Les organisations de Défense des Droits humains accusent l’Armée malienne, de graves exactions dans le cadre de l’opération antiterroriste. Dans un rapport rendu public, Human Rights Watch invite le gouvernement de Transition à mener des enquêtes crédibles et impartiales sur ces incidents. Des soldats maliens auraient tué au moins 34 villageois, fait disparaître de force au moins 16 personnes et infligé des mauvais traitements à des détenus lors d’opérations antiterroristes menées dans la région de Mopti dans le Centre du Mali, a déclaré hier mardi 20 avril 2021 Human Rights Watch. Le gouvernement de Transition du Mali devrait mener des enquêtes crédibles et impartiales sur ces incidents, tous perpétrés depuis sa prise de pouvoir lors d’un coup d’État mené le 18 août 2020.
« Les forces de sécurité maliennes n’ont guère respecté la vie humaine lors de récentes opérations de lutte contre le terrorisme », a déclaré Corinne Dufka, Directrice pour le Sahel de Human Rights Watch. « Perpétrer de graves abus au nom de la sécurité ne fait qu’alimenter le recrutement dans les rangs de groupes armés qui commettent leurs propres exactions, et sape la confiance des populations locales. » Le gouvernement a déclaré avoir ouvert des enquêtes sur des incidents survenus dans les villes de Libé et de Kobou, mais les membres des familles des victimes ont déclaré à Human Rights Watch que les autorités ne les avaient pas contactés. Les Procureurs militaires maliens devraient enquêter de manière indépendante sur les allégations et suspendre les officiers impliqués dans de graves abus. Le ministère de la Défense devrait veiller à ce que la Gendarmerie nationale malienne, chargée de promouvoir la discipline et de protéger les droits des détenus, participe à toutes les opérations militaires.
Entre novembre 2020 et avril 2021, Human Rights Watch a mené des entretiens en personne et par téléphone avec 43 personnes au courant de sept(7) incidents, au cours desquels les forces de sécurité auraient commis de graves abus
Parmi elles figurent des témoins, des leaders communautaires locaux, des représentants gouvernementaux et des diplomates étrangers. Les incidents ont eu lieu entre octobre 2020 et mars 2021 dans les villes, villages ou hameaux de Boni, Feto Hore Niwa, Kobou, Libé, Solla et Sokoura et à proximité. Les forces de sécurité maliennes auraient commis les exactions au cours d’opérations militaires menées en réponse à la présence de groupes armés islamistes en grande partie liés à Al-Qaïda. Ces constatations font suite aux recherches menées par Human Rights Watch dans le Centre du Mali depuis 2015. Human Rights Watch a également documenté de graves exactions commises par des groupes armés islamistes et par des milices ethniques dans le Centre du Mali au cours de la même période, y compris des exécutions sommaires de civils et l’utilisation indiscriminée d’engins explosifs improvisés. Les constatations détaillées seront publiées par Human Rights Watch dans un rapport à paraître. Des témoins ont décrit comment le 23 mars, des soldats à Boni ont détenu des dizaines de passagers d’un bus après avoir trouvé du matériel suspect dans la soute à bagages ; ils leur ont bandé les yeux et les ont sévèrement battus. Au moins 13 passagers auraient fait l’objet de « disparitions ».
Le 7 avril, Human Rights Watch a transmis au gouvernement malien une lettre précisant les allégations d’abus figurant dans son rapport. Dans sa réponse datée du 13 avril, le Secrétaire général du ministère de la Défense et des Anciens Combattants a indiqué que pour tous les incidents cités dans le rapport, « des enquêtes ont été ouvertes et les investigations sont en cours » et a noté que des militaires « ont été entendus ». La lettre a ajouté que les enquêtes sur les allégations concernant Libé et Kobou ont été gênées par la situation sécuritaire qui reste précaire, et par « la réticence de certaines personnes à témoigner ». « Promettre d’enquêter sur les abus est une étape positive, mais le gouvernement malien n’a pas tenu de nombreux engagements antérieurs de ce type », a relevé Corinne Dufka. « Les autorités maliennes devraient reprendre le contrôle des unités qui commettent des abus et faire bien plus pour garantir la discipline dans le cadre des opérations, exiger des comptes des auteurs d’abus, et prévenir de nouvelles atrocités. »
ALLEGATIONS D’ABUS COMMIS PAR L’ARMEE MALIENNE DANS LA REGION DE MOPTI
