dialoguer avec les talibans, mais très vite, ils se sont rendus compte que les seules réponses militaires ne suffisent… », indique le chercheur. Pour lui, ces hypothèses sont aussi plausibles dans le contexte malien.
Pour Dr Aly Tounkara, aucun pays n’est parvenu à vaincre le terrorisme avec seulement les armes. Mais, nuance-t-il, lorsque notre pays opte pour le dialogue, il y a des lignes rouges à ne pas franchir : le caractère laïc de l’état et sa forme républicaine.
Malgré les obstacles quant à son aboutissement, la question du dialogue est revenue plusieurs fois dans le discours des autorités maliennes. L’ancien ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Boubacar Alpha Bah, avait, au cours d’une interview sur une radio étrangère, clairement exprimé la position du Mali.
« Nous sommes d’accord sur le principe et nous y travaillons déjà », avait-il annoncé. Après sa nomination comme Haut représentant du président pour le Centre du Mali, Pr Dioncounda Traoré, avait indiqué avoir «personnellement envoyé des émissaires pour discuter avec Amadou Kouffa et Iyad Ag Ghali». Mieux, l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta n’avait pas fermé la porte à une éventuelle négociation lors d’une intervention.
FRUIT DU DIALOGUE- Il faut rappeler que plusieurs otages au Mali ont été libérés suite aux négociations avec leurs ravisseurs appartenant à des organisations terroristes. Le dernier cas est celui de feu Soumaïla Cissé et de trois Occidentaux. L’ex-chef de file de l’opposition avait été enlevé le mercredi 25 mars 2020 en pleine campagne pour les législatives à Niafunké. Après 198 jours entre les mains de ses ravisseurs, il a été libéré suite à des négociations avec trois autres otages. Le président du Comité de crise Ousmane Issoufi Maïga a clairement reconnu dans un communiqué que «la libération de ces personnalités enlevées par les filiales du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) a été obtenue grâce aux efforts conjugués des services de renseignement, des Forces armées et de sécurité, des partenaires du Mali et de la cellule de crise».
Après la libération de Soumaïla Cissé, le chercheur Aly Tounkara avait estimé que cela pourrait être un pont pour le dialogue avec les groupes radicaux violents. « La libération de Soumaïla Cissé pourrait constituer déjà un pont car beaucoup de personnalités qu’elles soient à Bamako ou relevant des chefferies locales y ont été impliquées. Ces personnalités apparaissent déjà comme un pont pour l’état central du Mali et il ne faut plus accepter que ce pont soit coupé », avait-il conseillé.
L’imam Mahmoud Dicko pourrait être l’une des têtes de pont du dialogue. Il a maintes fois exprimé sa disponibilité à œuvrer pour que les Maliens se parlent pour mettre fin à la violence. Dans son dernier Manifeste, il a réitéré son entière dédicace au dialogue pour instaurer la paix entre les communautés.
FLÉCHISSEMENT DE POSITIONS- L’insistance des Maliens à vouloir se parler a sans doute eu raison des réticences de nos partenaires étrangers. Les Nations unies, à travers le secrétaire général, semblent favorables à un dialogue avec « certains groupes extrémistes ». « Il y aura des groupes avec lesquels on pourra parler et qui auront intérêt à s’engager dans ce dialogue pour devenir des acteurs politiques dans le futur », a déclaré, il y a quelques mois, Antonio Guterres dans un entretien paru dans le journal Le Monde.
Aussi, Smaïl Chergui, Commissaire de l’Union africaine (UA) à la paix et à la sécurité, dans une tribune publiée dans le quotidien suisse Le Temps, a appelé à «explorer le dialogue avec les extrémistes» au Sahel pour faire taire les armes en tirant le bilan de huit années d’intervention étrangère et en faisant le parallèle avec l’Afghanistan.
Fin décembre, la France qui était fermement opposée à toute hypothèse de dialogue avec les groupes terroristes opérant au Sahel et dans notre pays a également revu sa position. Ce fléchissement de la position française a été annoncé par la ministre des Armées Florence Parly au cours de son audition par la Commission défense de l’Assemblée nationale. Selon elle, des négociations sont possibles, mais pas avec n’importe qui. «Notre ennemi au Sahel n’est pas homogène. Les groupes djihadistes profitent des tensions intercommunautaires. Et certains combattants qui sont manipulés et embrigadés sous la bannière du Jihad international doivent, s’ils font le choix de déposer les armes et d’intégrer le processus d’Alger, pouvoir retrouver toute leur place dans la vie de leurs pays», a laissé entrevoir Florence Parly.
L’idée du dialogue fait son petit bonhomme de chemin dans les discours. Reste à la concrétiser. Ce qui est une autre paire de manches.
Dieudonné DIAMA
Source : L’ESSOR