Une mission de la CEDEAO a séjourné au Mali du 18 au 20 juin 2020. Elle s’inscrivait dans le cadre de la crise politique que traverse notre pays. Elle n’a pas réussi à faire bouger les lignes. Une deuxième missionconduite du 15 au 20 juillet par l’ancien président du Nigéria, Goodluck Jonathan, s’est également soldée par un échec cuisant.Sespropositions ont été rejetées par le M5-RFP et même par les membres élus du Conseil Supérieur de la Magistrature. Un échec prévisible ! La Cedeao a tout simplement fait un mauvais diagnostic de la situation.
Une délégation de la Cédéao conduite par l’ex-président nigérian Goodluck Jonathan a recommandé, dimanche dernier, la mise sur pied, “de toute urgence”, d’un gouvernement d’union nationale. Elle a aussi proposé la nomination d’une nouvelle Cour constitutionnelle chargée d’examiner en priorité le litige électoral né des résultats des législatives de mars-avril, considéré comme l’élément déclencheur de la crise actuelle. Cette feuille de route s’est heurtée au refus des dirigeants du M5-RFP, pour qui la crise quasi existentielle que traverse le pays ne se limite pas aux questions électorales. Au pouvoir depuis 2013, le président Ibrahim Boubacar Keïta est massivement contesté dans la rue depuis juin.
Cet échec de l’organisation sous régionale était prévisible. En effet, la CEDEAO n’a pas pris en compte le fossé qui sépare le président IBK et son peuple. Aussi, la crise de confiance est telle que le président IBK n’est plus en mesure de faire face à la situation. Il ne peut plus rassembler les Maliens. Ibrahim Boubacar Kéïta n’a pas mis du temps à dilapider l’immense capital de sympathie ayant abouti en août 2013 à son élection à la magistrature suprême dans une ferveur populaire jamais égalée au Mali. Il a pourtant eu, comme personne d’autre, la chance extraordinaire de mettre le pays sur les rails. Ses fautes de gouvernance sur fond d’incompétences notoires ont fait sombrer le pays dans l’anarchie.
En sept ans d’exercice du pouvoir, IBK a montré toutes ses limites. La situation globale du pays présente des signes d’inquiétude qui font redouter une aggravation de la crise actuelle, voire un effondrement des fragiles piliers qui soutiennent encore la vie institutionnelle. Le Mali offre ainsi le paradoxe d’offrir plus d’assurance et de prévisibilité pendant la transition de 2012-2013 qu’après plus de sept ans du mandat d’Ibrahim Boubacar Keita. Mais toutes les faillites du régime actuel, qu’elles soient sécuritaire, politique ou sociales, ont un fondement dans la gouvernance du pays.
Dilettantisme dans la conduite de L’ÉTAT
À son élection, l’opinion avait prêté au nouveau président des qualités de fermeté et de probité qui ont très vite volé en éclats. Le poids de la famille dans la gouvernance et les accusations de connivence avec Michel Tomi réputé proche des milieux mafieux corses et magnat des jeux au Gabon et au Cameroun ont singulièrement entaché l’image d’IBK. Les marchés douteux sur l’achat de l’avion présidentiel, les prestations de société de sécurité proches de Michel Tomi ont ajouté au trouble. Une autre critique récurrente faite au chef de L’État malien, c’est sa connaissance approximative des dossiers de l’Etat. Critique à laquelle s’ajoutent sa faible capacité de travail et son inaccessibilité.
Au fil des mois et au constat de ses décisions contestables, le président IBK a vu la légitimité de son pouvoir s’effriter, même s’il garde sa légalité. Cette évolution négative a eu un impact direct sur la gestion de la situation sécuritaire qui s’est considérablement dégradée.
La campagne électorale de 2013 s’est déroulée dans une ambiance de paix précaire, sinon de guerre larvée. Mais le président élu avait en héritage « l’accord intérimaire de Ouagadougou », loin d’être parfait, mais qui pouvait constituer un point de départ. Mais IBK avait fait le choix d’ignorer ostensiblement ce Document tout en multipliant les déclarations guerrières : «Aucun rebelle ne se hissera à mon niveau pour parler d’égal à égal».
Cette stratégie de la tension a culminé jusqu’à l’aventure militaire du 21 mai 2014 à Kidal et la relance du conflit jusqu’à la signature en mai 2015 de l’accord dit d’Alger dans une posture défavorable à l’Etat malien mais que le négociateur algérien s’est fait un malin plaisir de piéger à travers un texte qui porte les germes de la partition du pays. Parallèlement, les groupes djihadistes exclus des pourparlers ont étendu leur emprise au centre du pays (Mopti jusqu’à la frontière avec la Mauritanie) avec des incursions dans le Sahel occident.
