Alors qu’un climat de panique s’est installé sur Bamako, réveillé tôt par une mutinerie de militaires au camp Soundiata Kéïta de Kati, le mardi 18 août, au Monument de l’Indépendance se tient un regroupement, semble-t-il spontané, d’une centaine de jeunes, impatients de voir le Président Ibrahim Boubacar Kéïta démissionner. Ibrahim Traoré, mécanicien, habits tâchés d’huile, est convaincu du départ d’IBK cet après-midi. « L’armée républicaine malienne a décidé de prendre les choses en main. Nous sommes derrière elle, parce qu’elle veut nous libérer d’un régime corrompu et dictatorial. Que le peuple malien nous rejoigne massivement pour fêter le départ de ce régime. Un nouveau Mali va naître ce soir à minuit », prédit-il. Dans la nuit du mardi au mercredi, la prophétie d’Ibrahim s’est réalisée. Arrêté à sa résidence privée de Sébénikoro avec son Premier ministre, Boubou Cissé, vers 16h 30, et conduit à la garnison militaire de Kati, le désormais ex Président de la République a, contraint, déclaré sa démission vers minuit. « Je voudrais en ce moment précis, tout en remerciant le peuple malien pour son accompagnement le long de ces longues années, la chaleur de son affection, vous dire ma décision de quitter mes fonctions, toutes mes fonctions, à partir de ce moment, et avec toutes les conséquences de droit, la dissolution de l’Assemblée nationale et celle du gouvernement », a-t-il déclaré. L’histoire ne cesse de se répéter. Le Président Ibrahim Boubacar Kéïta venait d’être chassé du pouvoir un mardi, comme ses prédécesseurs Modibo Kéïta et Moussa Traoré.
Kati a encore fait peur à Bamako. Tout est parti de cette ville-garnison, à 15 km de la capitale, tristement célèbre pour son putsch de 2012 contre le Président Amadou Toumani Touré. Le même scénario s’est répété ce mardi 18 août 2020. Très tôt le matin, vers 8 heures, le commandant Abdoulaye Gakou, chef de bataillon adjoint du camp, regroupe les militaires. Même si le coup semble bien préparé en amont, certains militaires présents affirment ne pas savoir ce qui va se passer. Le colonel Malick Diaw, ancien du CNDRE, qui a dirigé un groupement tactique interarmées en 2016, vient s’adresser aux troupes. « Je vous retourne votre vérité aujourd’hui », dit-il aux militaires. Un instant, les mots sortent difficilement de sa bouche, à cause de l’émotion. Rapidement, il se dirige vers sa voiture, une Toyota Corolla de couleur grise, prend son arme, tire en l’air et demande aux militaires d’aller prendre des armes. Les soldats s’exécutent. Le magasin d’armes a été ouvert et les mutins s’arment lourdement. Certains ont été dépêchés à la Poudrière, à moins d’une vingtaine de kilomètres de la ville de Kati. Là, blindés, munitions et autres armes lourdes sont en train d’être acheminés. Pendant ce temps, à Bamako, d’autres éléments procèdent à des arrestations. « Le gros du travail a été effectué par des éléments de la police nationale. Alors qu’on se préparait à Kati, ils arrêtaient des ministres, des députés et autres personnalités. Leur choix pour cette mission n’est pas fortuit. Ils sont toujours avec eux et savent là où ils peuvent être », explique un militaire.
C’est ainsi que, de la matinée jusqu’à tard dans l’après-midi, plusieurs personnalités politiques et militaires ont été arrêtées. Ce sont, entre autres, le Président de l’Assemblée nationale, Moussa Timbiné, le ministre de l’Économie et des finances, Abdoulaye Daffé, les généraux Ibrahima Dahirou Dembélé, ministre de la Défense et M’Bemba Moussa Keïta, ministre de la Sécurité intérieure et de la protection civile, et plusieurs autres hauts gradés.