Le 18 mars, les forces de sécurité de Boni, dans le Cercle de Douentza, auraient exécuté Boucary Bouldé et Salmane Hamane Noungary, âgés de 37 et 35 ans, respectivement, quelque minutes après qu’un soldat ait été tué et un autre gravement blessé par un engin explosif improvisé. Selon trois témoins, un soldat a pris pour cible les victimes au hasard parmi un groupe de commerçants en route vers le marché de Boni. Le 23 mars, des membres des forces de sécurité effectuant un contrôle de routine à un poste de contrôle militaire près de Boni ont trouvé un uniforme militaire et des bottes dans la soute à bagages d’un bus ayant quitté Bamako le 22 mars. Ils ont attaché les mains et bandé les yeux d’environ 35 hommes qui se trouvaient à bord du bus. Ensuite, ils les ont conduits jusqu’au camp militaire, où ils ont été violemment passés à tabac durant plusieurs heures. La situation ou le lieu de détention d’au moins 13 de ces hommes demeurent inconnus. De nombreux témoins des arrestations et des mauvais traitements craignent que ces hommes ne soient morts sous les coups reçus en détention. Human Rights Watch a obtenu des informations crédibles selon lesquelles les forces de sécurité ont enterré un certain nombre de corps dans une fosse commune le 25 mars, à environ un kilomètre du camp. Human Rights Watch s’est entretenu avec 15 personnes au courant de l’incident, y compris des passagers, des membres des familles des disparus et des villageois. Human Rights Watch a également examiné une vidéo montrant 13 hommes après leur détention de 24 heures, qui présentaient des signes manifestes de graves maltraitances. Douze des hommes disparus, dont les noms ont été communiqués à Human Right Watch par leurs familles, étaient originaires du Burkina Faso. Des membres de ces familles ont déclaré que les hommes vivaient en tant que réfugiés à Bamako depuis plusieurs années et étaient sur le chemin du retour vers leurs villages au Burkina Faso, à la suite de l’amélioration de la situation sécuritaire dans leur pays. « Nous sommes arrivés au point de contrôle vers 17 heures », a déclaré un passager. « Les soldats nous ont ordonné de descendre, et ont vérifié nos papiers d’identité. Notre drame a commencé quand ils ont trouvé les Rangers [un type de bottes] et une tenue militaire. Ils se sont mis en colère, déchirant des vêtements rangés dans les bagages, avec lesquels ils nous ont bandé les yeux et lié les mains. » « Ils ont réparti les 35 hommes en trois groupes, selon leur âge, les ont mis dans des véhicules militaires et les ont conduit en direction de leur camp, à 500 mètres de là. Ils n’ont pas fait de mal aux huit femmes qui se trouvaient à bord du bus, et ne les ont pas détenues », a précisé un homme qui se trouvait dans le car.
VILLAGE DE LIBE, 22 OCTOBRE 2020
Human Rights Watch s’est entretenu avec 10 villageois présents lors de l’attaque du village de Libé, dans le Cercle de Bankass, au cours de laquelle les forces de sécurité maliennes auraient tué 25 villageois, incendié de nombreuses maisons et greniers et pillé du bétail et des objets de valeur. « Ils ont tué des gens pendant qu’ils couraient », a témoigné un villageois. « Certains ont été exécutés à bout portant, d’autres écrasés par des véhicules de l’armée, d’autres brûlés vifs à l’intérieur de leurs maisons. » L’attaque a duré de midi à 14 heures environ. Un ancien du village a fourni à Human Rights Watch une liste des 25 victimes, dont trois femmes et deux enfants. Quatorze étaient âgées de plus de 50 ans. Un enfant n’a toujours pas été retrouvé. Un leader communautaire a déclaré que bon nombre des personnes tuées étaient trop malades, trop âgées ou trop jeunes pour fuir. Un analyste militaire qui a enquêté sur l’incident de Libé a déclaré à Human Right Watch que « plusieurs forces de sécurité avaient pris part à l’opération, notamment l’armée, la garde nationale et l’armée de l’air ». Selon deux leaders communautaires, certains membres des forces de sécurité ont traité les villageois avec respect et dispensé les premiers soins à ceux qui avaient été blessés par d’autres. Les villageois ont raconté qu’il leur a fallu plusieurs jours pour enterrer 24 corps en octobre après l’attaque.
« Nous avons inhumé quatre personnes qui avaient été écrasées par un véhicule », a relaté l’un d’eux. « Nous avons vu des traces de véhicules lourds tout autour d’eux, leurs organes étaient dispersés»
« J’ai personnellement aidé à enterrer les six hommes exécutés dans la boutique abandonnée, et trois autres dont nous avons trouvé les corps calcinés dans des maisons, dont un enfant ; il ne restait plus que les os et les crânes. Chaque matin, quatre jours durant, nous avons continué à trouver des corps. Au total, nous avons enterré 24 personnes dans 10 tombes », a déclaré un autre villageois. Les habitants ont également dénoncé l’incendie et la destruction du village. « Ils ont incendié nos maisons, des boutiques et des motos, et détruit le puits », s’est désolé un villageois. « Nous vivons sur des décombres. Notre village a été bâti il y a des siècles ; il a été détruit en moins de deux heures. » Un vendeur d’animaux a déclaré : « Les images de la découverte des corps emplissent nos esprits ; nos enfants ne peuvent plus dormir… La peur règne maintenant. » Plusieurs villageois ont reconnu la présence d’islamistes armés à Libé et à proximité Le 28 octobre, un communiqué du ministère malien de la Défense et des Anciens combattants a dénoncé les accusations concernant l’implication de membres des FAMA dans les meurtres de Libé comme « des déclarations mensongères qui ne visent qu’à ternir l’image des Forces Armées Maliennes », tout en déclarant que des enquêtes seraient menées « pour mettre en lumière tout cas de dérapage avéré ». Personne à ce jour n’a été appréhendé pour les meurtres.
LAYA DIARRA
Source : Le Soir De Bamako