Marasme économique
La crise sécuritaire a eu des répercussions graves sur notre environnement économique. Les recettes de l’Etat étant principalement basées sur la fiscalité intérieure, les entreprises locales fléchirent sous le poids des impôts, des emprunts bancaires, de la crise énergétique…
Il n’était plus un secret pour la majorité des Maliens que les entreprises souffrent. Même le citoyen lambda, qui n’a rien à voir avec ce secteur, chacun se plaint à son niveau à cause de l’argent qui se raréfie, le boutiquier du coin ou la vendeuse de condiments au marché se plaignent de la mévente par manque d’une clientèle introuvable.
Le véritable cri d’alerte est venu du Conseil national du patronat du Mali (CNPM), en septembre 2019. C’était au cours d’une visite du ministre de l’Investissement privé, des Petites et moyennes entreprises et de l’Entreprenariat national, Mme Safia Bolly, au siège des créateurs d’emplois et de richesses du pays. Ces derniers ont entretenu l’hôte du jour sur le marasme économique et les multiples difficultés que frappent de plein fouet les entreprises nationales. Conséquences : beaucoup sont en train de fermer boutique ou migrent tout simplement vers les pays limitrophes.
En cause, l’insécurité mais aussi d’autres facteurs conjoncturels comme le taux exorbitant des emprunts bancaires jugés comme l’un des plus élevés dans la sous-région, la crise de l’énergie et son coût prohibitif, le non-paiement de la dette intérieure ajoutée à la pression fiscale, aux agios des banques, l’insécurité judiciaire, la corruption, entre autres.
Beaucoup d’opérateurs économiques maliens disent tirer le diable par la queue à ces jours. Plusieurs entreprises, des PME-PMI notamment, ont mis la clé sous le paillasson. Parmi elles, il y a des alimentations, boulangeries ou sociétés de négoce et de distribution.
Les conséquences de cette situation de paupérisation générale sont notoires : conflits sociaux, déstabilisation des foyers, banditisme, déperdition des enfants. Sans commentaire !Au même moment, beaucoup d’entreprises ont été obligées de mettre leurs agents au chômage technique ; ainsi, des populations sont privées de leurs revenus. Pour tous, les difficultés s’accumulent. Et pourtant, le gouvernement a toujours vanté les performances de notre économie, qui est la 3ème de la zone UEMOA, avec son corollaire de 5 % de taux de croissance. Donc, la crise de trésorerie, qui est une réalité indéniable, ne pourrait résulter que de la mal gouvernance et non d’un manque de ressources financières. Il y a aussi le coup social de cette calamité économique. En plus du manque à gagner pour l’Etat, les énormes pertes d’emplois vont déboucher sur d’autres crises sociales difficilement gérables.
Mauvaise gestion et scandales
Le peuple a, en effet, découvert un régime corrompu avec des scandales à gogo, des voyages princiers à l’étranger, une armée affaiblie et moins équipée, une méthode de gouvernance qui met la famille et les affidés au centre de la gestion des affaires publiques, une insécurité grandissante et l’éloignement de tout espoir de paix.
De 2013 à nos jours, le président et son gouvernement ont essuyé de sévères critiques relatives à la mauvaise gestion des ressources publiques. L’opposition politique, des associations et même le Fonds monétaire international (FMI) ont mis le doigt sur plusieurs scandales de surfacturation et de corruption. Ces scandales largement connus n’ont, jusqu’ici, fait l’objet d’aucune sanction.
Or, dans son projet « Le Mali d’abord », le candidat IBK avait promis la « Tolérance zéro » en matière de corruption et de vol de deniers publics. La généralisation de la corruption a pour effet de freiner le développement global du Mali. Conséquence : le peuple malien est dans un état de dénuement généralisé. Parce que les ressources financières qui auraient dû être injectées dans le développement du pays et la gestion du quotidien des Maliens ont été allouées à des fins de privilèges.
Après un mandat et demi, le président IBK laissera une empreinte indélébile sur sa fonction. Voilà un chef de l’Etat qui a survolé son peuple durant presque sept ans, sans se soucier de la réalité qui prévaut dans le pays. Pendant ce temps, le Mali se meurt et les Maliens ne savent plus à quel saint se vouer. Vous avez dit Faillite ?
Mémé Sanogo
Source : L’Aube