La Cité administrative a été interdite d’accès et des forces de sécurité se postent en sentinelle devant les bâtiments.
Colère
À côté des mouvements de militaires, plusieurs jeunes se rassemblent vers 13h au Monument de l’Indépendance pour exprimer leur soutien aux mutins. Ils scandent des slogans et propos hostiles au Président Ibrahim Boubacar Kéïta et à la France. Un vieux tacot supporte péniblement deux enceintes, qui crachent les paroles d’une chanson de Tiken Jah Fakoly « quitte le pouvoir, quitte le pouvoir, je te dis quitte le pouvoir ». « Nous sommes ici pour montrer à l’armée malienne que nous sommes derrière elle. Que tous ceux qui hésitent se joignent au combat. On attend que les militaires viennent nous dire qu’IBK a démissionné, sinon on ne rentrera pas à la maison », prévient Elimane Niang, membre de la jeunesse M5-RFP de la Commune III.
Alors que des rumeurs faisant étant de la démission d’IBK se faisaient entendre, certains sont révoltés. Ils ont peur que les militaires aillent signer un compromis avec lui pour le faire sortir du pays. Ils souhaitent qu’il soit jugé et condamné. « En cet instant, on entend qu’IBK a déposé sa démission. Celle-là, on n’en veut plus. Il doit être arrêté, ainsi que les membres de son régime, et jugé. Ceux qui sont morts ne le seront pas pour rien. Les derniers mots d’un de nos camarades de lutte ont été de ne pas arrêter le combat. Si jamais IBK s’en tire facilement, c’est comme si on l’avait trahi », prévient un manifestant, très excité.
La nature des colères est diverse mais elles se rejoignent toutes au niveau des problèmes de gouvernance, que beaucoup voudraient voir changer dans le futur. Kadiatou Traoré est diplômée sans emploi. Habillée d’un complet wax, foulard rose sur la tête, elle a perdu son père, militaire, sur le théâtre des opérations au nord du Mali. Et elle ne cache pas sa colère contre IBK et son régime. « Qu’IBK s’en aille. Aujourd’hui, je suis contente pour deux choses : Moussa Timbiné est aux mains des militaires ainsi que Karim Kéïta. Et, d’ici à 16 heures, le Président de la République sera arrêté. Ce sont nos pères qui sont morts au front. Même le Pharaon n’a pas gouverné de la façon dont IBK l’a fait. Avec le nouveau pouvoir à venir, j’espère que nous pourrions étudier. Que Dieu nous donne un président qui saura bien diriger le pays et que la France ne se mêle pas des affaires maliennes ».
Oumou N’diaye est habillée aux couleurs du Mali. Membre du M5-RFP, elle tient un balai, une branche de neem avec des feuilles, une tapette et une spatule. « Nous, les femmes, sommes là depuis le 5 juin. Nous exigeons qu’IBK démissionne, avec son régime. S’il ne s’en va pas de gré, il s’en ira de force. Ce sont nos maris et nos enfants qui sont tués au Nord. IBK a fait tuer des innocents jusque dans une mosquée. Il a été maudit par le bon Dieu, c’est pourquoi les militaires se sont levés. Un Musulman ne fait pas cela. Avec ce balai, on va le balayer avec son régime maléfique, qui tombera à l’image de chacune des feuilles de cette branche qui tombe », déclare-t-elle.
Cris de joie
Jusqu’à 15 heures, tout le monde est dans le flou total. « Assistons-nous à un coup d’État ou juste à une mutinerie de militaires en colère ? ». C’était la grande question. Mais les choses ont bientôt commencé à paraitre plus claires. Plusieurs centaines d’éléments des forces de défense et de sécurité, lourdement armés d’armes de guerre, ont pris la direction de Sébénikoro, résidence du Président Ibrahim Boubacar Kéïta. Arrivés au niveau du Monument de l’Indépendance, ils ont tiré des coups de feu en l’air, sous les hourras des manifestants, qui leur tendent la main. Une pluie a arrosé les manifestants, qui y ont vu un signe divin. « Dieu ne dort pas. Le pouvoir maléfique est parti. Enfin ! », s’exclame un manifestant.
