L’invasion massive de criquets pèlerins qui frappe les pays de la Corne de l’Afrique, d’une ampleur hors norme, a été accentuée par les conséquences du dérèglement climatique. Cyril Ferrand, à la tête de l’équipe de résilience pour l’Afrique de l’Est de la FAO, décrypte les causes et conséquences de ce fléau.
La Corne de l’Afrique fait face depuis plusieurs semaines à une invasion de criquets pèlerins. Des essaims d’insectes, de plus en plus imposants, dévorent les plantes sur leur passage. Si l’Afrique est régulièrement confrontée à pareilles invasions – comme au Sahel entre 2003 et 2005, et à Madagascar de 2013 à 2015 – , cette présence de criquets à cette période de l’année en Afrique de l’Est est accentuée par des facteurs climatiques.
Un seul de ces essaims couvre une surface de 2400 km², soit la taille du Luxembourg, d’après l’Agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), en première ligne dans la lutte contre ces insectes. Et ce sont près de 200 milliards d’individus qui peuplent chaque essaim, dévorant chaque jour plus de 400 000 tonnes de nourriture. Et le fléau avance vite : l’essaim est capable de parcourir 150 kilomètres par jour, ravageant tout sur son passage.
Au-delà de son impact environnemental, l’invasion de criquets pèlerins fait craindre des conséquences économiques dans les pays touchés, où des millions de personnes sont menacées d’insécurité alimentaire. Pour Cyril Ferrand, à la tête de l’équipe de résilience pour l’Afrique de l’Est de la FAO, qui apporte un appui en matière de surveillance des populations de criquets et de pulvérisation, cette crise est étroitement liée aux changements climatiques.
Jeune Afrique : La Somalie a déclaré dimanche « urgence nationale » l’invasion de criquets pèlerins. Quels sont les pays touchés aujourd’hui par ce fléau ?
Cyril Ferrand : Les pays touchés à l’heure actuelle sont le Kenya, la Somalie, l’Éthiopie, Djibouti et l’Érythrée. Dans certains d’entre eux, on retrouve des criquets pèlerins de manière saisonnière. Les mécanismes de surveillance et de contrôle y sont relativement bien établis.
Mais le problème qui se pose aujourd’hui, c’est la quantité de criquets particulièrement inhabituelle, à la fois dans cette saison et dans cette région. En temps normal, en décembre, les criquets qui étaient sur une partie de la Corne de l’Afrique auraient dû repartir en grande partie vers la péninsule arabique. Sauf que cette année, ils sont restés en raison des conditions climatiques favorables. Ils sont descendus vers la partie centrale et le sud de la Somalie, puis au Kenya. Ce qui comporte un risque pour les pays limitrophes tels que le Soudan du Sud. Et, potentiellement, l’Ouganda.
Quelle est l’étendue des dégâts ?
L’Éthiopie et la Somalie n’ont pas connu une telle invasion de criquets pèlerins depuis vingt-cinq ans. Quant au Kenya, il n’en a pas vu depuis soixante-dix ans. En Ouganda, où le niveau d’alerte a été augmenté, la dernière attaque de cette ampleur remonte à 1961. Nous sommes face à un phénomène hors normes.
À ce stade, il est difficile de quantifier les dégâts, dans la mesure où la crise est toujours en cours. Les criquets s’attaquent à la partie verte de la plante, c’est-à-dire aux feuilles, et non aux grains.
En Somalie et au Kenya, ils sont arrivés en décembre. À cette période, les récoltes avaient déjà bien commencé. Dans ces cas, on ne peut pas vraiment parler de dégâts sur le maïs et le sorgho puisque les épis de maïs et les panicules de sorgho étaient déjà formés.
Mais cette année, au vue de la durée et de la nature inhabituelle de la saison pluvieuse, les gens ont semé plus longtemps. Tant qu’il pleuvait. Résultat, tous ceux qui ont planté beaucoup plus tard pour profiter de la saison des pluies n’arriveront pas à emmener leur maïs à maturité parce que les criquets sont arrivés sur les jeunes plans et les ont ravagés.
Une autre menace, et c’est la plus importante, porte sur les zones de pâturage.
JA