Les putschistes sont arrivés à la résidence d’IBK, à Sébénikoro en même temps que plusieurs manifestants, qui les ont suivis. Embouteillage monstre. Un blindé est posté devant l’accès menant directement à la résidence. Joyeux, les soldats tirent en l’air. Le Président Ibrahim Boubacar Kéïta est avec son Premier ministre, Boubou Cissé. Des militaires se présentent à eux et leur demandent de les suivre. IBK est mis dans un Toyota V8 noir et Boubou Cissé dans un blanc. Ils sont escortés par les militaires jusqu’au camp de Kati.
Vandales aux aguets
Les rangs des manifestants ne cessent de grossir. Certains affirment attendre d’investir la maison d’IBK. « Il y a de l’or là-dedans », jurent-ils. Cependant, d’autres ont déjà trouvé une mine, qu’ils exploitent : la maison du fils du président, Karim Kéïta, située seulement à quelques mètres de celle du chef de l’État. La maison est pillée. Tout est emporté. Des tonnes de ciment, déposées dans un magasin, sont enlevées par les habitants du quartier. La piscine, dans l’enceinte de la cour, sert de cadre à une « after party » pour des adolescents. Aux environs de 21 heures, la station Total, près du pont « Woyowayanko », à l’entrée de Sébénikoro, est vandalisée. Les pompes à carburant sont détruites et les marchandises de l’alimentation emportées. Une boutique de mode, dans l’enceinte de la cour de la station Shell, près de la maison d’IBK, est cassée et tous les effets dérobés. Les éléments de la Garde nationale qui assuraient la sécurité de la maison du président, pour mettre fin aux pillages, font des tirs de sommation et lancent des gaz lacrymogènes afin de faire fuir les pilleurs.
Des actes de vandalisme se sont également déroulés en d’autres endroits. Pendant que les uns et les autres étaient impatients, au Monument de l’Indépendance, du départ du Président de la République, certains manifestants en colère se sont attaqués au cabinet du ministre de la Justice du gouvernement restreint, Me Kassoum Tapo, à Bamako-coura. Du monument on pouvait voir une épaisse fumée noire se dégageant du bâtiment. Du mobilier de bureau, des portes, des climatiseurs et bien d’autres objet sont emportés. Des vandales ont été pris au piège au niveau du quatrième étage. Les accès aux escaliers de secours et à ceux menant à la sortie étant condamnés par le feu, certains décident de sauter du balcon.
En bas, le reste des manifestants se donne pour mission de les rattraper à l’aide d’un matelas dérobé. Quatre jeunes sautent du quatrième étage, mais l’un d’entre eux est blessé au bras. Il est rapidement conduit au centre de santé pour des soins. Des manifestants ont aussi essayé de s’attaquer à l’annexe du ministère des Finances, non loin du monument, mais en ont été empêchés par d’autres manifestants.
Dans la nuit du 18 au 19 août, Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé sa démission et celle du gouvernement. Il a également dissout l’Assemblée nationale. L’épilogue d’une longue journée qui a mis fin à sa présidence.
Repères : 18 août 2020
8h : Début de la mutinerie au camp Soundiata de Kati
8h : Arrestation du ministre de l’Économie et des finances
Vers 9h : Arrestation du Président de l’Assemblée nationale
13h : Des manifestants investissent le Boulevard de l’Indépendance
Vers 13h : Arrestation des ministres de la Défense et de la Sécurité et de plusieurs haut gradés
16h : Alors que les putchistes sont à Bamako, un communiqué du Premier ministre demande aux militaires de faire taire les armes
16h30 : Le Président de la République et son Premier ministre sont arrêtés à Sébénicoro, puis conduits au camp Soundiata de Kati
00h : Dans un message télévisé, le Président de la République annonce sa démission
Journal du Mali